Matthieu Driol, analyste technique spécialiste des matières premières pour Day By Day, revient sur l'utilité de se prémunir contre la volatilité des matières premières pour un exploitant agricole, même de petite taille. Il nous offre également un panorama des couvertures les plus utilisées sur les marchés internationaux, tout en dressant un comparatif entre les trois choix qui peuvent se présenter pour une entreprise : ne rien faire, se couvrir entièrement ou se couvrir partiellement. En matière d'anticipations, Driol garde naturellement sa casquette de chartiste et préconise le suivi des tendances par les indicateurs graphiques. Interview. Finances News Hebdo : Pour commencer, pouvez-vous nous rappeler ce que gagne une entreprise à se couvrir contre la volatilité des matières premières ? Matthieu Driol : Les marchés de matières premières ont été créés afin de pouvoir, au début, couvrir les variations de prix pour les agriculteurs et autres exploitants. C'est à la base un marché de couverture, il sert à cela. La spéculation ne vient qu'après. A partir d'un certain niveau de dépendance pour l'entreprise (impact des achats et/ou ventes, pourcentage de la matière première dans le processus de fabrication d'un produit), la couverture devient essentielle, ne serait-ce que pour avoir un prix fixe, tant sur la matière première que sur le change d'ailleurs. Si elle est bien pondérée aux besoins, la couverture permettra de lisser les variations de prix et donc d'offrir plus de souplesse à l'entreprise, sans compter un possible gain financier, ou en tout cas d'éviter une perte sèche. Les solutions de couverture sont maintenant très accessibles en direct sur le marché ou par un intermédiaire financier, avec une baisse des coûts de traitement notables ces dernières années. F.N.H. : Pour une PME importatrice, quelles sont les stratégies qui se présentent et qu'est-ce qui les différencie ? M. D. : Une entreprise a trois choix de politique de couverture : ne rien faire (pas coûteux, mais totalement incertain et passif, les risques de gains et de pertes ne sont pas maîtrisés), couvrir entièrement toutes ses positions (coûteux et avec des risques de gains et pertes très faibles) ou se couvrir partiellement en mixant les solutions (système plus complexe, mais offrant nettement plus de possibilités). Elle peut décider aussi de couvrir les risques de changes ou non, et du croisement de ses choix résulte sa politique de couverture. Pour une entreprise qui importe des matières premières, il convient de s'assurer d'un prix d'achat le plus bas possible sur le sous-jacent. Il faut donc s'assurer du prix, mais aussi de l'évolution du taux de change de façon parallèle afin que les éventuels gains sur la matière première ne soient pas "grignotés" par une perte sur le change. Pour cela, plusieurs solutions concrètes se présentent. La première de ces solutions est le contrat à terme : une opération à terme est une opération au comptant différée dans le temps où l'acheteur et le vendeur se mettent d'accord sur les conditions d'un échange (un prix – une quantité), qui s'effectuera à une date future précisée par le contrat, dite la maturité. Cette solution est simple, facilement quantifiable en termes de prix et de volumes : on sait où l'on va. Mais comme tout est fixé par avance, l'espérance de gain et les coûts sont, eux aussi, connus... Une autre solution est l'emploi d'options négociables : une option est un contrat qui permet à son détenteur d'acheter ou de vendre une certaine quantité d'un actif à un cours convenu à l'avance, appelé prix d'exercice (Strike), jusqu'à une date fixée, dite échéance de l'option. En contrepartie, l'acheteur verse immédiatement au vendeur de l'option une prime qui est le prix de l'option. Dans le cas d'une société importatrice, elle veut connaître son prix d'achat de matière première, elle veut donc un «droit» d'acheter. Si le prix coté à l'échéance est supérieur au prix d'exercice, l'opérateur encaisse la différence. Si au contraire il est inférieur, l'opérateur aura perdu sa prime, mais pourra acheter ses matières premières à un prix inférieur. F.N.H. : Comment savoir alors si une stratégie est adaptée à son business ? M. D. : Cette question est délicate puisqu'elle dépend des choix du dirigeant d'entreprise, de sa stratégie de couverture et, surtout, de l'évolution des prix du sous-jacent. Ne rien faire peut être bénéfique, ou très coûteux. Trop se couvrir coûte cher et peut ne pas être optimal. Il convient surtout d'adapter sa stratégie de couverture afin d'être à l'aise quelle que soit l'évolution des prix, pour ne pas se retrouver dans une situation où toutes les réponses sont mauvaises. Anticiper est donc le maître mot. F.N.H. : A votre avis, quel rôle doit jouer la banque dans ce processus ? N'y a-t-il pas de conflits d'intérêts entre ce qu'elle recherche et ce que recherche le client ? M. D. : La banque est au titre de la couverture un intermédiaire financier. Pour des montages complexes de couverture, au gré-à-gré, elle a son utilité. Mais à moins d'être votre contrepartie, son rôle est assez neutre dans l'opération de couverture, se contentant d'être un exécutant de l'ordre donné. Peu d'organismes bancaires ont les compétences en interne pour donner des conseils judicieux en matière de couvertures et d'anticipations... F.N.H. : Pour un opérateur soucieux de se protéger des variations violentes des matières premières, surtout agricoles pour une économie comme le Maroc, quels sont les indicateurs à surveiller pour se faire une idée sur les tendances futures ? M. D. : Sur une vision de moyen terme, la tendance est votre amie, car elle a plus de chance de se poursuivre que de se retourner. L'utilisation d'un indicateur simple, les moyennes mobiles par exemple, permet de visualiser rapidement cette tendance. Si la moyenne monte, avec des cours au-dessus d'elle, la tendance est haussière tout simplement. Reste la problématique du timing d'intervention, au moins aussi important. Et là, il n'y a que l'expérience qui parle. F.N.H. : Pour vous, il est plus simple ou plus difficile d'anticiper les futurs mouvements qu'avant la crise de 2008 ? M. D. : La crise financière de 2008 a eu un impact différent en fonction des sous-jacents. Les marchés de matières premières ne sont pas plus compliqués maintenant qu'avant, ils sont justes dans une logique différente. Ils sont décorrelés des marchés actions. En effet, les déterminants de ces marchés à moyen terme, comme la croissance économique et démographique, n'ont pas disparu lors de la crise. L'impact des variations des changes prend par contre beaucoup d'importance, les dynamiques actuelles étant très importantes du fait des interventions des banques centrales dans l'économie.