Elles ont exigé des mesures draconiennes pour la mise en place d'un plan de restructuration de 400 MDH. Youssef Sekkat écarté, c'est Amar Drissi, désormais ancien haut cadre de l'OCP, qui va piloter le Groupe. Une tâche difficile en perspective, surtout pour une société qui aligne des agrégats dans le rouge. N on, ce n'est pas encore le clap de fin pour Maghreb Steel. Le sidérur-giste marocain continuera bel et bien ses activités grâce à un important plan de sauvetage où tout le monde a été mis à contribution : les actionnaires de Maghreb Steel, les banques et le ministère de l'Industrie, du Commerce et de l'Econo-mie numérique. L'accord de restructuration conclu avec ses partenaires financiers prévoit ainsi, entre autres, l'injection de 400 millions de dirhams de fonds propres d'ici 2017, dont 200 MDH dès cette année. De même, les partenaires finan-ciers se sont mis d'accord pour une «restauration des marges de manoeuvre de trésorerie à travers la restructuration de l'ensemble des encours ban-caires et financiers et la mise à disposition de concours addi-tionnels en vue d'accompagner le plan de transformation de l'entreprise». Mais cette forte mobilisation, finement enveloppée dans ce que le Conseil d'administra-tion de la société, tenue le 9 octobre, qualifie de «plan de transformation industrielle et commerciale profonde», a plutôt des allures d'une opé-ration «commando» initiée pour éviter une faillite quasi programmée de l'un des fleu-rons de l'industrie nationale. Et cela, le gouvernement, qui vient à peine de mettre en branle son fameux plan d'accé-lération industrielle, ne pouvait l'accepter. Une telle défaite, voire un tel affront aurait été impardonnable dans un pays qui s'efforce, depuis quelques années, de mettre en place un tissu industriel compétitif et performant. Les banques partenaires de Maghreb Steel, pour ne citer que la BMCE Bank, Attijariwafa bank ou encore Crédit du Maroc ne pouvaient elles aussi rester impassibles face à la déroute de cette société qui se dirigeait droit vers un mur... d'acier. Si la réaction du gouverne-ment est plutôt une question de fierté... nationale, celle des banques, l'on s'en doute, s'ins-crit plutôt dans une logique de sauvegarde de leurs intérêts financiers. Elles avaient mis des sous dans Maghreb Steel, il fal-lait donc sauver ce qui pouvait l'être. Quitte à mettre encore la main à la poche. «Les parte-naires financiers de Maghreb Steel n'ont pas vraiment eu le choix : au risque de tout perdre, ils ne pouvaient que souscrire à ce plan de restructuration pour espérer récupérer leur mise», explique une source très au fait du dossier. «Mais, comme ils sont durs en affaire, parti-culièrement dans des situa-tions pareilles, ils ont exigé des contreparties draconiennes tant sur le plan managérial que stratégique avant de souscrire à ce nouvel accord, fruit d'un compromis âprement discuté et où le ministère de tutelle a joué un rôle clé», ajoute notre source, non sans préciser que «les banques ont confisqué le pouvoir afin de s'assurer de la réussite de ce plan». Si notre source ne confirme pas que les banques ont expressément demandé le départ de Youssef Sekkat de la tête de Maghreb Steel et son remplacement par Amar Drissi, désormais nouveau Directeur général, il est cependant aisé d'imaginer que cela faisait par-tie de leurs exigences. D'autant que c'est sous la houlette de Sekkat que le leader marocain dans les produits d'acier plats a entrepris un long décrochage financier qui lui vaut aujourd'hui ce plan de sauvetage. «Sekkat a peut-être vu trop grand à tra-vers les 5,7 Mds de DH inves-tis dans l'unité sidérurgique à Mohammedia, comprenant une aciérie électrique et un laminoir à chaud de produits plats (tôles et bobines). Cette usine (capacité d'un million de tonnes, ndlr), à l'origine des difficultés financières actuelles de Maghreb Steel, n'est pour-tant pas en soi un mauvais investissement, d'autant que les banques y ont cru, mais c'est surtout le timing choisi qui est sujet à caution», explique notre source. La concurrence est passée par là Inaugurée en avril 2012 par le Roi, ce complexe industriel devait servir de locomotive dans le cadre de la stratégie de développement de Maghreb Steel. Mais c'était compter sans la chute des cours de l'acier, la crise économique en Europe, mais aussi et, sur-tout, la concurrence acerbe à laquelle fait face l'opéra-teur. Les premières difficul-tés sont ainsi apparues avant le démarrage de l'unité de Mohammedia, précisément lors du dernier trimestre 2011, quand Maghreb Steel a dû sus-pendre ses exportations afin de ne pas vendre à perte, le cours international de l'acier étant passé de 1.200 dollars à 500 dollars la tonne. A ce contexte défavorable, s'est ajoutée une concurrence que Maghreb Steel a jugée «déloyale» en accusant certains opérateurs, dont le géant Arcelor Mittal, de dumping. Par deux fois (la pre-mière en novembre 2012), il portera plainte auprès des pou-voirs publics marocains. Après des mesures de défenses com-merciales provisoires mises en place en novembre 2013 pour 6 mois, ces derniers lui donneront définitivement rai-son en septembre dernier en appliquant des droits antidum-ping pour 5 ans, malgré les cris d'orfraie lancés par les «accusés» (www.financenews. press.ma). Mais le mal était fait. Entre 2011 et 2012, les importations de tôle galvanisée et de laminé à froid avaient augmenté respectivement de 225 % et 238%, s'était indigné en septembre 2013 l'opérateur qui avait fait valoir que le secteur tourne en sous-régime, avec une production nationale évaluée à 1,5 million de tonnes, alors que la capacité de production des opérateurs est estimée à 2,5 millions de tonnes. Ces importations massives avaient engendré pour l'entreprise «une perte sur cette période évaluée à 500 millions DH». L'entreprise avait alors lancé un profit warning sur les résultats 2012. Pis, le sidérurgiste a été contraint, surtout face à la chute brutale des ventes, notamment en juillet et août 2013, de licencier 350 employés, créant un climat social délétère au sein de l'entreprise. Tâche herculéenne pour Amar Drissi Après avoir vécu plusieurs mois sous perfusion, Maghreb Steel se voit offrir une nouvelle chance de repartir du pied. Et c'est Amar Drissi qui aura la charge de faire passer l'opérateur d'un géant aux pieds d'argile à un géant aux pieds... d'argile. Une tâche loin d'être une sinécure, surtout pour une société qui affiche des fondamentaux pour le moins inquiétants : un chiffre d'affaires consolidé en baisse de 12,7% à 1,2 Md de DH au premier semestre 2014, un RNPG déficitaire de 255,7 MDH (contre un déficit 258,4 MDH au S1-2013) et des charges d'exploitation en léger repli de 0,3% à 1,4 Md de DH. En cela, l'EBE reste en territoire négatif à -26,1 MDH contre -37,1 MDH au 30/06/13, «reflétant l'insolvabilité financière de la société», explique une note récemment publiée par les analystes de BMCE Capital Bourse qui mettent en avant la dette nette colossale de Maghreb Steel (5,6 Mds de DH) et les fonds propres de 755 MDH, portant le gearing à 740%. C'est dire que Drissi, une «grosse tête» certes, a du pain sur la planche. Il devra user de toute son expertise que lui confère son passage dans des établissements aussi prestigieux que l'OCP, la Citibank ou encore le Groupe ONA afin de pouvoir remettre à flot Maghreb Steel. Mais au regard de l'ampleur de la tâche, cela sera-t-il suffisant ? Wait and see.