Carrefour naturel entre les cultures africaines, orientales et occidentales, Casablanca abritera du 3 au 12 octobre une manifestation qui réunira plus de deux cents artistes de renommée internationale et originaires de quelque 50 pays. Ils viendront présenter leurs oeuvres inspirées par cette parole de Paul Eluard «Un autre monde est possible, mais il est dans celui-ci». Autant d'opportunités de rencontres, d'échanges, autant d'interrogations sur le monde tel que nous le percevons, tel que nous le craignons ou tel que nous le rêvons. C'est la seconde fois que l'édition de la Biennale internationale se tient à Casablanca, elle mettra en relief le dynamisme de la scène artistique maghrébine tout en amorçant une connexion forte et durable de celle-ci aux circuits internationaux. Le siècle dernier a montré les limites des grandes idéologies. L'époque actuelle est perçue comme un grand champ de désillusion. Faut-il pour autant déclarer la faillite de l'utopie ? L'art et les artistes n'ont pas dit leur dernier mot. La création a toujours été le moyen de mieux percevoir le monde. N'est-il pas également celui de s'affranchir de la réalité, d'imaginer, d'inventer, de faire surgir du néant un monde parallèle, de donner forme à toutes les utopies, d'ouvrir le champ de tous les possibles ? Espace de convergence entre artistes des trois continents, la Biennale est aussi un lieu de découverte, les organisateurs ayant eu soin de réunir les oeuvres d'artistes de renommée internationale et d'autres tout aussi talentueux qui restent, cependant, moins médiatisés. Du 3 au 12 octobre 2014 donc, le public pourra aller à la rencontre des oeuvres de ces artistes tout au long d'un parcours comprenant des lieux emblématiques de la Ville blanche dont la Place des Nations Unies, l'ancienne église du Sacré-Coeur, l'Ecole des beaux-arts, le Sofitel Casablanca Tour blanche, l'Espace d'art Actua d'Attijariwafa bank, le hangar historique de Royal Air Maroc. L'Afrique sera à l'honneur cette année avec la présence de nombreuses oeuvres d'artistes de tout le continent, et notamment un focus sur la création au féminin «Africaines, 15 femmes en création» à l'Espace d'art Actua d'Attijariwafa bank. Des workshops et des tables rondes sont prévus afin de prolonger le dialogue entre le public et les artistes. L'art est aujourd'hui un vaste champ par lequel affleurent de nouvelles formes d'utopies, des «micro-utopies» ou encore des «utopies interstitielles». Aux peurs ambiantes, aux mouvements de repli sur soi, d'enfermement, de ce sentiment d'impossibilité d'oeuvrer publiquement à une construction sociale et politique, qu'est-ce que l'art nous propose-t-il ? Est-il encore possible de crier, comme le poète l'a affirmé «qu'un autre monde est possible» ? Renseignements complémentaires sur www.biennalecasablanca.ma Commentaire Les nouveaux penseurs et la crise Il y a quelque trois décennies, Abdallah Laroui, historien et homme de pensée, publiait aux Editions Maspéro, à Paris, un livre qui avait fait date «La crise des intellectuels arabes». Texte critique, nourri de références et porté sur l'esprit d'une radioscopie «objective», le livre concluait à la crise de la pensée arabe, confrontée à l'émergence d'une pensée nouvelle, le structuralisme, vacillant entre tradition et modernité. Un défi, une quête d'identité et l'historien qu'il est, n'avait pas hésité à faire usage d'une interdisciplinarité, défrichant les sentiers de l'histoire, de la sociologie, de l'anthropologie, de l'économie même, de la psychanalyse en vogue et des lettres bien sûr. Un tel détricotage procédait d'une seule exigence : alerter nos sociétés sur le tassement de la pensée arabe, pourtant fertile et féconde dans les années soixante. Alerter également sur le risque de recul même, à la fois de la production de qualité et de l'intégration dans la modernité. Il est vrai, néanmoins, que les années soixante se caractérisaient par des textes et des livres de combat, marxisme oblige, et les intellectuels arabes assumaient avec courage une réflexion trempée dans le devoir de vérité...Ils étaient, pour ainsi dire, engagés ! De Samir Amin (Hassan Riad) à Anouar Abdelmalek, de Adonis à Abdallah Laroui ou feu Abdelkébir Khatibi, en passant par Kateb Yacine, Mohamed Arkoun, Khair Eddine, Tahar Benjelloun, pour ne citer que ces derniers, le champ était riche et clair à la fois. Aussi bien en Europe ou aux Etats-Unis qu'au Maroc même ou dans les pays arabes. Comparaison n'étant pas raison, les temps nouveaux portent en eux une inquiétude : la pesanteur de la politique, le poids de la création menacée par les totalitarismes, les discours d'exclusion, et l'émergence de la culture numérique qui, outre la réduction du débat intellectuel, robotise la pensée. Or, l'écrit ne disparaît pas, car le meilleur compagnon de l'homme reste le livre et le document que l'on conserve précieusement dans ses gestes quotidiens...Le livre, l'auteur et ses lecteurs résistent à l'envahissement. Les nouveaux talents dont des hommes et des femmes incarnent le visage pur et désintéressé animent fort heureusement le débat. Ils sont entre autres : Ali Lahrichi, Bouthaina Azamy, Souad Mekkaoui, Hassan Bakhssis, Ahmed Ghayet, Rida Dalil, Baha Trabelsi....Ils sont enracinés, chacun(e) dans la réalité sociale du Maroc.