Pour se donner des moyens à la hauteur de ses ambitions de développement et de gouvernance, le Maroc a érigé en 2011 en principe constitutionnel la lutte contre la corruption. Contre toute attente de la part du patronat et de la société civile, le nouveau projet de loi 12-113 relatif à l'Instance nationale de la prévention et de la lutte contre la corruption constitue un sacré retour en arrière. La Constitution de 2011 avait clairement défini les contours pour lutter efficacement contre la corruption qui constitue le plus grand travers pouvant plomber, voire stopper net l'ambition de développement que le Royaume s'est assignée au cours des dernières années. La loi suprême à travers son article 36 précise en substance, et avec force d'ailleurs, la nécessité de sanctionner conformément à la loi, les infractions inhérentes aux conflits d'intérêts, aux délits d'initié et toutes les infractions d'ordre financier. Le même article prévoyait la mise sur pied d'une nouvelle instance de la probité, de la prévention et de la lutte contre la corruption. Sauf que trois ans après, il est constaté que la traduction juridique du dispositif constitutionnel à travers le projet de loi 12-113 relatif à l'Instance nationale de la prévention et de la lutte contre la corruption semble constituer une reculade. Le constat est amer Ce sentiment a été largement partagé lors de la rencontre organisée par le patronat marocain, la CGEM, en partenariat avec le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD). Cet événement s'est attelé à apporter une réponse tranchante à un questionnement de taille, celui de savoir si la nouvelle instance de lutte contre la corruption qui sera mise en place par le nouveau projet de loi adopté en conseil de gouvernement le 26 juin 2014, est en phase avec les exigences d'une économie saine et compétitive. A en croire, Salaheddine El Kadmiri, Vice-président général de la CGEM, il serait ardu de répondre par l'affirmative puisque la nouvelle instance en charge de la probité et la lutte contre la corruption devrait être dotée de réels pouvoirs (auto-saisine, pouvoir d'investigation large) et surtout d'une réelle indépendance. En présence de Mohamed El Ouafa, ministre délégué chargé des Affaires générales et de la Gouvernance, le Vice-président du patronat marocain a tenu un discours ferme sur la corruption pouvant gangréner le pays. «Dans l'indice de perception de la corruption, le Maroc est classé à la 96ème place», clame-t-il. Et d'ajouter que : «Ce fléau crée l'asservissement à l'argent, tout en faisant la part belle à la médiocrité aussi bien au niveau de l'administration que des entreprises». Pour sa part, Arkan El Seblani, représentant du PNUD au Maroc, s'est efforcé de rappeler qu'il subsiste un prix élevé du retard que prend la lutte contre la corruption dans tous les pays qui connaissent ce mal endémique. Celui-ci reste par ailleurs convaincu qu'il existe un lien étroit entre développement et bonne gouvernance. S'il est largement admis que lutter efficacement contre la corruption suppose l'existence d'entités de gouvernance fortes et indépendantes, le nouveau projet de loi instituant l'Instance nationale de la probité, de la prévention et de la lutte contre la corruption suscite beaucoup d'inquiétudes à ce niveau. La CGEM et l'association Transparency Maroc s'accordent clairement sur le caractère timoré du projet de loi instituant la nouvelle instance pour lutter contre la corruption, et ce en comparaison de l'avant-projet de loi publié en octobre 2012 sur le site du Secrétariat général du gouvernement. Un projet de loi en demi-teinte ! Or, de l'avis du représentant du PNUD au Maroc, des instances de gouvernance indépendantes et crédibles peuvent contribuer à drainer davantage d'IDE au Maroc. Cela dit, Transparency Maroc représentée par Rachid Filali Meknassi, lors de l'événement, n'y est pas allée avec le dos de la cuillère dans sa dénonciation du projet de loi qualifié de texte de «a minima». L'association fustige ainsi un mandat étriqué de la nouvelle instance de lutte contre la corruption, tout en lui collant l'étiquette d'une institution administrative inappropriée qui aurait une portée limitée car essentiellement d'ordre consultatif. Le pouvoir d'investigation de la future instance serait aussi limité puisque les services publics saisis par celle-ci sont libres de répondre ou non à ses demandes d'information ou de donner ou non suite à ses conclusions. A en croire Transparency Maroc, le nouveau projet de loi dont le parlement est saisi, traduit un déni d'indépendance pour l'instance de lutte contre la corruption. L'exiguïté des pouvoirs de cette entité se reflète entre autres, par une limitation du pouvoir individuel et collectif des membres en raison de leur mode de désignation. Même l'indépendance financière de l'instance est remise en cause puisque d'après Transparency Maroc, l'actuel projet de loi passe sous silence la possibilité de recourir à des financements extrabudgétaires. En définitive, le patronat et d'autres entités versées dans la lutte contre la corruption ont à travers la rencontre amplement joué leur rôle d'alerte en exprimant au gouvernement représenté par Mohamed El Ouafa, les principaux facteurs de vulnérabilité que recèlerait le nouveau projet de loi relatif à l'instance de lutte contre la corruption. A ce titre, l'unique question qui se pose est de savoir si leur message est suffisamment passé pour être pris en compte dans la loi qui devrait entrer en vigueur prochainement.