Dans le cadre du Salon international de l'agriculture de Meknès (SIAM), la journée du samedi 26 avril aura constitué un temps fort. Ce que l'on pourrait appeler l'un des actes finaux de cette manifestation. Elle a été dédiée à l'Afrique, avec un thème plus que porteur : «Le financement de l'agriculture en Afrique» et, comme organisateur et maître d'oeuvre, le groupe du Crédit Agricole du Maroc (CAM). Tirant une brillante conclusion à la fin des travaux qui ont mis en exergue les différents modèles, ainsi que les difficultés partagées, Tariq Sijilmassi, président du Directoire du groupe Crédit Agricole du Maroc affirme : «Je voudrais conclure dans le sillage de Moussa Seck qui, des schémas de l'Afrique renversée, nous a donné une vision nouvelle de la réalité africaine que nous vivons, il l'a fait sur le plan géologique et géographique. Je voudrais faire la même chose sur le plan financier, à chacun son métier, n'est-ce pas !» «Nous vivons, a-t-il indiqué, une ère inédite où les paradigmes financiers sont en train de changer en profondeur. Je ne voudrais pas avoir la prétention d'y apporter la réponse, mais de souligner et soulever 7 points qui sont autant d'interpellations. A l'issue de ce Forum consacré au financement de l'agriculture en Afrique, ces points peuvent constituer des repères, des axes méthodologiques sur lesquels nous pourrions nous retrouver en d'autres occasions pour nourrir nos réflexions... Ce Forum, je vous l'annonce, en est à sa 1ère édition et deviendra un forum annuel... pour jeter les bases d'une réflexion qui pourraient nous servir pour les forums à venir», ajoute-t-il. Dans son intervention, Tariq Sijilmassi a délivré les sept clés de succès de l'agriculture en Afrique. «Le premier point est que, dans les rapports Sud-Sud, une révolution majeure s'est produite, avec la crise financière 2007-2008, appelée la crise des «subprimes», qui a induit une crise de «crédit crunch» qui a ensuite entraîné une crise économique, laquelle est devenue une crise sociale. Cet enchaînement de catastrophes, comme on n'en avait pas vu depuis la crise de 1929, a causé un véritable changement, y compris dans la manière de voir le monde financier à travers la planète. Nous ne regardons plus nos confrères africains ou ceux du Nord à travers le même regard ébahi d'il y a quelques années. C'est une réalité ! Avant, les leçons venaient du Nord vers le Sud, à présent nous autres banquiers du Sud pourrions peut-être donner quelques leçons aux banquiers du Nord, de gouvernance, de sagesse africaine : - On a vu la sortie d'un certain nombre de grands groupes européens du capital de banques africaines qui ont été remplacés, avec bonheur, par des groupes africains. A cet égard, le Maroc a pris une part importante dans cette évolution avec d'autres pays d'Afrique. - Le deuxième point est la prise de conscience qu'un modèle de coopération Sud-Sud devait prendre le relais de celui du Nord-Sud. Imaginez qu'il n'y a pas si longtemps encore, pour aller au Sénégal ou au Mali, il fallait transiter par Paris. Nous pensons que de la même manière qu'il existe un marché commun au niveau de l'Europe, pourquoi n'y aurait-il pas un marché commun au niveau des pays du Sud ? Le marché commun européen avait démarré par la mise en commun des richesses du charbon et du fer...Peut-être que le marché commun Sud-Sud pourrait voir le jour avec la mise en place d'une politique agricole commune africaine ! C'est un rêve, mais nous autres banquiers et financiers sommes là pour dire que nous devrions accompagner ce rêve. - Le troisième point est le degré de maturation désormais atteint par certains grands groupes. En fait, les règles de Bâle II et Bâle III sont venues réglementer le système financier mondial. Nous y adhérons, mais elles sont venues surtout corriger des défaillances, des «golden boys» de la City de Londres et de Manhattan, des banques comme Lehman Brothers qui ont commis des erreurs financières majeures et, ce faisant, je ne vois pas pourquoi ces règles bâloises devraient punir le petit agriculteur africain qui n'y est pour rien, qui n'a pas provoqué de crise financière ? La maturité atteinte par les banques africaines, à présent, nous autorise désormais à tenir un discours plus volontariste, pour nous permettre de nous affirmer et tenir compte des réalités de l'Afrique, et récuser les dérives qui sont le fait des banques non africaines. - Le quatrième point concerne le commerce entre pays du Sud, devenu suffisamment important pour soutenir des outils bancaires spécifiques et constitue une opportunité d'investissement pour les groupes bancaires. Nous devons, en tant que banquiers, accompagner les opportunités d'investissements, et pas seulement par les outils du commerce international, nous devons nous intéresser à la logistique, aux transports, aux échanges commerciaux Sud-Sud, etc.. C'est pour nous quelque part, la nouvelle frontière bancaire. - Le cinquième point est relatif aux mutations technologiques qui sont en train de révolutionner en profondeur le métier de banquier agricole. Par définition, nous travaillons sur un terreau difficile qui est un espace géographique très vaste, caractérisé par des éloignements importants, il y a l'agence, mais le client est à quelques dizaines voire une centaine de kilomètres plus loin...Si la relation agence-client était jusque-là extrêmement difficile, à présent elle est plus facile grâce aux nouvelles technologies, l'information, l'Internet, la téléphonie mobile qui renforcent le rapprochement entre la banque et le client. Il nous faut remporter cette bataille d'intégration des nouvelles technologies, réduire les distances et faire de la distance géographique notre alliée et non une contrainte. - Le 6ème point porte sur la création de hubs, à l'instar de ceux des compagnies aériennes, et je citerai la compagnie aérienne marocaine qui, confrontée aux problèmes de survie, s'est adossée à un hub intercontinental. Les banques, les places financières doivent comprendre qu'un «cluster» régional est devenu un concept gagnant. Nous autres banques devrions accompagner la mise en oeuvre de ce concept de hub et l'adapter aussi à notre organisation interne. - Enfin le 7ème point est une réflexion sur la financiarisation des activités. On a parlé d'agropoles et de grandes cultures, il nous faudra – et au Maroc c'est déjà lancé – développer des instruments financiers, sous forme de Fonds d'investissements, de sociétés spécifiques «ad hoc», créés pour ça, qui permettront de transformer l'activité agricole basique en une activité susceptible d'être financiarisée, autrement dit intéressant des Fonds d'investissement. Nous devons créer le lien entre les investisseurs financiers et le producteur. Par la financiarisation des outils de gestion du financement agricole, nous devons à terme, pouvoir émettre des obligations agricoles, des obligations ouvertes, être en mesure de créer des Fonds d'investissements dédiés exclusivement à la réalisation des grandes exploitations agricoles ou des grandes agropoles ! Donc, la financiarisation de l'activité agricole qui auparavant était inexistante, est une piste significative qu'il convient de prendre en compte».