C'est un coup d'Etat, une sorte de pronunciamiento auquel Hamid Chabat, secrétaire général contesté de l'Istiqlal, vient de procéder mardi 17 décembre : il a exclu du parti ses adversaires, les dirigeants du courant «Bila Hawada» (sans répit) qui se trouvent poussés à la porte du parti. Les principaux représentants du courant adverse du secrétaire général de l'Istiqlal, à savoir principalement Abdelouahed El Fassi, Latifa Bennani-Smires ou encore M'hamed Khalifa, ont été exclus du Conseil national, l'instance décisionnelle du parti. La décision de les mettre dehors se base sur l'article 84 du règlement interne du parti. «Tout membre qui s'absente à trois reprises d'affilée à une réunion du Conseil national est considéré comme démissionnaire», a expliqué Hamid Chabat qui a insisté sur le terme de «démission» et non «exclusion». C'est un feuilleton à rebondissements spectaculaires ! Il se nourrit des paradoxes du champ politique national. Et ceux-ci ne manquent pas d'émailler la chronique au point qu'ils sont devenus la règle. En témoigne la décision de la Cour d'appel de Rabat d'ordonner une enquête préliminaire sur les recours pour invalidation de l'élection du secrétaire général et des vingt-cinq membres du comité exécutif de l'Istiqlal. Elle privilégie ainsi l'hypothèse d'une invalidation de l'élection et donne l'espoir à Abdelouahed El Fassi, candidat malheureux à la tête du parti, battu dans des conditions que ses partisans qualifient de contestables ! Du plan purement politique, voire partisan, le conflit entre les deux hommes et les deux courants se déplace ainsi sur le terrain judiciaire. C'est peu dire que le parti, fondé il y a 70 ans par Allal El Fassi et ses compagnons, est aujourd'hui placé dans l'œil du cyclone, menacé d'éclatement ! L'actualité du parti se résume ainsi à un «casus belli» entre deux grands blocs, celui de Chabat et celui d'El Fassi, fils du leader historique. Le premier a été élu en septembre par 486 membres de la Commission nationale lors du houleux 16ème congrès national, le second battu, certes, mais requinqué à la tête de l'Association «Sans relâche dans la défense des fondamentaux» qui compte pas moins de 360 partisans mobilisés à tous les niveaux pour contester et fragiliser le leadership de Hamid Chabat. On ne peut pas ne pas invoquer un «duel au sommet du parti», dont le premier risque qui se profile est une implosion ! C'est la première caractéristique qui saute désormais aux yeux des observateurs qui suscite débats et commentaires dans les chaumières et nous laisse sur notre faim. Il faut remonter aux origines de cette situation pour en saisir à la fois la portée, en comprendre les tenants et aboutissants et justifier l'interrogation sur l'existence. La montée en puissance de Hamid Chabat depuis 2003, date à laquelle il avait été élu maire de la ville de Fès, constituait une revanche contre l'establishment de son parti, auquel il reprochait un élitisme certain, et contre tous ceux qui ont feint de mettre en cause son style et son langage ! Tout au long de sa campagne électorale, Hamid Chabat a usé de la carotte et du bâton et souvent de la menace. Il s'était fait le chantre du discours expéditif, jouant sur un double registre, à la fois rassurant et menaçant, déployant un discours manichéen. A Agadir, il n'a pas hésité à épingler – et ce fut à vrai dire déjà une manière d'annoncer la couleur – certains des ministres du Parti de l'Istiqlal, à qui il reprochait non seulement de soutenir son adversaire, Abdelouahed El Fassi, mais de le dénigrer, révélant quelques-unes de leurs pratiques. On comprenait qu'il mettait en cause un certain Mohamed Elouafa, ministre de l'Education nationale, gendre de Allal El Fassi, ou encore un Nizar Baraka, ancien ministre de l'Economie et des Finances qui, selon lui, aurait promis de rendre service à quelques-uns en contrepartie de leur voix en faveur de Abdelouahed El Fassi. Le maire de Fès, tout à sa conquérante ascension, n'a pas lésiné pour arracher la victoire, et défiant les caciques de son parti, il a kidnappé le syndicat, l'UGTM, un certain dimanche de septembre 2012 pour s'imposer. Une manière de prise en otage que ses adversaires s'échineront aujourd'hui à dénoncer, en vain ! La justice dira son mot dans cette affaire, mais d'ores et déjà, la fracture est avérée au sein d'un parti qui aura connu pendant 70 ans un calme serein, participé 28 ans aux différents gouvernements du Maroc depuis l'Indépendance, incarné le pôle fort et, parfois, le premier rôle – notamment entre 2007 et 2012 – et qui s'est fait ravir la place par le PJD, avant de connaître le séisme actuel. En portant le 23 septembre 2012 Hamid Chabat à la tête de leur parti, les militants istiqlaliens n'ont pas pour autant rejeté le «clan fassi», mais exprimé leur volonté de changer le paysage interne de leur maison. Ils se sont adaptés, en somme, au nouveau discours ambiant : le néopopulisme qui s'instaure depuis quelques temps maintenant dans les chapelles politiques, gagne bien sûr le PJD en premier, l'Istiqlal et l'USFP même. Que deviendra le parti de l'Istiqlal dans les mois à venir ? La décision de justice ne pourra jamais le replâtrer parce qu'il sera traversé et divisé par les deux courants, quoi qu'on en dise et espère ! Les échéances électorales de 2015, notamment les scrutins municipaux, le mettront au pied du mur ! Il ira à la bataille en rangs dispersés, même si Hamid Chabat, confirmé par la Cour d'appel, s'alliera comme c'est le cas aujourd'hui à l'USFP, l'Union constitutionnelle, voire le PAM...