Mohamed Tazi, Directeur général de l'Association marocaine des industries du textile et de l'habillement (Amith), procède à un balisage exhaustif du secteur. Il passe en revue les différentes opportunités qui s'offrent au textile national sur les marchés internationaux, tout en relevant les défis majeurs à transcender. Finances News Hebdo : Globalement, l'année 2013 marque-t-elle une année prometteuse pour le textile marocain ou au contraire une période de morosité ? Mohamed Tazi : L'apparition des premiers signaux de sortie de crise en Europe, marché de prédilection pour nos exportations textiles, est parmi nos principaux motifs de satisfaction. Comme attendu, l'activité au sein de la zone euro a renoué à partir du second semestre 2013 avec la croissance (y compris en Espagne et en Italie, même si de manière moins soutenue). Sans être démesurément optimiste, on peut dire que la récession en 2013 sera évitée, et qu'il est sans doute exagéré de parler de reprise. Le terme «éclaircie» semble plus approprié. L'autre motif de satisfaction est à retrouver au niveau de la consommation textile qui a enregistré en 2013 dans l'UE une croissance sur 3 mois consécutifs : +3% en juin, +2,5% en juillet et +1,5% en août. Pour mémoire, cette situation n'a plus été enregistrée depuis 2008. La météo exceptionnelle a sans doute favorisé les ventes textiles, mais les conjoncturistes décèlent aussi un début de changement dans le comportement des consommateurs qui ont de plus en plus envie d'acheter et de se faire plaisir. L'ensemble de ces éléments nous fait penser que consécutivement à des mois de récession, l'éclaircie se confirme et se retrouve d'ailleurs au niveau des exportations textiles marocaines. Au terme du 1er trimestre 2013, elles enregistrent un bond de 9% par rapport à 2012. F. N. H. : Par rapport à la concurrence (Turquie, Chine, Inde, Bangladesh, etc.), quels sont les plus grands défis pour les exportations du secteur? M. T. : L'autre élément qui mérite d'être signalé réside dans l'arbitrage globalement favorable à la zone Euromed en matière de stratégies de sourcing des donneurs d'ordres européens. Ces derniers privilégient de plus en plus le Nearshore (import de proximité) au détriment du Farshore (grand import). Ce phénomène s'explique par l'orientation progressive des producteurs asiatiques vers la satisfaction, en priorité, de leurs marchés intérieurs et par l'inflation enregistrée au cours de la période récente dans les coûts de production asiatiques. Ce phénomène est déjà visible au niveau de la Chine, dont les importations ont connu en 2013, et pour la seconde année consécutive, une régression de l'ordre de 10% après une décennie de croissance à deux chiffres. Le Bengladesh continue d'avoir les faveurs des Européens mais enregistre une décélération dans le rythme de la progression de ses exportations +4%, probablement expliquée par l'impact négatif de l'Arena Plazza. Les exportations textiles de la Turquie, qui au demeurant est la première puissance textile au niveau de la Méditerranée progresse de 4%. Le Maroc, pour sa part, gagne un rang dans la hiérarchie des fournisseurs d'habillement de l'UE et enregistre la plus forte progression au sein de la zone Euromed et la 3ème à l'échelle mondiale, à un moment où la Tunisie impactée par son instabilité politique est en baisse de 7%. F. N. H. : Aujourd'hui, l'évolution du coût des facteurs de production est-elle un handicap pour votre secteur ? M. T. : Il est incontestable que la variable prix a toute son importance lorsque le marché est en récession. Toutefois, on n'est plus dans la situation où l'écart des prix justifierait que les donneurs d'ordres cèdent à l'appel du sourcing lointain. Aujourd'hui, avec la hausse des coûts de production en Asie, ceux dans la zone de proximité supportent de plus en plus la comparaison avec l'Asie. De plus, l'atout majeur de la région Euromed est sa grande maîtrise du modèle de Fast Fashion qui exige des produits de mode, de haute qualité qui doivent être livrés de manière flexible et dans des délais très courts. Cette péréquation est très favorable à la zone de proximité dont fait partie le Maroc. L'avenir du textile dans cette région est intimement lié à notre capacité de construire une filière textile équilibrée, horizontalement intégrée, innovante et compétitive. C'est le sens de l'intense travail mené conjointement au cours des derniers mois entre l'Amith et les pouvoirs publics afin de revisiter la stratégie textile et de construire un nouveau partenariat public-privé innovant et gagnant-gagnant. F. N. H. : Qu'attendez-vous concrètement de l'Etat pour la promotion des exportations des produits textiles nationaux ? M. T. : A travers le diagnostic sans tabou de la situation de notre industrie, des benchmark avec les modèles de référence complétés par des études prospectives réalisées par des experts nationaux et internationaux, il ressort clairement l'existence d'opportunités réelles pour notre industrie pour reconquérir des parts de marchés aussi bien à l'export que sur le marché domestique. A l'export les dynamiques des marchés internationaux sont tendanciellement favorables au Maroc du fait du déplacement du centre de gravité de la consommation textile de l'Europe occidentale vers l'Asie. Des espaces vont se libérer en Europe et ne demandent qu'à être occupés par ceux qui sont les mieux préparés. Par ailleurs, délivré de l'informel et des importations sauvages, le marché domestique marocain qui connaît une forte croissance pourrait être reconquis par la production nationale ce qui crédibiliserait davantage l'export. C'est autour de ces deux challenges que nous avons construit toute l'architecture du plan textile 2025 et les dispositifs de soutien qui en découlent. F. N. H. : Où en est le contrat-programme du secteur et quel est son véritable impact sur les exportations et la consommation intérieure des produits textiles? M. T. : La stratégie ayant été actée en juin dernier par les pouvoirs publics, nous oeuvrons aujourd'hui ensemble pour opérationnaliser les dispositifs de soutien dont les premières mesures seront intégrées, nous l'espérons, au niveau de la Loi des Finances 2014. S'il est bien exécuté, le Plan textile 2025 permettra de multiplier par 2, voire 3 la taille du secteur et arriver à créer 250.000 à 300.000 nouveaux emplois et porter nos exportations textiles à plus de 100 Mds de DH.