Les discours que Sa Majesté le Roi Mohammed VI prononce chaque deuxième vendredi d'octobre, à l'occasion de l'ouverture de la session d'automne du Parlement, constituent un acte de foi. Ils ont une portée multidimensionnelle, d'autant plus soulignée qu'ils sont aussi une «feuille de route» à laquelle le chef de l'Etat, qu'il incarne, imprime une tonalité particulière. L'exercice est remarquable, il traduit une volonté de renouvellement en termes de thématiques, de méthodologie et d'objectifs. Si le rituel, bien respecté, est le même, la dimension discursive change en revanche chaque année. Les membres du gouvernement, les institutionnels, les commentateurs, les analystes, les responsables à tous les niveaux, les représentants de la société civile, le peuple dans ses diverses composantes s'en donnent à cœur joie, dans leur exercice de décorticage du discours royal. Le discours prononcé le vendredi 11 octobre 2013 aura, néanmoins, retenu particulièrement l'attention du peuple marocain. Non que les autres allocutions n'aient pas eu une teneur exceptionnelle, mais le contenu du dernier a secoué les consciences, parce que les termes auxquels le Souverain a recouru, la langue de vérité qu'il a utilisée, les sujets même abordés avaient un air de grand changement pédagogique. Un discours-bilan en l'occurrence, mais une prestation saluée par le peuple comme l'une des plus fortes. Un discours programme aussi, parce que le Souverain ne s'est pas contenté de relever et de pointer du doigt les failles de gestion, les manquements et les inerties, il en a appelé à plus de mobilisation et d'efficience. Prononcé au lendemain de la nomination des membres du nouveau gouvernement à laquelle il a procédé, le discours devant le parlement comporte, entre autres, quatre grands volets prédominants : les institutions, notamment parlementaires et territoriales ; le statut de l'opposition qui devrait pouvoir jouir d'une reconnaissance et faire valoir ses droits; la gestion de la ville de Casablanca dont les manquements ont été mis en exergue au point de favoriser le chaos. Les deux chambres du Parlement célèbrent conjointement le cinquantième anniversaire de la fondation du parlement marocain, dressant par-là une manière de bilan institutionnel. Ce qui a inspiré ce propos de S.M. le Roi : «La pratique parlementaire pluraliste dans notre pays ne date pas d'hier. Il s'agit plutôt d'un choix stratégique s'étalant sur un demi-siècle, et qui procède de la foi profonde du Maroc et de ses forces vives dans les principes démocratiques». Il a pris soin, en revanche, de prévenir fermement : «le mandat parlementaire est une mission nationale majeure et non une rente politique» ! Un statut pour l'opposition Et le Souverain, après avoir salué la pratique parlementaire et le modèle marocain qui lui sert de levier, de faire le lien organique entre institutions nationales, régionales et locales. En soulignant la mission dévolue aux parlementaires, S.M. le Roi a déclaré : «Nous vous engageons également à assumer pleinement vos responsabilités dans l'accomplissement de vos missions législatives. Car, en définitive, ce qui importe le plus pour Nous, ce n'est pas seulement la quantité de lois adoptées, mais également et surtout la qualité législative de ces lois». Voilà donc une interpellation à lutter contre l'inflation de textes qui caractérise l'activité institutionnelle et, partant, la freinent. Cette session comporte aussi une nécessité, dont il convient de souligner l'importance : l'adoption des lois organiques, clé de voûte d'un fonctionnement efficient du parlement. Le Souverain a déclaré : «Lors de l'élaboration et de l'adoption de ces lois organiques, nous vous recommandons de vous astreindre à une démarche participative la plus large possible, à l'instar de celle ayant caractérisé l'adoption de la Constitution». Et dans la foulée, il en appelle à «l'adoption du statut de l'opposition parlementaire, afin que celle-ci puisse remplir son rôle de contrôle de l'action gouvernementale, de formulation d'une critique constructive et de présentation de propositions et d'alternatives réalistes, au service des intérêts supérieurs de la nation» ! Faut-il rappeler que l'encre du discours royal n'avait pas encore séché que, déjà, prompte à l'activisme, cette même opposition est montée au créneau pour dénoncer avec vigueur «l'inconstitutionnalité» de l'entrée en scène du parlement par le gouvernement Benkirane II, pressé de se conformer au rituel de la Déclaration gouvernementale qu'il rejette. Pour ce faire, le Conseil constitutionnel a été même saisi, mais n'a pu y répondre, déclarant être «incompétent» en la matière ! Une démocratie participative, à laquelle chacun s'attache et que le Souverain veut promouvoir, pourrait-elle exister sans une dynamique parallèle, celle des Régions et des communes. Là aussi, le Souverain a été plus que clair, en affirmant notamment que «le mandat communal, local ou régional est encore plus important dans la réalité politique nationale, dans la mesure où il est lié au vécu quotidien des citoyens qui choisissent les personnes et les partis qui sont appelés à gérer leurs affaires quotidiennes» ! Il requiert loyauté, intégrité, un sens élevé des responsabilités et la proximité avec le citoyen...A ce florilège de qualités intrinsèques à la mission des élus locaux, le Souverain apporte, cependant, la nuance d'une réalité proprement révoltante qui est la catastrophique gestion de la ville de Casablanca. Là, c'est un couperet qui est littéralement tombé, après avoir souligné son attachement à la ville, l'intérêt qu'il porte à sa réputation de ville moderne, les projets qu'il lance et les visites sur le terrain. Il a souligné le cruel décalage entre la vision paranoïaque de certains et la réalité d'une gestion calamiteuse. Un hub financier international ? Le Souverain répond : «En réalité, la transformation de Casablanca en hub financier international exige d'abord et avant tout des infrastructures et des services de base, répondant aux normes mondiales. Elle requiert, en outre, la consolidation des règles de bonne gouvernance, la mise en place d'un cadre juridique approprié, la formation de ressources humaines hautement qualifiées et l'adoption de techniques et de méthodes de gestion modernes. Malheureusement, Casablanca ne réunit pas tous ces atouts, malgré les grands efforts en matière d'équipement et d'investissement, surtout pour ce qui est de la mise à niveau urbaine». Et S.M. Mohammed VI de s'interroger gravement, d'être en somme le porte-parole des millions de citoyens qui ont à cœur de dire ce qu'ils n'osent pas dire, mais que le Roi exprime à leur place , avec éloquence : «Mais pourquoi cette ville, qui compte parmi les plus riches du Maroc, ne connaît-elle pas concrètement l'essor auquel aspirent les Casablancaises et les Casablancais, à l'instar de beaucoup d'autres villes ? Est-il raisonnable qu'elle reste à ce point un espace de grandes contradictions, jusqu'à devenir l'un des modèles les plus faibles en matière de gestion territoriale ?». Il a mis en exergue le déficit de gouvernance, les disparités économiques et sociales, la cohabitation scandaleuse de gratte-ciels et de bidonvilles, la misère qui côtoie la finance et les affaires et d'autres déficiences criardes. Et d'inviter les responsables à revoir leur copie de la gestion de la ville, à se pencher sur les dossiers avec diligence et réalisme... Le discours que S.M. le Roi a prononcé devant le parlement est une «leçon de choses», didactique, inspirée de la sagesse et d'une rédhibitoire volonté de changer les mentalités.