Sous la férule d'une forte impulsion royale, l'Etat a mis en place une batterie de mesures pour résorber le déficit de logement social, estimé, aujourd'hui, à plus de 800.000 unités. Si le rythme de progression des constructions semble être sur la bonne voie, en revanche, des dysfonctionnements flagrants risquent de mettre à rude épreuve les politiques publiques en la matière. L'Etat n'a pas lésiné sur les moyens (institutionnel, juridique, fiscal et financier) pour promouvoir avec célérité l'essor du logement social sur l'ensemble du territoire. Il faut noter que la construction de ces logements, faisant l'objet d'une convention, bénéficie d'avantages fiscaux importants (IS, IR, TVA). Entre 2003 et 2009, près de 8.832 hectares relevant du domaine de l'Etat ont été mis à la disposition d'institutions œuvrant dans le développement du logement social. Ainsi, d'après les conventions signées entre l'Etat et les promoteurs immobiliers, plus de 500.000 logements sociaux seront disponibles d'ici 2016. Pour des prix allant de 140.000 à 250.000 DH, il est certain que, sans exonérations fiscales et une mobilisation foncière conséquente de l'Etat, l'engouement des professionnels envers ce segment aurai été impossible à susciter. D'autant plus que l'urgence était bien réelle, car les études du HCP faisaient état d'un déficit d'un million de logements sociaux. Parmi les moyens financiers déployés par l'Etat pour le secteur, figure le fonds de solidarité habitat consacré dans le budget. Sur le plan institutionnel, le groupe Al Omrane, sous tutelle du ministère de l'Habitat et de l'Urbanisme, joue un rôle pionnier dans le domaine de l'exécution des programmes publics de construction. Le groupe a signé une convention pour la réalisation de 130.000 logements à 140 000 DH entre 2008 et 2012. A titre prioritaire, les ménages défavorisés doivent avoir accès à la propriété de ces logements sur la base de critères précis : ménages ayant un revenu mensuel inférieur à 2 fois le SMIG, soit à peu près 4.000 DH. De réels progrès inhibés par une palette de dysfonctionnements Au demeurant, la question qui s'impose est de savoir si ces logements sociaux profitent effectivement aux personnes vulnérables économiquement. Ces habitats sociaux sont-ils à l'abri de la spéculation immobilière qui règne dans certaines agglomérations du pays ? Autant de questions que soulève le problème emblématique du logement social au Maroc. L'objectif des professionnels de l'immobilier est de livrer plus d'un million de logements sociaux d'ici 2020. De l'avis de certains experts, cet objectif est réalisable, du fait que les promoteurs immobiliers trouvent leur compte dans la production de logements économiques. A titre illustratif, le groupe Addoha, leader de l'immobilier au Maroc, a réalisé près de 70% de son chiffre d'affaires dans le segment du logement social en 2012. Ce qui l'a conduit, sans doute, à revoir ses prévisions à la hausse et à s'engager dans la production de 150.000 logements au prix de 250.000 DH d'ici 2015. En outre, les chiffres du ministère de tutelle font état de 90.338 unités d'habitat social produites rien qu'au premier semestre 2013. Cela représente une hausse de 56,8% par rapport à la même période de 2012. Les avis des professionnels sont unanimes quant à la capacité du pays à enrayer à terme le déficit en logement social. En revanche, cet élan est entravé par des dysfonctionnements notoires auxquels, il est urgent de remédier. Le premier est celui de la spéculation connue de tous et qui règne aussi dans le secteur des habitations sociales. Certains acheteurs, peu scrupuleux, arrivent à se procurer allégrement un lot de logements sociaux par l'entremise de procuration pour le compte d'un tiers. Il est clair que le garde-fou édicté, contraignant tout acheteur à garder son logement à titre d'habitation principale durant 4 ans, est facilement déjoué par les spéculateurs. Ainsi, une quantité consistante de logements sociaux peut se retrouver entre les mains d'une seule personne qui ne cherche qu'à augmenter ses profits sur des logements initialement destinés aux plus vulnérables économiquement. Des acquéreurs sont parfois confrontés à des difficultés pour la possession de leur appartement. Et ce, en raison des procédures suivies par certains promoteurs qui ne livrent le logement qu'après avoir encaissé la TVA. Sachant que son remboursement peut s'étaler dans le temps, si le paiement n'est pas effectué au comptant. Par ailleurs, des acheteurs nous ont confié qu'il existerait des ventes de logements sociaux sans titre foncier et sans permis d'habiter. Les personnes se trouvant dans ces cas de figure, peuvent rester des années sans pouvoir prendre possession de leur appartement. Outre cela, il subsiste aussi les risques de corruption avérés, liés à l'attribution de ces appartements populaires. Avec des cas extrêmes pouvant aller jusqu'à la résiliation d'une vente pour l'attribuer à une autre personne moyennant bien entendu, une contrepartie financière illicite. La liste pourrait s'allonger. Et toutes ces difficultés évoquées inhibent l'efficacité du vaste programme des logements sociaux dont la vocation première est de toucher les véritables personnes ciblées. Or, si les conditions d'attribution de ces logements économiques obéissent à des règles, autres que celles fixées par la loi, les couches populaires deviendront les parents pauvres de leur propre programme. Pour la simple raison, qu'ils n'ont ni passe-droit, encore moins une rallonge financière à verser pour prétendre à un toit décent. D'où l'urgence, pour les pouvoirs publics, de mettre en place des procédures plus rigoureuses en matière d'attribution et d'acquisition de logement social.