Les nouveaux repreneurs du projet déposent une double plainte à Marrakech et Paris contre Alain Crenn, Richard Hennessy et Gilles Hennessy pour ««escroquerie et falsification des comptes». Les comptes de Marprom, société de droit marocain créée par le Groupe Alain Crenn pour réaliser le projet Samanah, auraient été maquillés pour en permettre la cession. En novembre 2010, le CDVM avait déjà mis son veto sur une émission de titres que voulait initier cette société. Les autorités de Tamaslouht (Marrakech) ont interrogé début juillet dernier, pendant une journée entière, Alain Crenn, président de son groupe éponyme et notoirement connu à Paris dans les milieux de l'activité immobilière. Cet interrogatoire s'inscrit dans le cadre d'une plainte déposée contre lui et ses associés, Richard Hennessy et son père Gilles Hennessy, respectivement directeur commercial et administrateur du prestigieux groupe LVMH, portant sur «escroquerie et falsification des comptes». Tous trois avaient cédé en 2011 le complexe Samanah Country Club de Marrakech à Gaël Paclot et Daniel Boisson, avec des comptes jugés falsifiés et une situation désastreuse du projet. Ils font l'objet d'une double plainte, l'une au tribunal de Paris et l'autre à celui de Marrakech. Ce qui serait d'ores et déjà un scandale d'envergure ailleurs, est encore confiné dans les coulisses de l'âpre affairisme au Maroc. Ainsi, l'affaire ayant des retombées françaises, le procureur de la République a été saisi d'une «affaire d'escroquerie en bande organisée, faux, usage de faux, la présentation de comptes falsifiés, les abus de biens sociaux, le recel à grande échelle». Une affaire qui révèle les jongleries avec les investissements et les objectifs du projet immobilier Samanah Country Club. Rappelons que celui-ci a bénéficié de la première convention d'investissement liant l'Etat marocain et les promoteurs, dont notamment le Groupe Alain Crenn (GAC) et ses associés, Hennessy, père et fils. Ils ont donc bénéficié de la première convention à des conditions très favorables ainsi que d'un crédit conséquent de plus de 400 millions de dirhams. Comptes inexacts Alain Crenn, qui a fait l'objet d'une interpellation suite à la plainte déposée contre lui au tribunal de Marrakech, est poursuivi, entre autres, pour falsification et usurpation de titre. En effet, le 18 mai 2011, les repreneurs ont versé dans un premier temps le montant de 10 millions d'Euros dans l'objectif de relancer le chantier en souffrance et régler les «factures échues des entreprises du bâtiment et financer la terminaison de la première tranche», payée par les clients. La plainte qui a été déposée au tribunal de Paris expliquerait que «la situation présentée aux repreneurs ne correspondait pas du tout à la réalité affichée par Richard Hennessy», les dettes de Marprom (société de droit marocain créée par le GAC pour réaliser le projet Samanah) étant largement supérieures au montant indiqué. Les comptes, au moment de la cession étaient, selon les plaignants, entachés d'inexactitudes considérables et d'avanies déplorables, nécessitant près de 38 millions d'euros de rectification. La cession faite, Alain Crenn a présenté sa démission le 29 juin 2011, comme les comptes-rendus des assemblées générales le prouvent. Ce qui ne l'a pas empêché, d'après les repreneurs, d'outrepasser ses compétences en signant des documents d'une Assemblée générale le 17 juillet 2011, alors qu'il avait déjà démissionné de son poste d'administrateur. Nous avons tenté de prendre contact avec Alain Crenn et Richard Hennessy. En vain. Et si ce dernier nous a raccrochés au nez, en revanche nous avons pu joindre Gaël Paclot, l'un des repreneurs, qui a aussi introduit la plainte auprès des tribunaux de Paris et de Marrakech. Il nous a fait la déclaration suivante : «C'est un problème d'éducation, ou plutôt d'absence d'éducation. Un tel exemple ne grandit pas les auteurs de ces délits, car s'ils nous ont bel et bien escroqués, ils ont surtout trahi la confiance que l'Etat marocain leur avait accordée. Les propriétaires qui ont payé leur villa sans jamais avoir été livrés font aussi les frais de cette trahison. Quant aux fournisseurs, ils sont bien loin des préoccupations de ces gens-là... De notre côté, nous travaillons sans compter depuis plus de deux ans et, heureusement, nous sommes accompagnés par des gens formidables qui nous aident à trouver des solutions. Il est temps de faire les comptes et de finir ce très beau projet". Une émission de titres refusée par le CDVM On rappellera que cette situation était d'autant plus aggravée que des alertes avaient été lancées, notamment par l'autorité boursière marocaine, le 24 novembre 2010, qui a refusé sèchement à Marprom, alors dirigée par Richard Hennessy et Alain Crenn, l'émission de titres de dettes. Le régulateur a tout simplement jugé que «les comptes fournis par le Groupe Alain Crenn et les prévisions établies par Richard Hennessy étaient faux». Dans une lettre adressée à Richard Hennessy, ce même 24 novembre 2010, le CDVM écrit : «L'instruction du dossier a permis également de mettre le doigt sur des erreurs contenues dans les rapports de gestion de votre société, ainsi que sur les comptes consolidés. Ces erreurs ne nous permettent pas de valider la cohérence des informations contenues dans le document d'information»...Et la même lettre d'ajouter, avec précision : «A l'issue de cet examen, il est avéré que le document d'information, dans sa version transmise au CDVM le 9 novembre courant, ne permet pas aux investisseurs d'apprécier la réalité de la situation financière et des perspectives d'évolution de la société Marprom... ». Les repreneurs précisent, à ce titre, qu'ils n'ont jamais été mis au courant de la réalité de Marprom au moment des négociations de rachat. Selon eux, ayant conservé pour quelques mois encore la gestion comptable, juridique et financière du groupe après sa cession, «les responsables du Groupe Alain Crenn ont fait disparaître toutes traces des mises en gardes à la fois du CDVM et des commissaires aux comptes». Ils précisent par ailleurs que «la volonté d'induire en erreur les uns et les autres les a poussés à faire pression sur les commissaires aux comptes, dont entre autres les dirigeants de l'un des plus importants cabinets du Maroc». «Ces commissaires aux comptes étaient ni plus ni moins sommés de certifier les faux comptes, ce qu'ils ont refusé», notent-ils, non sans souligner que «discréditant sa réputation de rigueur, c'est KPMG France qui a cru pouvoir «certifier» le non certifiable et l'illégal dans cette affaire... et, contre sa propre éthique, prendre ainsi le contre-pieds d'une démarche respectant la vérité qui est celle des commissaires aux comptes marocains». Il est clair que l'affaire Samanah Country Club ne fait que commencer. C'est une poupée russe qui remet en cause toute la culture de l'investissement étranger au Maroc, la loi qui l'encadre ou ne l'encadre pas et qui est devenue, tant les scandales en escroqueries se multiplient, un champ de ruines. Quant aux vendeurs, ils ont bien sûr pris le large. Nous y reviendrons.