◆ Dans un contexte de rareté des ressources où chaque Dirham compte, l'Etat déclare la guerre aux fraudeurs. ◆ Les chiffres concernant les factures fictives «donnent le vertige».
Par Y. Seddik
Pour échapper aux obligations fiscales, certains contribuables débordent d'ingéniosité. Les factures fictives en sont un parfait exemple. Le procédé est simple et malicieux : délivrer une facture ne couvrant aucune livraison de biens ou services réels pour minorer les bénéfices imposables, tout en récupérant indûment la TVA facturée. Ceci n'est pas sans préjudices pour le Trésor public. En effet, le bénéficiaire des factures fictives réduit indirectement le montant de la TVA nette versée au Trésor. Il prive aussi l'Etat de tout (ou partie) de l'impôt sur les bénéfices, en minorant ses résultats imposables, du fait que la déduction de charges ne recouvre aucune opération réelle. «Les croisements que nous avons effectués nous ont permis de voir que des milliers d'entreprises recourent à ces pratiques. Ces entreprises autorisent d'autres à récupérer de la TVA qui représente des milliards de DH», avait indiqué le ministre des Finances, Mohamed Benchaâboun, lors de sa rencontre avec les membres du patronat. Surfant sur la vague des remboursements accélérés des crédits de TVA, certaines entreprises se sont adonnées à cette pratique, qui a atteint une telle proportion que le ministre est sorti de ses gonds. Il a même déclaré que les chiffres de 2019 concernant les factures fictives «donnent le vertige». Ces fraudes coûtent très cher à l'Etat. Pour la seule année 2018, le montant des factures non déclarées émises par des sociétés fantômes est estimé à 30 milliards de DH, soit 5 milliards de DH qui ont échappé aux recettes de l'Etat. «Evidemment, tous ceux qui sont en situation régulière sont ceux qui paient pour les autres», s'est désolé le ministre. Non sans souligner que «nous devons nous mobiliser pour arrêter ces pratiques et rentrer dans une sorte de normalité dans les relations entre les opérateurs économiques et l'administration fiscale». Arsenal antifraude renforcé D'ailleurs, «une disposition sera contenue dans la Loi de Finances à partir de 2021. Et nous serons intransigeants sur ce point», prévient le ministre. Pour stopper cette pratique, il a été proposé dans le PLF 2021 de compléter les dispositions de l'article 146 du CGI (Code général des impôts) sur les pièces justificatives de dépenses, afin de préciser que lorsque l'administration constate l'émission d'une facture au nom d'un fournisseur qui ne satisfait pas aux obligations de déclaration et de paiement prévues par le CGI, la déduction correspondante à cette facture ne sera pas admise. En outre, au cas où une facture fictive sera détectée, l'administration fiscale pourra saisir directement le parquet pour enclencher la procédure pénale, avec le risque pour les fraudeurs d'être condamnés à des peines d'emprisonnement. A noter qu'une liste de numéros d'identification fiscale des fournisseurs défaillants sera disponible sur le site de l'administration fiscale dans le même but de lutter contre la fraude aux factures. De la nécessité de la facturation électronique La facturation électronique pourrait être le remède à ce fléau qui ne cesse de s'amplifier. L'objectif est double : simplifier l'environnement fiscal pour les entreprises (en diminuant les coûts déclaratifs et facilitant les déclarations) et lutter contre la fraude, surtout celle relative à la TVA. Dans plusieurs pays européens, la dématérialisation de la facture et de ses données est déjà une réalité. Rappelons que la Loi de Finances 2018 contenait des dispositions relatives à l'application d'un système informatique de facturation. Mais face à la grogne des commerçants, le gouvernement avait fait marche arrière, annonçant la suspension de ces mesures. Une loi organique régissant son application devait également être élaborée. Mais, depuis, ce projet n'a plus refait surface. Au final, dans le PLF 2021, le gouvernement affiche clairement sa volonté de construire l'Etat de droit à travers une action plus résolue de lutte contre la fraude ainsi que la pénalisation de certaines pratiques portant notamment sur la délivrance des factures fictives. Crédits TVA : Plus que 14 milliards de DH de dus «Pour aller vers une normalité et vers l'exemplarité de l'Etat, l'effort doit se faire dans les deux directions (opérateurs économiques et Etat : ndlr)», a beaucoup insisté Benchaâboun. D'ailleurs, l'effort fourni par le gouvernement pour apurer les arriérés de TVA depuis 2018 jusqu'à maintenant est considérable. Pas moins de 40 milliards de DH ont été remboursés. Sur la base des chiffres de la DGI (Direction générale des impôts), 14,7 milliards de DH restent à rembourser. «On peut les gérer d'une manière rapide, notamment à travers des opérations d'affacturage», a affirmé l'argentier du Royaume.