Ouvrir le débat sur la question fiscale, ne peut être qualifié de normal ni de facile. Depuis 2013, le discours sur la réforme s'amplifie sans changer de contenu. Malgré le très fort message constitutionnel et les articles insistant sur la contribution selon la capacité, la situation est presque au point où elle a été depuis trois ans. L'essentiel du débat porte toujours sur la TVA, ses taux et son impact sur les crédits d'impôt et sur le pouvoir d'achat des classes moyennes et pauvres. Une certaine amélioration a certes été enregistrée au niveau de la relation de l'administration fiscale avec le contribuable, mais ce chantier mérite beaucoup de persévérance afin de doter ses structures en moyens de cerner la matière imposable et de l'augmenter. Evaluer le degré d'avancement de la réforme n'est pas facile, tellement la critique est grande quand il s'agit de parler de l'équité fiscale. Les syndicats pointent du doigt le manque de volonté du gouvernement d'alléger la charge fiscale qui pèse sur le budget des familles, le patronat ne cache pas le manque de réalisations importantes dans le traitement des crédits de TVA et l'absence d'un réel accompagnement de l'entreprise. Le gouvernement cherche à moderniser la pratique fiscale et à lutter contre la fraude en voulant renforcer l'arsenal juridique à travers la «pénalisation » des cas les plus flagrants. Le parlement rejette toute idée de faire peur aux opérateurs économiques et incite le gouvernement à réaliser des pas dans le sens du traitement du secteur informel.... Le débat continue. Challenge réouvre le dossier à travers le nouveau rôle politique de la CGEM au parlement, la question de la justice fiscale et celle du traitement de la fraude. PLF 2016, Ce que veut la CGEM sur le plan fiscal… C'est le premier exercice en matière de la pratique parlementaire de la CGEM, qui vient de se passer dans la Chambre des conseillers. Auparavant, les amendements étaient portés indirectement dans l'arène de l'acte de légiférer, mais les mutations politiques qu'a connues notre pays ont permis de rectifier le tir dans le domaine de la participation politique des patrons. C'est un plus autant pour la qualité du travail, que pour la CGEM qui a une place à côté des régions, des communes, des Chambres professionnelles et des syndicats. 38 amendements ont été présentés à l'occasion de l'examen du PLF 2016 par cette institution. Les amendements ont porté sur la gestion douanière et fiscale ayant une relati on directe avec la gestion de la trésorerie des entreprises et du poids des prélévements qu'elles subissent. Amendements à caractère douanier La CGEM a demandé de réduire le délai d'octroi des décisions anticipées relatives au classement tarifaire des marchandises et de leur origine. Ce délai, qui est de 150 jours est jugé antiéconomique par la CGEM qui propose de le porter à 90 jours. Cette réduction permettrait un renforcement de la transparence, une meilleure marge de manœuvre face aux mutations des prix sur le marché et réduirait la complexité des procédures. Les autres amendements à caractère douanier ont porté sur le rôle des transitaires et la nécessaire adaptation des dispositions d'accès au métier aux professionnels n'ayant pas des diplômes équivalents à la licence et ce, pour sauvegarder les emplois dans les sociétés dans ce domaine. Les autres points concernent le statut de l'agent agréé et notamment sa responsabilité solidaire avec les importateurs, la responsabilité de l'administration lorsque des marchandises ont été détériorées dans ses locaux, la nécessaire baisse des droits de douane sur certains produits alimentaires en raison de l'ampleur de la contrebande, et le tarif douanier appliqué à certaines batteries. Amendements à caractère fiscal Les amendements relatifs au code général des impôts, portent sur l'exonération des sociétés minières exportatrices de l'IS, l'encouragement des entreprises investissant dans la recherche scientifique à travers l'amélioration des seuils d'exonération des montants affectés à cette recherche, l'encouragement de l'épargne liée aux vacances, l'amélioration des conditions en tant qu'éléments constitutifs des coûts, l'introduction du caractère progressif dans la calcul de l'IS, le relèvement du seuil d'exonération des tickets de restaurants à 50 dhs, le relèvement à 500 000 dhs du montant de l'épargne logement exonéré, l'exonération des tickets de cinéma de la TVA, le relèvement du taux de la TVA sur le gaz et sur les hydrocarbures à 20% à l'image des taux proposés pour le transport ferroviaire et routier, l'élargissement à la proposition d'exonération de la TVA à tous les types d'avion et non pas seulement à ceux destinés au transport international régulier , l'amélioration des conditions d'enregistrement des contrats d'acquisition des biens immeubles pour renforcer les relations de confiance entre les intervenants dans ces contrats, le remboursement de la contribution minimale et ce, pour une meilleure équité fiscale, l'application de l'identifiant unique, l'exonération des plus-values exceptionnelles liées à la cession d'actifs en cas de réinvestissement du produit de la cession, le retour au délai initial de prescription en matière fiscale de quatre ans au lieu du nouveau délai proposé dans le PLF et d'autres amendements relatifs au traitement fiscal à certains investissements fonciers et industriels. Les premiers résultats du travail du groupe CGEM Les 38 amendements présentés par la CGEM n'ont pas pu être totalement acceptés lors de la séance tenue par la Commission des finances de la Chambre des conseillers le 3 décembre dernier. Seuls 5 de ces amendements ont été retenus. Les 33 autres ont été soit retirés, soit refusés. Les amendements acceptés ont porté essentiellement sur la simplification des procédures, comme le paiement électronique et celles relatives à l'enregistrement des acquisitions immobilières, la tenue de la comptabilité et sur l'accélération de délais des rectifications fiscales. La performance enregistrée au niveau des votes des cinq amendements a oscillé entre l'unanimité et la majorité absolue. Connaissant les vicissitudes du circuit législatif et le rôle prépondérant de la première Chambre, les nouveaux conseillers représentant la CGEM comptent aller vers plus de coordination avec les partis politiques lors des prochaines échéances du travail législatif.
JUSTICE FISCALE ET JUSTICE SOCIALE A travers la politique fiscale, les pouvoirs publics ayant une stratégie de lutte contre la pauvreté, peuvent agir, aux niveaux national et local, pour améliorer les conditions de vie des populations démunies, tout en agissant radicalement sur les causes structurelles qui génèrent des inégalités sociales injustes. Dans cette optique, la fiscalité peut être l'un des principaux moyens de redistribution équitable des ressources et d'instauration progressive d'une justice sociale. La fiscalité n'est jamais politiquement neutre. Et c'est surtout le cas de formations sociales, comme le Maroc, où la question du développement durable et équitable se pose de toute urgence. Trois moments historiques récents doivent être rappelés : – Le rapport du cinquantenaire élaboré par une équipe d'experts nationaux au début des années 2000. Ce rapport est une introspection qui offre un diagnostic de la situation socio-économique du Maroc, un demi-siècle après l'indépendance ; – Le rapport de l'IER sur les graves violations des droits humains ; – La Constitution de 2011, tentative de réponse rapide et pertinente à des attentes profondes et complexes de la société marocaine. Ces trois textes ont été élaborés par les Marocains pour se réconcilier avec eux-mêmes Les deux premiers textes reflètent la volonté de mettre en place une nouvelle démarche où les Marocains, tout en jetant un coup d'œil dans le rétroviseur, deviennent les principaux acteurs de leur destin. Ces textes, offrant une vue sincère et globale, peuvent nourrir les diverses stratégies sectorielles des politiques publiques. Lutter contre la pauvreté Il est d'abord question de répondre à des besoins urgents : accès à l'eau potable, à l'électricité, à un habitat salubre, à une nourriture saine et suffisante, aux soins, à des fournitures scolaires, à des ressources minimales pour permettre aux plus pauvres d'envoyer leurs enfants à l'école, surtout les jeunes filles. Mais, s'arrêter à ce niveau, c'est courir le risque de créer un problème plus grave, une situation de dépendance où les populations bénéficiaires s'habituent à l'assistanat, ne cherchent pas à s'en sortir, à développer leurs propres capacités, à devenir autonomes...Cela est arrivé dans les provinces sahariennes au sud du Maroc, dilemme bien exprimé dans le dernier discours Royal du 6 novembre. C'est là que la deuxième dimension de lutte contre la pauvreté prend toute son importance et toute sa signification. Agir sur les causes profondes, en créant des conditions favorables où les populations démunies apprennent elles-mêmes à se prendre en charge : construction d'établissements scolaires et universitaires, de centres de santé, d'infrastructures de base, ponts, routes, transports publics, voies ferrées, désenclavement, développement d'activités génératrices de revenus, encouragement des investissements à fort impact sur l'emploi... Un cadre général favorable La mise en place d'institutions fortes et responsables est un préalable nécessaire pour amorcer une dynamique de changement . Dans le domaine fiscal, les articles 39 et 40 de la Constitution ne constituent guère, pour le moment, un cadre de référence. La fiscalité demeure un champ essentiellement technique. Elle n'est pas encore perçue comme un instrument d'intervention de l'Etat pour remettre en cause progressivement l'état de répartition des richesses et des inégalités sociales à l'origine de la pauvreté. La Contribution sociale de solidarité sur les bénéfices et les revenus (CSSBR) a été introduite par la LF de l'année 2013 pour une durée de trois ans. Aurait-on simplement besoin de ressources fiscales exceptionnelles pour une durée limitée ? La pauvreté serait-elle un phénomène conjoncturel, pouvant disparaitre après les trois dernières années? Tous les indicateurs sociaux sont là pour dire le contraire. Certes, la décompensation a permis des résultats positifs sur le plan macro économique. Cependant, ces résultats ont été atteints sans véritables alternatives durables permettant de prévenir et d'éviter les impacts négatifs sur les populations à faibles et moyens revenus, en cas d'augmentation brutale des prix du pétrole à l'international, dont le Maroc est quasi totalement importateur. L'ancrage religieux est aussi et d'abord un référentiel humaniste profond : «Le croyant ne pourra l'être vraiment, qu'en aimant pour autrui ce qu'il aime pour lui-même». Les mesures fiscales actuelles s'inspirent plutôt d' «orientations » ou « recommandations » faites par des institutions financières internationales. Celles-ci sont loin d'être uniquement techniques et neutres. A défaut d'une politique fiscale conçue en rapport étroit avec des politiques publiques dans le domaine social, les mesures fiscales introduites dans les lois de finances, ces dernières années, et celles prévues dans le PLF 2016, vont à l'encontre d'une véritable stratégie de lutte contre la pauvreté. Des baisses de taux sont prévues en matière d'IS, sous la pression des acteurs économiques les mieux organisés. La baisse des recettes fiscales en matière d'IS ne pourra être que compensée notamment par celles provenant de la TVA. Chaque année, les taux de TVA connaissent, presque en catimini, une hausse, dans la perspective de supprimer les exonérations et les taux réduits pour ne retenir que deux taux : 10% et 20%, voire un seul taux, celui de 20%. Les produits exonérés ou taxés au taux de 7% devront passer au taux de 10%, ceux taxés au taux de 10% ou 14% devront passer au taux de 20%. Un barème de l'IR qui ne change pas Or, la progressivité de l'impôt est au cœur de l'équité fiscale. Comment lutter contre la pauvreté, lorsque les recettes fiscales, colonne vertébrale des finances publiques, représentent moins de 60% des dépenses publiques ? Comment transformer une réalité sociale par l'action publique, aux niveaux national et local, quand les ressources publiques disponibles permettent à peine de réduire des déficits structurels et de réaliser des équilibres macro économiques ? Comment lutter contre la pauvreté, tout en libéralisant les prix, sans mettre en place des « filets de sécurité » ? La décompensation s'est actuellement opérée dans un contexte international favorable. Rien ne garantit la stabilité des prix du pétrole à ce niveau. En cas de hausse brutale, même les catégories sociales à revenus moyens et stables ne pourront pas échapper à la paupérisation. C'est dans ce sens, que la politique fiscale peut appuyer des réformes d'ordre structurel. L'exploration de cette voie permet d'envisager des alternatives au système de compensation qui a fait son temps. En matière d'IR, la révision du barème actuel vers plus de progressivité pourra donner une consistance réelle à l'article 39 de la Constitution. Le seuil non imposable, actuellement de 30 000 dirhams, soit 2 500 dirhams par mois, est à indexer sur un SMIG à revoir à la hausse, compte tenu du niveau de vie réel. Les tranches actuellement les plus imposées, sont celles concernant les revenus mensuels moyens (5000 dirhams à 15000 dirhams). De nouvelles tranches peuvent être créées pour une vraie progressivité. En matière de TVA, le taux dit normal de 20% est un taux assez élevé, comparativement aux taux appliqués au niveau international et compte tenu du pouvoir d'achat de la majorité de la population marocaine. La réforme de la TVA ne doit pas se faire au détriment de l'équité fiscale, principe constitutionnel. En matière d'IS, les taux d'imposition devraient être fixés de manière plus intelligente, non pas en fonction du seul critère du chiffre d'affaires, insuffisant et insignifiant sur les plans économique et fiscal, mais plutôt en fonction du secteur d'activité. Ainsi, si certains secteurs, tels que l'industrie, font appel à des investissements lourds et à l'emploi de ressources humaines qualifiées, avec un impact fortement positif et durable sur l'économie nationale, d'autres secteurs sont plutôt basés sur la spéculation, et le gain à très court terme, avec une faible valeur ajoutée. C'est notamment le cas des télécommunications. De manière générale, la grande propriété foncière et les activités spéculatives sont actuellement sous fiscalisées. La faiblesse principale du système fiscal actuel En effet, celle-ci est tellement banalisée qu'elle porte gravement atteinte à la légitimité de l'impôt et donc à la crédibilité de tout le système fiscal. L'administration censée lutter efficacement contre la fraude fiscale est structurellement désarmée. Un système d'information défaillant, en cours de redressement. Un nombre de vérificateurs inférieur à 400 pour une population de plus de 500 000 contribuables vérifiables (personnes morales et personnes physiques), soit un ratio brut moyen de 1 250 contribuables vérifiables par vérificateur. Une faible coopération de l'environnement national et international. Même les administrations, établissements et entreprises publics ne coopèrent guère en communiquant à l'administration fiscale des informations ayant un impact fiscal. Les résistances à ce niveau sont nombreuses. Le récent rejet par la première Chambre du Parlement, des mesures visant à rendre effective la pénalisation de la fraude en est une parfaite illustration. La lutte contre la pauvreté, premier pas vers le renforcement de la justice sociale, principal fondement de la cohésion sociale, risque de rester au stade des bonnes intentions, enfermée dans une logique caritative, à défaut d'une justice fiscale permettant à l'Etat de disposer de ressources pérennes pour mener des politiques publiques centrées sur le bien être collectif et solidaire. Lexique fiscal : Equité fiscale : recherche de la meilleure répartition possible de la charge fiscale entre les contribuables, tenant compte des capacités contributives de chacun.
Les fraudeurs du fisc iront-ils en prison ? La fraude fiscale est devenue un vrai sport national. L'impunité est le principal facteur de développement de l'incivisme fiscal. Quoi de plus facile et de plus courant que l'achat de fausses/vraies factures ? Et face à la fraude fiscale, l'administration fiscale est matériellement et juridiquement désarmée. Cette année, l'échec de la tentative de rendre effective la pénalisation de la fraude fiscale dans le PLF 2016, en est une parfaite illustration. Tout d'abord, un brouillard médiatique à dissiper. Il est nécessaire de clarifier cette question de la pénalisation de la fraude. Elle risque d'être «surpolitisée» dans un contexte préélectoral. C'est que le principe de pénalisation de la fraude fiscale existe déjà dans le Code Général des Impôts (CGI), depuis 1996. Ce que le PLF 2016 a essayé d'introduire, presque vingt ans après, c'est une modification substantielle des dispositions déjà prévues dans l'article 192 du CGI, mais inapplicables, car prévoyant une procédure lourde et complexe, jamais mise en œuvre. Il y a lieu aussi, de bien distinguer entre le fait de « tricher » pour payer le moins d'impôt, en réduisant la base d'imposition, ou en cachant des éléments d'imposition, et le fait de refuser de payer un impôt émis. Dans le premier cas, il s'agit d'actes portant sur l'assiette et la liquidation de l'impôt. Alors que dans le deuxième cas, il s'agit de la phase de recouvrement pour laquelle un texte spécifique est prévu (le Code de Recouvrement des Créances Publiques), et dont les dispositions prévoient le recouvrement forcé et la contrainte par corps, comme ultime recours de l'administration fiscale, en cas de refus de paiement de l'impôt dû et mis en recouvrement. En effet, avant même l'émission de l'impôt, au niveau de l'assiette et de la liquidation, outre les sanctions fiscales, assez nombreuses, se traduisant par l'application d'amendes et de majorations, qui devront d'ailleurs être renforcées par le PLF 2016, l'article 192 prévoit des sanctions pénales, pour toute personne qui, en vue de se soustraire à sa qualité de contribuable ou au paiement de l'impôt, ou en vue d'obtenir des déductions ou des remboursements/restitutions/dégrèvements indus, utilise les moyens suivants : – Délivrance ou production de factures fictives ; – Production d'écritures comptables fausses ou fictives ; – Vente sans facture de manière répétitive; – Soustraction ou destruction de pièces comptables légalement exigibles; – Dissimulation de tout ou partie de l'actif de la société ou augmentation frauduleuse de son passif en vue d'organiser son insolvabilité. Lorsque l'infraction pénale est commise pour la première fois, la sanction se limite à une amende de 5000 à 50 000 dirhams. Ce n'est qu'en cas de récidive avant l'expiration d'une durée de cinq ans qui suit un jugement définitif de condamnation à l'amende indiquée que le contrevenant pourra être puni, en plus de l'amende, à une peine d'emprisonnement de 1 à 3 mois. Ladite peine d'emprisonnement peut être ferme ou en sursis. Mais l'application de ce dispositif, introduit en 1996, est conditionnée par le respect d'une procédure, véritable camisole de force, bloquant quasi automatiquement une administration fiscale qui voudrait passer à l'acte. La procédure pour l'application des sanctions pénales aux infractions fiscales telles qu'indiquées ci-dessus, prévoit l'établissement d'un procès verbal par deux agents assermentés de l'Administration fiscale. Les sanctions prévues concernent aussi bien le ou les auteurs de l'infraction fiscale/pénale, que le ou les complices. Des infractions constatées que lors d'un contrôle fiscal Voilà une première restriction, et de taille! Impossible donc d'établir un PV suite à l'exercice du droit de constatation ou à toute autre intervention inopinée. Pour que les sanctions indiquées puissent être applicables, la plainte doit être préalablement présentée par le ministre des Finances (un acteur non neutre politiquement) ou la personne déléguée par lui à cet effet (le Directeur Général des Impôts), à titre consultatif, à l'avis d'une commission des infractions fiscales présidée par un magistrat et comprenant deux représentants de l'Administration fiscale et deux représentants des contribuables choisis sur des listes présentées par les organisations professionnelles les plus représentatives. Les membres de cette commission sont désignés par « arrêté du Premier Ministre » (depuis quand le Premier Ministre, actuellement le Chef de Gouvernement, prend des décisions sous forme d'arrêté ?! C'est dans l'article 231 du CGI!!!). Une commission aux oubliettes Théoriquement, ce n'est qu'après consultation obligatoire de ladite commission que le ministre des Finances, ou la personne déléguée par lui à cet effet, peut saisir le procureur du Roi. Ensuite, le procureur du Roi doit saisir de la plainte le juge d'instruction. S'agit-il d'un délit ou d'un crime? Pourquoi un juge d'instruction, compte tenu de la durée assez courte de la peine d'emprisonnement prévue, un « petit séjour» d'un à trois mois dans une «cellule bien confortable», au frais du contribuable ? Cette procédure n'a jamais fait l'objet d'un texte réglementaire explicitant les modalités d'application. C'est dire la faible volonté politique d'appliquer réellement une disposition figurant donc comme simple épouvantail pour faire peur à des vautours d'une voracité souvent illimitée. Première conclusion : la pénalisation de la fraude fiscale existe bel et bien, théoriquement, dans le CGI, depuis 1996. La question qui se pose aujourd'hui, est plutôt l'application effective des dispositions prévues en la matière. Le PLF 2016, dans sa version initiale transmise à la Commission des finances au sein du Parlement, prévoit, outre une augmentation de l'amende et de la durée d'emprisonnement, et un affinement dans la définition des infractions, la suppression pure et simple de la procédure instituant ladite commission consultative, prévue par l'article 231 du CGI. Le passage par ladite commission est perçu beaucoup plus comme un blocage, qu'un garde-fou prémunissant le contribuable contre le risque d'un acte administratif abusif ou arbitraire. Selon la version proposée dans le PLF, les agents vérificateurs assermentés du fisc devront dorénavant dresser un PV et le transmettre directement au procureur du Roi, à l'instar de ce que font d'autres agents relevant d'autres corps administratifs, notamment les agents de la douane ou les gardes forestiers, habilités à constater les infractions, à dresser des PV et à les transmettre directement au procureur du Roi pour déclencher les poursuites pénales. Une infraction pénale pas comme les autres C'est un acte d'une extrême gravité, dirigé contre toute la société. Cet acte met en cause la substance même du contrat social. En principe, les contribuables bénéficient des mêmes prestations de services publics et utilisent les mêmes infrastructures financées par les dépenses publiques, c'est-à-dire essentiellement par l'impôt. Mais certains contribuables paient l'impôt et d'autres (voyageurs clandestins) trichent en payant moins ou pas du tout. La vie en commun est donc menacée par un comportement antisocial. Pourquoi nos parlementaires se sont-ils opposés à cette nouvelle mesure contre la fraude fiscale tendant à rendre effective l'application des sanctions pénales déjà insérées dans le CGI depuis 1996 ? Le retrait de cette mesure a fait l'unanimité des parlementaires de la commission des finances. Les parlementaires ont-ils peur d'aller en prison ? Certains ont évoqué les risques d'application arbitraire ou abusive, dans un contexte où le processus de réforme de la Justice n'a pas encore abouti à des résultats concluants. Une justice faiblement indépendante ne peut être qu'une source de procès non équitables. A aussi été évoqué le risque d'instrumentation à des buts autres que le but fiscal. Mais le premier risque découlant de la carence du système judiciaire ne concerne pas seulement les actes de fraude fiscale. Il concerne toutes les infractions pénales. L'USFP et l'Istiqlal ont eu une attitude hostile à la peine d'emprisonnement. Le PAM a proposé une augmentation du montant de l'amende sans peine d'emprisonnement. Les partis de la majorité sont allés dans la même direction. Certains ont exprimé la crainte d'un effet négatif sur l'investissement, surtout l'investissement étranger. A ceux-là, il y a lieu de préciser que le Maroc ne cherche pas de l'argent à n'importe quel prix. La nouvelle Constitution consacre clairement le choix de la transparence et de la bonne gouvernance. Le Maroc a surtout besoin d'entreprises responsables et citoyennes qui ne craignent pas la transparence. D'autres encore, bien que ne s'exprimant pas ouvertement, évoquent l'absence de contrepartie de l'Etat, en termes de services publics de qualité. Pour ces derniers, pour qui la fraude serait donc un acte légitime de résistance, voire de révolte, il y a lieu de rappeler qu'en payant l'impôt, les citoyens sont en meilleure position pour revendiquer leurs droits. La fraude, un sport national : quelques indicateurs clés 65% des entreprises déclarent constamment des déficits ou des crédits chroniques TVA 2% des sociétés paient 80% de l'IS 73% des recettes IR proviennent de l'IR prélevé à la source des salaires Moins de 400 vérificateurs pour 500 mille contribuables à vérifier Une moyenne annuelle de 3 à 4 entreprises/contribuables vérifiés par agent vérificateur, soit au maximum un ratio de 0,32% par an. Il faudrait plus de 3 siècles pour vérifier la comptabilité des 500 mille contribuables potentiellement vérifiables Un faible système d'information de la DGI non connecté aux administrations et organismes sources d'information Des sanctions fiscales actuellement faiblement dissuasives, surtout en matière de droit de communication Des sanctions pénales actuellement inapplicables à cause de la procédure prévue, lourde et complexe, avec un risque d'instrumentation extra fiscale Quel effet et que rapporte le contrôle fiscal ? L'effet dissuasif, objectif principal du contrôle fiscal, est assez faible, car, chaque année, une moyenne inférieure à 1500 contribuables est vérifiée (3 à 4 dossiers par vérificateur et par an). Soit un ratio annuel de 0,3%. En 2013, le contrôle fiscal (sur pièces et sur place) a rapporté 9,65 Mrds DH. En 2014, il a permis une recette supplémentaire de 9,18 Mrds DH. Cela représente, pour l'année 2014, 7,52% des recettes fiscales totales gérées par la DGI.