Imane Djamil, après avoir avalé plusieurs milliers de kilomètres, de Tarfaya à Sarajevo, explose les frontières du bon goût. Elle s'évertue à dépister avec, à la fois, émotion et angoisse ses interminables trajets, de les immortaliser afin de les enfermer à jamais dans des œuvres de haute qualité visuelle, littéraire et performative. Imane Djamil esquisse un art poétique déconcertant, rarement abstrait, toujours grandiloquent, hérissé d'immenses structures simplistes. Se concentrant -plus ou moins- sur l'architecture et le paysage urbain, en une époque mondialisée et avide de nouvelles constructions, la photographe a, peu à peu, transformé le constat d'une bétonisation exaltée - voire son ahurissante vue frontale d'immeubles à Sarajevo. Célébrant ainsi implicitement l'espace conquérant, le progrès, les industries locales, la course contre la montre, etc. Elle en invente de nouvelles perspectives non pas dépravées, mais cérébrales. Imane Djamil décline dans ses photographies son rapport au paysage «en se concentrant sur la croissance des territoires soumis à la violence post-traumatique», lit-on dans sa biographie. Les clichés peuvent être la métaphore d'une blessure, autant celle du passé idiosyncrasique que celle qui éclata la première guerre mondiale par exemple. Tout porte à croire qu'Imane retrace «des parallèles métaphoriques entre l'Histoire et sa propre histoire personnelle». En outre, Imane livre également des visuels pointant les inégalités entre les sexes dans le paysage urbain au Maroc. Plus précisément : la présence des femmes dans l'espace public. «En été, les villes se transforment en terrain de jeux. Cette transformation n'est pertinente que pour les hommes, tandis que les femmes sont laissées de côté, confrontées au harcèlement jusqu'à ce qu'elles ne veuillent plus y appartenir», lit-on encore. En contemplant son travail, ses intérieurs comme ses extérieurs, l'expérience d'un jeune âge tantôt feutré où l'amour bruit en sourdine, on pense fugacement à certaines photos de Robert Doisneau. Les œuvres d'Imane déclarent aussi, mais en mode apaisé, que les petits riens ne sont pas indignes d'intérêt. Très vite s'installe et se déploie une mélancolie posée sur une angoisse, dont on peut rire souvent, pas toujours. Le mal de vivre n'est pas mortel, mais pèse, aurait dit le bon sens. Imane Djamil tire avec son œuvre la quintessence d'une photographie mêlant nervosité et poésie. Il y a du journal intime dans son travail. Quelques-unes de ses œuvres, lyriques, sont exposées dans son site web : www.djamilimane.com