◆ L'adoption de la loi 31.13 relative au droit d'accès à l'information est un progrès significatif du Royaume sur le chemin de la démocratie. ◆ La mise en œuvre de la loi nécessitera un travail de longue haleine, et sur-tout une réelle volonté de la part des pouvoirs publics. ◆ Azeddine Akesbi, professeur d'économie et expert de l'Open budget, dissèque les carences de ce dispositif juridique, qui gagnerait à être plus connu par le grand public.
Propos recueillis par M. Diao
Finances News Hebdo : La loi 31.13 relative au droit d'accès à l'information (DAI) est entrée en vigueur en mars 2019. Avec le recul, quelles sont, selon vous, les principales caractéristiques de ce dispositif juridique ? Azeddine Akesbi : Cette loi dont la partie concernant la diffusion de l'information de manière proactive par les insti-tutions et les organismes qui doit être appliquée à partir de mars 2020, est un dispositif juridique extrêmement restrictif. Plusieurs domaines n'y sont pas couverts (sécurité, défense nationale, politique monétaire, finances publiques, etc.). Des dispositions juridiques, pour ne citer que l'article 360 du Code pénal, vont jusqu'à criminaliser l'utilisation de l'information. La Commission du DAI, chargée de veiller à la mise en œuvre de la loi en la matière, est consultative. Par conséquent, celui-ci n'a pas un pouvoir de sanction et même peut manquer de moyens.
F. N. H. :Quel regard portez-vous sur la mise en œuvre concrète de la loi relative au DAI ? A. A. : En plus du caractère restrictif de la loi, le volet concer-nant la mise en œuvre pose également problème, notamment la publication proactive mentionnée plus haut qui n'est pas encore appliquée. La loi portant sur le DAI prévoit plusieurs mesures relatives entre autres, aux marchés publics, aux budgets des collectivités territoriales, aux élections et à l'audit. Pour l'heure, il n'y a aucune avancée significative en termes d'accès à l'information concernant ces domaines. Aujourd'hui, même si l'état d'urgence sanitaire prévaut au Maroc avec le confinement, il n'y avait rien de concret avant la crise liée à la pandémie du coronavirus ayant trait à la disponibilité de l'information sur les projets des ministères par exemple. Par ailleurs, force est de constater que l'actualité rattrape la loi relative au droit d'accès à l'information, avec le débat actuel, suscité par le projet de loi 22.20. Projet portant sur l'utilisation des réseaux sociaux, des réseaux de diffusion et réseaux similaires, adopté par l'Exécutif qui ne l'avait jamais rendu public avant le 27 avril 2020. Or, selon l'article 27 de la Constitution de 2011 et d'autres dispositions juridiques, les textes et projets de loi et les conventions internationales doivent être rendus publics avant leur adoption et faire l'objet de débats. Ils nécessitent également la publication de la part du secrétariat général du gouvernement (SGG) qui doit recueillir le point de vue de la société civile et de tous les acteurs concernés. Cet épisode est la parfaite illustration du manquement de la loi sur le DAI en dépit de sa nature restrictive. Il faut savoir qu'en vertu de la Constitution, la société civile est une partie prenante dans l'élaboration et le suivi des projets de loi. Le contexte actuel qui appelle à la mobilisation générale pour lutter contre la pandémie devrait plutôt inciter l'Exécutif à impliquer toutes les parties concernées par le projet de loi qui continue de défrayer la chronique.
F. N. H. : La loi a le mérite d'exister tout de même. Pour autant, les Marocains exercent-ils pleinement leur DAI ? A. A. : Les Marocains ont commencé à exercer ce droit fondamental. Transparency Maroc anime un projet impli-quant une dizaine d'associations dont les membres sont formés sur la loi portant sur le DAI. L'association, comme d'autres associations marocaines, formulent des demandes d'informations auprès des institutions publiques. Ceci dit, les Marocains exerceraient davantage ce droit si le gouvernement multiplie les campagnes de sensibilisation auprès des médias publics, avec l'objectif d'informer le grand public sur les disposi-tions de la loi 31.13. Dans le cadre de l'initiative Open Government Partnership (gouvernement ouvert), le Maroc a pris l'engagement d'impliquer et d'informer la société civile. Toutefois, il y a lieu de préciser que l'association Tafra a pris l'initiative, avec le soutien d'économistes marocains, de demander au haut-commissariat au Plan (HCP) des informations plus détaillées. Les réponses venant du HCP ont été très insatisfaisantes dans la mesure où celles-ci ne sont pas suffisamment détaillées. Ce qui peut empêcher les chercheurs à se livrer à l'exercice du traitement de données. Les audits ou les travaux de la Cour des comptes doivent toujours être rendus publics même si les entités en question évoluent dans des secteurs névralgiques de l'économie nationale. A ce titre, la loi sur le DAI prévoit de ne pas divulguer certaines informations liées par exemple à la concurrence. Au final, il est clair que la mise en œuvre de la loi sur le DAI sera difficile pour plusieurs raisons, liées entre autres à la culture de l'administration, l'organisation et l'archivage. L'administration qui estime parfois à tort que l'information lui appartient à elle seule, n'a pas encore initié la démarche lui permettant de rendre celle-ci accessible sous des formats adéquats et surtout exploitables. Il faut une réelle volonté politique afin de garantir les conditions de succès de la loi.