Saïd Mouline, Directeur général de l'Agence marocaine de l'efficacité énergétique (AMEE). (Photo MAP) Consommer moins d'énergie en assurant le même service, c'est l'esprit de l'efficacité énergétique. Chaque 1% d'économie d'énergie globale représente 800 millions de DH d'économie. Industrie, batiment, agriculture, mosquées, etc. : Saïd Mouline, Directeur général de l'Agence marocaine de l'efficacité énergétique, fait le point sur les avancées réalisées en matière d'efficacité énergétique au Maroc.
Propos recueillis par M. Diao
Finances News Hebdo : En matière d'efficacité énergétique, comment le Maroc se positionne-t-il par rapport aux pays leaders en la matière ? Saïd Mouline : En vingt ans, nous sommes passés d'un pays subissant les changements climatiques à un pays avec une réelle politique proactive, aussi bien pour atténuer ses émissions que pour s'adapter à ce nouveau contexte. En mars 2009, lors des assises de l'énergie, la Lettre Royale a donné priorité aux énergies renouvelables et à l'efficacité énergétique dans notre politique énergétique. L'objectif à l'horizon 2030 pour les énergies renouvelables est d'atteindre 52% de la capacité électrique portée par Masen, et pour l'efficacité énergétique, c'est une réduction de 20% par rapport à un scénario «Business as Usual» porté par l'AMEE. Cette orientation vise à agir au niveau de la production énergétique en développant le recours aux énergies renouvelables, et au niveau de la demande en instaurant l'efficacité énergétique en assurant les mêmes besoins et en restant compétitif, notamment dans les secteurs les plus consommateurs d'énergie à savoir le transport, l'industrie, le bâtiment, l'éclairage public et l'agriculture. En d'autres termes, faire en sorte de ne plus gaspiller de l'énergie. Consommer moins d'énergie en assurant le même service, c'est l'esprit de l'efficacité énergétique. Le prestigieux Prix du visionnaire en efficacité énergétique (Energy Efficency Visionary Award) attribué en 2018 à Sa Majesté le Roi Mohammed VI, consacre la pertinence et la proactivité de l'approche Royale qui érige le Maroc en modèle en matière d'efficacité énergétique. Le résultat aujourd'hui est une transition énergétique qui profite à l'économie du pays tout en le mettant à la tête des nations respectant leurs engagements climatiques. Le dernier rapport de l'Agence internationale de l'énergie montre une évolution positive de notre intensité énergétique qui n'a cessé de baisser ces 5 dernières années et qui nous place premier au Maghreb. Il faut continuer. La prochaine étape est la mise en place des MEPS (les standards minimums) qui est nécessaire pour aider les citoyens, les industriels à s'équiper d'appareils efficaces. La réglementation concernant les audits énergétiques et les entreprises spécialisées (ESCO) permettra d'avoir un secteur professionnel organisé et fiable. N'oublions pas, chaque 1% d'économie d'énergie globale que l'on pourrait réaliser dans notre pays, représente aujourd'hui 800 millions de DH d'économie sur notre facture énergétique. Nous continuons à demander la création d'un fonds d'efficacité énergétique qui permettra d'assurer les financements nécessaires à la mise en œuvre de la stratégie d'efficacité énergétique d'une manière pérenne et de stimuler les financements internationaux en démontrant l'engagement du pays en faveur de l'efficacité énergétique.
F.N.H. : Selon vous, les opérateurs des secteurs du bâtiment, des transports et de l'industrie accordent-ils suffisamment d'importance aux aspects liés à l'efficacité énergétique ? S. M. : Le prix de l'énergie exerce une forte pression sur la facture énergétique au niveau national, mais aussi au niveau du consommateur final, particulièrement dans le secteur du transport, qui est sensible aux fluctuations des cours de pétrole, et qui représente plus de 38% de notre consommation énergétique nationale. Ce secteur connait actuellement une dynamique d'efficacité énergétique et de réduction des émissions de GES dans ce sens, avec le programme de prime à la casse, la promotion des véhicules hybrides et électriques, ou le développement du transport collectif et l'écoconduite chez les professionnels. Le bâtiment, qui est le deuxième poste de consommation énergétique connait une augmentation significative de la consommation énergétique des ménages, et dans le secteur tertiaire. En effet, les gens sont de plus en plus sensibilisés et la demande en équipements efficients est très importante, comme dans la climatisation ou l'éclairage. Les hôtels et hôpitaux cherchent aujourd'hui à diminuer leur facture énergétique et s'impliquent davantage dans cette dynamique. Dans l'industrie, dont l'énergie constitue une part importante des coûts de production, notamment dans les sous-secteurs des matériaux de construction et le secteur de l'agroalimentaire, l'énergie reste un facteur important de la compétitivité des industriels. Ces opérateurs sont actuellement impliqués dans le processus de management et d'économie de l'énergie. Le programme Morseff d'aide au financement aux industriels pour les projets d'efficacité énergétique reste un succès dans ce secteur. Aujourd'hui, pratiquement toutes les banques ont des lignes dédiées au financement de l'efficacité énergétique. Mais avec cette révolution du prix de l'électricité solaire, photovoltaïque et éolien, qui sont aujourd'hui l'une des façons les moins chères pour produire de l'électricité, associé à une politique volontariste d'améliorer les rendements des process industriels, certains secteurs énergivores de notre industrie auront l'opportunité de ne plus souffrir d'une concurrence déloyale, car produisant dans des pays où l'énergie fossile était fortement subventionnée. Plus que cela, certaines filières industrielles que l'on s'interdisait à cause du prix de l'énergie dans notre pays vont pouvoir être de nouveau relancées comme la céramique, le verre ou la métallurgie et l'aluminium. De plus, cette industrie qui sera compétitive et décarbonée n'aura rien à craindre d'éventuels barrières douanières environnementales.
F.N.H. : Aujourd'hui, quelles sont les principales priorités de l'AMEE dans le domaine de l'efficacité énergétique au Maroc ? S. M. : L'AMEE a pour mission de contribuer à la mise en œuvre de la politique gouvernementale en matière d'efficacité énergétique. Elle dispose en outre d'une plateforme technologique sur son site de Marrakech, qui abrite, par ailleurs, un laboratoire pour tester les différentes technologies liées à ce secteur et surtout un centre de formation spécialisé, car le renforcement de capacité dans ce domaine est primordial. L'AMEE lance aussi plusieurs programmes d'efficacité énergétique dans le bâtiment, l'industrie, l'agriculture et le transport, secteurs qui représentent plus de 90% de notre consommation. C'est ainsi qu'avec les pouvoirs publics, plusieurs partenaires professionnels et experts, il a été identifié des mesures sectorielles à mettre en œuvre pour atteindre les objectifs escomptés en matière d'efficacité énergétique. Cependant, compte tenu des orientations royales, nous avons mis l'accent sur deux aspects. La coopération Sud-Sud et triangulaire et la régionalisation avancée. Avec notre plateforme verte (Green Training) à Marrakech, nous sommes bien outillés pour exporter l'expertise marocaine vers nos homologues africains qui en expriment le besoin. Et compte tenu également du grand nombre d'accords que le Royaume a signés, nous recevons plusieurs délégations pour partager sur le rôle des pouvoirs publics mais aussi des mesures d'accompagnement pour le secteur privé. En ce qui concerne la régionalisation, l'AMEE a inclus comme l'un de ses principaux processus la déclinaison de la stratégie énergétique nationale à un niveau régional. Cela implique d'accompagner les futurs plans régionaux à l'adoption d'orientations conformes à la stratégie nationale, de fournir une assistance aux problématiques spécifiques à la région afin de trouver des solutions sur-mesure et de mettre en place des programmes de renforcement des capacités et de sensibilisation pour aider les administrateurs et les autorités locales à développer le savoir-faire et l'expertise nécessaires pour faire avancer la cause de l'efficacité énergétique. Dans l'ensemble, l'AMEE place la priorité de la nation au niveau macro et micro, public et privé sur un pied d'égalité.
F.N.H. : Quel bilan faîtes-vous des actions menées par l'AMEE pour la promotion du pompage solaire et l'amélioration de l'efficacité énergétique dans certaines mosquées du Royaume ? S. M. : Le secteur agricole représente près de 8% de la consommation énergétique globale. Un ensemble d'actions a été identifié visant à réduire la consommation énergétique de ce secteur. Parmi ces mesures, la réalisation d'un audit énergétique détaillé, la gestion efficiente de l'eau d'irrigation, le remplacement de certains équipements, ou l'utilisation du solaire photovoltaïque. Un programme de promotion du pompage solaire dans les projets d'eau en irrigation a été lancé, il vise à généraliser les systèmes de solaire en remplacement des pompes diesel ou butane qui pèsent lourd sur la facture énergétique nationale. Aujourd'hui, ce sont près de 30.000 pompes solaires qui sont utilisées. Le programme répond aux objectifs de la stratégie énergétique nationale dans le secteur agricole, mais également aux objectifs du nouveau Plan Génération Green. Ainsi, l'AMEE a initié ce programme pour créer un cadre propice au développement des systèmes de pompage solaire pour l'irrigation agricole, à travers principalement la mise à niveau du secteur privé pour le développement d'un marché de haute qualité, à travers un système de normalisation et de labellisation des équipements, de certification des opérateurs et de formation des installateurs, le renforcement des capacités institutionnelles pour la structuration du marché, et la mise en place d'outils et des mécanismes de financement facilitant l'acquisition des systèmes. Le volet financier est là aussi important et un partenariat a été conclu avec le Crédit Agricole du Maroc et Tamwil al Fellah. Le renforcement de la capacité nationale de production d'équipements de pompage solaire, permettant à l'industrie locale de bénéficier de la technologie et de créer des emplois est aussi prévu. Le programme a vu l'adhésion de l'ensemble de la profession et des exploitants agricoles et les demandes en équipement ont augmenté fortement ces dernières années. D'un autre côté, et dans le cadre de la dynamique nationale de promotion et de développement des énergies renouvelables et de l'efficacité énergétique auprès des mosquées, le programme des mosquées vertes est un programme national d'économie d'énergie dans les mosquées. Il vise plus de 15.000 mosquées dont 1.000 urbaines en première phase. L'impact est estimé entre 37 à 50% d'économie d'énergie sur la facture d'énergie électrique des mosquées, mais surtout, il s'agit de sensibiliser et former les imams et le personnel encadrant du ministère des Habous et des Affaires islamiques à l'intérêt des énergies durables, et développer un label pour les mosquées prises en charge dans le cadre de ce programme. L'AMEE a ainsi organisé des ateliers de sensibilisation et de formation de formateurs et agents du ministère des Habous et des Affaires islamiques dans ce sens. ◆