N. Bensouda, trésorier général du Royaume, revient sur les failles de la politique fiscale menée par le Maroc au lendemain de l'indépendance. Le système fiscal, mis en place durant cette période, était fondé sur une fiscalité incitative et était marqué par la faiblesse de son rendement. En tant qu'outil de développement, la politique fiscale doit s'adapter à la réalité socio-économique du pays. Etant donné que la fiscalité constitue un levier de développement économique, la politique y afférente refait surface à chaque occasion pour voir comment elle évolue, et comment elle s'adapte à la réalité socio-économique du pays. A l'occasion du colloque sur les finances publiques, N. Bensouda, trésorier général du Royaume, avait attiré l'attention sur les soubassements de la réussite d'une politique fiscale. D'après lui, la question qui se pose d'emblée est: «Pourquoi une politique fiscale réussit dans un pays mais pas dans un autre, pendant une période donnée de l'histoire et non une autre?». Une stratégie fiscale basée sur les incitations fiscales peut mettre à rude épreuve les finances publiques, tandis qu'une stratégie basée sur une forte pression peut mener vers une situation insoutenable. En parlant d'une politique fiscale non réussie, N. Bensouda rappelle la fiscalité dérogatoire des années soixante-dix. Depuis l'indépendance du Maroc en 1956 jusqu'en 1973, les dépenses publiques avaient connu une évolution régulière et lente, avec une prédominance structurelle des dépenses de fonctionnement, suivies de celles d'investissement et, enfin, celles de la dette publique qui étaient raisonnables. Entre 1975 et 1977, le taux de croissance des dépenses d'investissement était de l'ordre de 131% alors que celui des dépenses de fonctionnement n'était que de 44%. Il est à rappeler que durant cette période, les prix des phosphates ont triplé, ce qui a permis au Maroc de se lancer dans un plan quinquennal ambitieux pour la période 1973-1977. D'après le trésorier général du Royaume : «Concomitamment à cette politique d'investissement public de type keynésien, le gouvernement avait mis en place une politique fiscale encourageant l'entreprise privée». Le système fiscal mis en place durant cette période était fondé sur une fiscalité incitative et était marqué par la faiblesse de son rendement. A chaque période, une politique fiscale déterminée. De 1973 à 1983, la nouveauté introduite a consisté dans la modulation des avantages en vue de favoriser un développement régional harmonieux. Les allégements fiscaux ont ainsi pris plusieurs formes. D'après N. Bensouda, de telles incitations avaient compliqué le système fiscal et affecté les conditions de son équité, sachant que l'efficacité est restée difficile à vérifier. Et pour cause: les taux légaux étaient élevés pour ceux qui les payaient, principalement les salariés. En revanche, les autres contribuables usaient de la dérogation de droit par le biais des incitations fiscales, appelées dépenses fiscales, ou abusaient de la dérogation de fait à travers la fraude. Aussi, la fiscalité marocaine s'est-elle caractérisée durant cette période par un déséquilibre découlant notamment de la prépondérance de la part des impôts indirects dans la structure fiscale. Nous constatons, par ailleurs, que le Maroc s'accommodait plus ou moins d'une politique fiscale tant qu'il y avait des ressources provenant de l'extérieur. 1998 : le vrai tournant La politique fiscale n'a pas atteint les objectifs escomptés parce qu'elle ne s'est jamais doutée que les prix des matières premières, notamment ceux des phosphates, allaient chuter de manière vertigineuse. La fiscalité ne pouvait, en aucun cas, assurer le relais, du fait de son faible rendement. Les fragilités de la politique fiscale avaient exhorté les gouvernements, depuis 1998, à poursuivre leur politique de renforcement de la mobilisation des ressources domestiques, notamment, par le biais de l'impôt. La réforme fiscale amorcée depuis 1998 s'est appuyée sur un dialogue avec les partenaires. Elle avait bénéficié d'un appui politique fort, en tenant compte de la capacité d'absorption de l'environnement politique, économique et social, et en adoptant également, une démarche progressive pour sa mise en oeuvre. C'est une réforme qui avait continué à concerner aussi bien le système fiscal que l'administration qui avait la charge de sa gestion. La nécessité d'une réflexion globale et concertée sur le système fiscal marocain s'était fait sentir de façon pressante, conduisant à la tenue, en novembre 1999, des Assises nationales sur la fiscalité. Cette rencontre de deux jours avait permis de réunir à l'époque des représentants du monde politique, des experts nationaux et internationaux en fiscalité, des opérateurs économiques et des universitaires marocains et étrangers, pour débattre sur le système fiscal et échanger les points de vue, pour d'arrêter de manière collective une feuille de route pour moderniser le système fiscal marocain. La démarche adoptée s'est fondée sur l'association des partenaires et sur la concertation avec les différents intervenants, afin de leur permettre de s'approprier les changements et d'être parties prenantes dans la transition qui s'opère. Le débat fiscal justifie ainsi de sa pleine signification. Le but visé était d'institutionnaliser la concertation, ce qui constitue un important acquis en termes de démocratie fiscale. Ainsi, l'administration fiscale était depuis lors accompagnée dans ses efforts de réforme et de modernisation du système fiscal, en vue de l'adapter aux nouvelles donnes de l'économie marocaine et aux meilleures pratiques sur le plan international. Ces Assises avaient permis d'identifier les faiblesses du système fiscal marocain et de construire un système issu d'une vision partagée. Cette remise en cause était devenue pressante, eu égard à l'avènement du démantèlement tarifaire consécutif aux accords de libre-échange avec l'Union européenne, à la mise à niveau de notre tissu économique et à l'amélioration des performances de notre système fiscal. Aujourd'hui, eu égard au changement que connaît le monde et à la crise qui sévit, des mesures d'adaptation s'imposent. D'où la tenue lundi dernier, des Assises sur la fiscalité.