Il a «hérité» d'une petite banque pour en faire, en moins de deux décennies, un groupe industriel et financier au rayonnement international. Le groupe BMCE Bank, c'est aujourd'hui un PNB consolidé de 9 Mds de DH, un RNPG de 923 MDH et une implantation dans 15 pays africains. Retour sur l'histoire d'une banque dont les premières lignes ont été écrites par Othman Benjelloun en 1995. Le groupe BMCE Bank vient de rendre publics ses résultats au titre de l'exercice 2012. Il en ressort ainsi une hausse des dépôts et crédits consolidés de 4% et 14% à 144,6 Mds de DH et 138,8 milliards, respectivement. Le PNB consolidé s'apprécie de 11%, dépassant pour la première fois la barre des 9 Mds de DH. Une évolution conjuguée à une augmentation des charges générales d'exploitation de 6%, induisant ainsi l'amélioration du coefficient d'exploitation de 2,6 points à 60,3%. Le RNPG gagne 9% à 923 MDH, dans un contexte marqué par un effort de provisionnement qui a dépassé le milliard de DH (1,1 milliard). Hors éléments exceptionnels, notamment une charge nette exceptionnelle de 323 MDH liée à l'impact fiscal et à la contribution à la cohésion sociale, la progression du RNPG aurait été de 47%. Le bon comportement des filiales à l'international a eu un impact favorable sur ces performances. On note, à ce titre, une contribution positive des filiales européennes, représentant une part de 4% dans le RNPG (hors exceptionnel) contre une contribution négative une année auparavant, et la hausse de 30% de celle des activités de l'Afrique subsaharienne. Sur ce registre, il faut noter que la BMCE a poursuivi la croissance organique du groupe BOA à travers l'ouverture de 32 nouvelles agences, portant la taille du réseau de distribution à 370 agences. Par ailleurs, le groupe a obtenu l'agrément bancaire de Bank of Africa au Togo en 2013, portant ainsi le nombre des pays d'implantation à 15 sur le continent. Si, aujourd'hui, le groupe BMCE est parmi les références du système bancaire, c'est grâce à la pugnacité d'un homme : Othman Benjelloun, qui a su s'entourer, dès le départ, de très bonnes compétences pour tirer la banque vers le haut. Et être actuellement l'homme d'affaires le plus riche du Maroc, avec une fortune estimée par Forbes à 3,1 milliards de dollars. Un fin tacticien C'est en 1995, lorsqu'il a acquis BMCE Bank, que Othman Benjelloun a commencé à écrire les premières lignes de l'histoire de la banque. Péniblement, mais avec sérénité. Sa main a parfois certes tremblé, mais il a su écrire droit, se conformant à une feuille de route dont lui seul maîtrisait le contenu. Mais c'était loin d'être évident. Et sa première tâche était de «se faire accepter» par le cercle restreint d'une profession qui le chahutait et ne voyait en lui qu'un intrus. Simplement parce que Benjelloun, à qui on collait une étiquette de capitaliste marocain new look, était issu du monde des assurances, car il présidait déjà aux destinées de la Royale marocaine d'assurance depuis 1989. Beaucoup prédisaient déjà son échec. Mais il mit des boules quies et fit fi des diatribes. Lui savait où il voulait aller. Et son charisme et son sens des affaires allaient rendre ses détracteurs moins jubilatoires. En fin tacticien, il choisit alors de se trouver un partenaire international pour accélérer le processus de développement de l'établissement bancaire. C'est ainsi que l'Allemand Commerzbank prit place dans le tour de table en s'octroyant d'abord 10% du capital de la banque en 1997, puis 5% supplémentaires quatre années plus tard. Mais ce compagnonnage allait prendre définitivement fin en 2004, Commerzbank décidant, pour des raisons stratégiques, de réduire ses participations à l'international. C'était la version officielle. Mais, en coulisse, il se disait autre chose. Car, au moment du désengagement, BMCE Bank n'était plus ce qu'il était à ses débuts. Entre-temps, le groupe était devenu tentaculaire (présence dans tous les métiers de la finance), avec un Othman Benjelloun porté, dès 1998, à la tête du Groupement professionnel des banques du Maroc. Il était devenu, en l'espace de trois ans, un banquier reconnu par ses pairs, aussi bien au Maroc qu'à l'international, qui comptait déjà à son actif plusieurs titres de «Banquier africain de l'année» et «Meilleure banque au Maroc». Un véritable sacre! Qu'il savourait sans triomphalisme et, surtout, qui ne lui fit point oublier ses premières amours : les assurances. Secteur où il allait réussir un coup de maître en soufflant les compagnies d'assurance Al Wataniya et Alliance Africaine (fusionnées par la suite) au nez et à la barbe de l'ONA. Pilule qui fut difficile à avaler pour la holding royale. BCM, BMCE, Wafabank : duel à distance La montée en puissance du groupe BMCE Bank avait dès lors bouleversé la hiérarchie quasi établie dans le microcosme bancaire. La BCM et Wafabank, modèles de réussite et symboles forts du système bancaire à l'époque, observaient, inquiètes, son ascension. Comment faire pour stopper Benjelloun qui commençait surtout à ternir l'aura de la BCM ? La meilleure manière de contrôler son ennemi est de s'en rapprocher. Alors, commençaient à circuler des bruits de négociations secrètes entre BMCE et BCM, afin que cette dernière puisse prendre entre 20 et 30% du capital de la banque présidée par Othman Benjelloun. Info ou intox ? A l'époque, l'hypothèse se tenait grâce à la conjonction de deux facteurs importants : d'un côté, l'ONA digérait mal que la BMCE Bank tutoie la BCM, surtout après l'épisode des assurances et la montée en force de la BMCE dans le capital de la SNI, laquelle a été vécue comme un outrage. Il fallait donc que la BCM grandisse davantage, quitte à s'allier à son «meilleur ennemi». D'un autre côté, Benjelloun avait un cruel besoin de liquidité. Car la sortie du capital de Commerzbank n'était pas sans conséquences : il fallait mobiliser quelque 1 Md de DH pour racheter les parts de la banque allemande, puisque le groupe BMCE Bank disposait d'un droit de préemption. Benjelloun trouva alors la parade. Il fut ainsi convenu d'une sortie en deux étapes: 10% furent cédés en 2003 et le reste en 2004. Avec, au passage, le montage d'une opération ingénieuse : céder, via une offre publique de vente, 750.000 actions BMCE Bank, soit 4,72% du capital, au personnel titulaire de la banque et de ses filiales majoritaires. Un personnel devenu actionnaire sans débourser un sou, puisqu'il a acheté les actions moyennant un crédit à un taux symbolique. Mieux, l'opération était assortie d'une garantie d'un prix minimum de revente (400 DH). Résultat, trois ans plus tard, les salariés sont devenus tous «riches» : avec la hausse du titre en Bourse, les actions achetées 400 DH l'unité ont été cédées à 1.000 DH l'unité, soit une performance de 150%. Cette parade a permis à Benjelloun de s'exonérer poliment des «services» de la BCM, tout en continuant à chercher un allié stratégique. Un deal avec la Caisse d'épargne française fut alors conclu. Mais l'accord de cession de 20% du capital de la banque aux Français fut sanctionné par le veto du Comité des établissements de crédit. Motif : «Projet pas structurant». Sanction que d'aucuns vont expressément lier au refus de BMCE d'ouvrir son capital à la BCM. C'est finalement le Français CIC (Crédit industriel et commercial) qui rejoindra le tour de table, tandis que la BCM jettera son dévolu sur Wafabank pour donner Attijariwafa bank. Cette opération bouclée, Benjelloun pouvait désormais regarder ailleurs : ses ambitions de développement, portées par une organisation dont le centre névralgique est la holding FinanceCom, dépassaient de loin le cadre du microcosme bancaire marocain. Dès 2007, il afficha au grand jour sa «passion pour l'Afrique» en s'invitant dans le capital de Bank Of Africa (BOA). Conquête africaine La BMCE fit ainsi un pas de géant en Afrique en acquérant 35% du capital de BOA en 2007, pour ensuite porter sa participation à 68% actuellement. La bataille des mastodontes du système bancaire se joue ainsi désormais en terre africaine. A côté d'Attijariwafa bank et de la BCP, la BMCE pose les jalons d'une croissance en Afrique subsaharienne aux contours bien définis. Une stratégie en droite ligne avec le programme de transformation initié dont l'objectif est de simplifier le modèle opérationnel, être plus dynamique sur le plan commercial et maîtriser les risques et charges d'exploitation. Un programme de transformation qui, tout autant, consacre la «continentalisation» d'un groupe dont les racines cheminent à travers le Royaume pour assurer un profond ancrage régional. «Les structures de son bilan, ses structures organisationnelles, ses capacités humaines et sa culture évoluent et doivent davantage évoluer pour épouser l'élargissement de ses horizons géographiques», avait notamment déclaré Brahim Benjelloun-Touimi, Administrateur Directeur général délégué du groupe BMCE, lors d'une rencontre avec la presse. Même si l'objectif n'est pas de «détenir 100% de BOA», comme le laisse entendre le management de la banque, il n'en demeure pas moins vrai que la stratégie agressive déployée en Afrique devrait se poursuivre. Les intentions sont clairement affichées. «L'ambition du Groupe BMCE Bank est d'être présent à travers l'ensemble du continent africain, que cela prenne 10, 15 ou 20 ans», martèle Benjelloun-Touimi. Et, parallèlement, BOA devrait augmenter ses participations dans ses filiales africaines, selon les opportunités qui se présenteront. Réussite ! La réussite est au bout de l'effort. Cette assertion, Othman Benjelloun l'a faite sienne. Il a «hérité» d'une petite banque pour en faire, en moins de deux décennies, un groupe industriel et financier au rayonnement international. Malgré les peaux de banane. Malgré les diatribes acerbes. Malgré les tentatives de déstabilisation. Sur ce point d'ailleurs, il faut rappeler qu'en 2009 la sérénité des salariés du groupe aura été quelque peu ébranlée par des rumeurs persistantes : cession de BMCE à la CDG, fusion avec la BCP, cession à Attijariwafa bank... ou encore cession pure et simple du groupe FinanceCom. Rumeurs qui ont fini par passablement agacer Monsieur le président et l'ont poussé à sortir de sa réserve à travers une mise au point cinglante. «Aucune discussion, proposition ou négociation n'a eu lieu avec un quelconque groupe national, banque marocaine ou étrangère pour une cession des actions de BMCE Bank détenues aujourd'hui à hauteur de 40% du capital par notre holding FinanceCom et notre compagnie d'assurance RMA Watanya», avait-il dit, non sans souligner «la volonté de maintenir la direction de notre banque, de maintenir le contrôle de notre groupe sans partage, sans cession et sans fusion». Limpide. Aujourd'hui, le groupe maintient le cap et nourrit encore des ambitions autrement plus grandes à travers son plan stratégique de développement triennal 2012-2015. In fine, qui y gagne ? Le Maroc. Simplement parce que dans tous ces pays où le groupe a planté haut l'étendard du Royaume, on ne dit pas «cette banque appartient à Othman Benjelloun», mais plutôt «elle appartient aux Marocains».