Chasse gardée de la Direction Générale, la stratégie d'entreprise consiste, selon Michael Porter, en «la réalisation des choix d'allocation de ressources financières, humaines et technologiques qui engagent l'entreprise dans le long terme et la dotent d'un avantage concurrentiel durable, décisif et défendable». Toute entreprise structurée en est dotée et l'exercice stratégique est un moment fort de sa vie. Quand ce n'est pas sous l'impulsion du management exécutif, c'est sous la pression des conseils d'administration ou par effet de mode qu'elle est élaborée. Or, bien souvent, des stratégies de conception brillante aboutissent à des résultats assez décevants. Dans certaines entreprises, les transformations sont radicales et les résultats spectaculaires; dans d'autres, la stratégie se limite à des objectifs non atteints, des projets en retard, des présentations Powerpoint interminables, des feuilles de calcul Excel indéchiffrables et des cachets de «Doliprane». Du déjà vécu ? Une grande frustration envahit le dirigeant lors de l'implémentation de la stratégie, et pourtant tout avait bien commencé. La stratégie était bien conçue. Elle a été élaborée par un cabinet de conseil de renom, annoncée en grandes pompes dans un hôtel huppé de la place et relayée lors d'un "team building" où tout le monde «semblait» enthousiaste. On y a même obtenu l'engagement écrit des équipes dans un cadre agréable et détendu. Ça ne pouvait que marcher. Et puis, Rien. Les semaines se suivent, les retards s'accumulent, les projets calent lamentablement, les écarts par rapport aux objectifs se creusent, les équipes se rejettent la responsabilité, les nerfs lâchent et on commence déjà à chercher les coupables. C'est le chaos total. C'est le scénario redouté par tout dirigeant. Un grand moment de solitude du leader ! Il est écartelé entre un conseil d'administration auquel il doit rendre compte, des équipes qu'il doit mener avec fermeté mais sans dérive autoritaire, pour maintenir à minima la cohésion au sein de l'organisation. Il doit non seulement contrôler la situation, mais se maîtriser lui-même. Que s'est-il passé ? Il aurait pu aisément éviter cette situation, s'il avait pris l'exercice au sérieux et s'il avait agi sur les bons leviers pour générer la rupture promise. La stratégie, c'est sérieux Le problème de la démarche stratégique, c'est que les dirigeants la transforment en un processus mécanique, dépourvu d'âme. Pour les managers, elle devient un Travail à faire, comme dirait l'autre, au lieu de s'en servir comme un moyen de mobilisation d'équipes dirigées par un chef autour d'une vision commune, au service d'un idéal. Ce n'est pas de la littérature creuse ! Pour pousser les hommes à fournir le meilleur d'eux-mêmes, il faut leur donner du sens (grandes réalisations), susciter chez eux le sentiment d'urgence (menace imminente) et leur créer un ennemi à vaincre (concurrents). Il faut leur faire sentir que c'est sérieux pour qu'ils vous prennent au sérieux. Les gens n'aiment pas les choses banales. La stratégie ne fait que formaliser ce pacte entre le dirigeant et le reste des collaborateurs. Sans passion, il n'y a point de rupture. Seuls les grands leaders réussissent dans la tâche. Quand ça ne marche pas, ils sont, en revanche, les premiers à porter la responsabilité. Les dirigeants qui limitent la stratégie à un slogan (nous voulons être les meilleurs partout), des promesses creuses, des projets désarticulés et des chiffres fantaisistes, au mieux démobilisent leurs équipes, au pire provoquent leur indifférence. La transformation, au centre Si la conception et le suivi de la mise en place de la stratégie est le pré carré de la Direction Générale, celle-ci se révèle souvent médiocre quand elle veut gérer directement la transformation. La transformation des concepts abstraits de la stratégie en performances opérationnelles, perceptibles par les clients et génératrices de valeur pour les actionnaires, se trouve au centre même de l'entreprise. Entre la stratégie et l'exécution se situe une couche qui joue le rôle de courroie de transmission entre le sommet et la base. C'est la partie de l'organisation qui accélère ou ralentit la mise en place de la stratégie, qui fait en sorte que, in fine, celle-ci réussisse ou échoue. Paradoxalement, c'est le maillon générateur de la performance qui est souvent le plus négligé, en termes d'investissement, de rémunération et de motivation. Pour garantir une exécution réussie de la stratégie et générer la transformation souhaitée, cette couche de l'entreprise doit faire l'objet d'une attention particulière, en veillant à y mettre de bons managers, et pas uniquement – et c'est une erreur répandue – de bons techniciens. Dans cette partie de la structure, la société a besoin de collaborateurs qui savent «faire faire». En d'autres termes, il faut de vrais chefs d'équipes, orientés processus et résultats tangibles, rompus à la gestion du changement et capables de : décliner les objectifs de l'entreprise au niveau de leurs unités, fixer des objectifs individuels, suivre des performances, trancher à leur niveau, motiver leurs collaborateurs. Toute entreprise visant un niveau élevé de performance doit se doter, en fonction de sa taille, d'une pépinière de managers de cette trempe et les placer dans les endroits sensibles de l'entreprise. Ils doivent constamment bénéficier de formations en management et gestion d'équipes, être dotés d'outils de managements adéquats (budgets, procédures, tableaux de bords,..) et correctement motivés (salaire fixe et variable). Loin de n'être qu'un exercice de style, la stratégie est une affaire sérieuse. Sur le marché comme dans une guerre, quatre conditions à remplir vous permettent de remporter des victoires décisives : une mission sainte, un danger imminent, un ennemi à vaincre et une organisation infaillible au centre, grâce aux chaînes intermédiaires de commandement. «Si on les observe, on engrange des triomphes. Si on les ignore, on cumule les défaites», disait Sun Tzu, il y a 2400 ans. * Nabil Adel est cadre dirigeant d'assurances depuis 1997. Il est consultant auprès de plusieurs institutions financières nationales et internationales (Opérations de haut de bilan, Fusion-Acquisition et valorisation), de fonds d'investissement (Due diligence, évaluation et business plans) et de grandes entreprises (Stratégie et Organisation). Il est également professeur d'économie, de stratégie et de finance d'entreprise depuis 2002. www.nabiladel74.wordpress.com Cette adresse email est protégée contre les robots des spammeurs, vous devez activer Javascript pour la voir.