Les dispositions fiscales concernant le financement du Fonds de cohésion sociale risquent de faire diminuer la capacité d'investissement des entreprises et le pouvoir d'achat des consommateurs. Si les prix des produits de base sont décompensés, l'inflation sera de loin supérieure à 3%. J. Kerdoudi, président de l'IMRI, livre une analyse un peu sceptique sur les aboutissements de la LF 2013. Finances News Hebdo : En matière de relance économique, quelle appréciation faites-vous des dispositions contenues dans la Loi de Finances 2013 ? Jawad Kerdoudi : Les plans de relance économique s'adressent généralement aux entreprises pour accroître leur activité, et aux ménages pour augmenter leur pouvoir d'achat. Or, malheureusement, la Loi de Finances 2013 ne poursuit pas ces deux objectifs. Les investissements publics, source d'activité pour les entreprises, ont légèrement diminué par rapport au budget 2012, et les sociétés bénéficiaires ont été soumises à contribution pour financer le Fonds de cohésion sociale. Les ménages appartenant à la classe moyenne supérieure ont été également imposés pour financer ce Fonds. F. N. H. : La Loi de Finances 2013 table sur un taux de croissance de 4,5%, un taux de déficit budgétaire de 4,8% et un taux d'inflation à moins de 3%. D'après-vous, ces objectifs sont-ils réalisables, si on prend en considération le fait que notre principal partenaire sombre encore dans la crise, en plus d'une campagne agricole qui, au vu des conditions climatiques actuelles, pourrait être moyenne ? J. K. : Les taux proposés par la Loi de finances 2013 me semblent en effet trop optimistes. Le taux de croissance de 4,5% en 2013 sera difficile à réaliser du fait des incertitudes qui pèsent sur la campagne agricole 2012 – 2013. En effet, si les pluies ont été abondantes pendant les mois d'octobre et novembre, elles se sont faites rares en décembre 2012. De plus, la prévision de croissance de la zone euro, qui est notre principal débouché et pourvoyeur d'investissements et de touristes, n'est que de 0,1% du PIB en 2013. En outre, les dispositions fiscales concernant le financement du Fonds de cohésion sociale vont diminuer la capacité d'investissements des entreprises et le pouvoir d'achat des consommateurs, et donc de la demande interne. De même qu'il sera difficile de réaliser un déficit budgétaire de 4,8% du PIB en 2013 du fait que les dépenses publiques vont augmenter de 4% en 2013 par rapport à 2012, et que les syndicats vont se battre pour obtenir des augmentations salariales durant l'année 2013. Quant au taux d'inflation inférieur à 3%, tout dépend de la réforme de la Caisse de Compensation qui est prévue en juin 2013. Il est certain que si les prix des produits de base sont décompensés, l'inflation sera de loin supérieure à 3%. F. N. H. : En tant qu'économiste, quels sont globalement les points contenus dans la LF 2013 que vous considérez comme étant positifs et ceux qui risquent d'être pernicieux pour l'activité économique ? J. K. : La Loi de Finances 2013 comprend certains éléments positifs, mais, à mon avis, non déterminants pour augmenter la croissance et diminuer le déficit budgétaire. On peut citer la réduction de l'IS à 10% pour les sociétés réalisant un bénéfice égal ou supérieur à 300.000 DH. Les retraités vont bénéficier d'un revenu supérieur grâce à l'augmentation de l'abattement de l'IR de 40 à 55%. La vente d'un logement principal sera exonérée de TPI après une période d'occupation de 6 ans au lieu de 8 ans. Les droits d'enregistrement pour la création d'entreprises ou de groupements d'intérêt économique sont fixés à 1.000 DH forfaitaire, de même pour les augmentations de capital inférieur à 500.000 DH. On peut citer également divers avantages accordés pour l'acquisition de logements destinés à la classe moyenne, ainsi que pour les logements économiques. Les associations de micro-crédit ainsi que les coopératives vont également bénéficier de nouvelles incitations fiscales. Les droits d'importation seront rehaussés pour la viande blanche afin de protéger la production nationale, et réduits pour l'importation de blé dur du fait de la faiblesse de la production de céréales. Enfin, les MRE bénéficieront d'avantages financiers dans certaines conditions pour le dédouanement de leur voiture automobile. Plus discutables sont les dispositions concernant de nouvelles taxes instaurées par la Loi de finances 2013. Si les taxes sur le sable et le rond à béton ne posent pas de problèmes majeurs, le financement du Fonds de cohésion sociale a donné lieu à beaucoup de critiques. Ce Fonds sera en effet financé par les entreprises à raison d'un taux de 0,5% à 2% selon le niveau des bénéfices réalisés. Les personnes physiques vont également contribuer par un taux de 2 à 6% selon leurs revenus annuels. Le Fonds de cohésion sociale sera également financé par une taxe sur les opérations de livraison à soi-même à raison de 60 DH le m2. La principale critique qui concerne le financement de ce Fonds de cohésion sociale est que ce sont toujours les mêmes qui sont appelés à contribuer : à savoir les entreprises et les salariés. Cela, alors que d'autres secteurs comme l'agriculture sont totalement exonérés, ou bénéficient de niches fiscales importantes. Sans parler du secteur informel évalué à 40% du PIB et qui échappe totalement à l'impôt. F. N. H. : Les avis continuent à diverger en ce qui concerne la classe moyenne. Est-ce que vous partagez l'idée qu'une croissance tirée par la demande interne risque d'être compromise à cause des mesures en défaveur de cette classe censée tirer la croissance ? J. K. : Il faut d'abord constater que la croissance de l'économie marocaine est tirée principalement par la consommation interne. Non seulement l'export ne contribue pas à la croissance, mais se révèle souvent un élément négatif. Les ponctions sur les entreprises bénéficiaires et les salariés pour financer le Fond de cohésion sociale vont certainement avoir un impact négatif sur la consommation nationale et donc sur la croissance. F. N. H. : Durant la campagne électorale, le parti du PJD a promis un certain nombre de dispositions. Est-ce que, d'après-vous, le gouvernement a respecté ses engagements. Avez-vous remarqué une touche PJD ? J. K. : La touche principale qu'a apportée le PJD dans la Loi de Finances 2013 est le Fonds de cohésion sociale qui constitue une redistribution de richesses en faveur des plus démunis. Propos recueillis par S. Es-Siari