Même si les prévisions de la Loi de Finances 2013 semblent ambitieuses, les députés ne peuvent émettre des amendements à même de chambouler le montage de la LF. Ces amendements concernent essentiellement les mesures fiscales quand ils ne sont pas rejetés par l'article 77 de la Constitution. Najib Akesbi, économiste et professeur à l'Institut agronomique et vétérinaire Hassan II, évalue les principaux amendements et leur contribution à la relance économique... ou pas ! Finances News Hebdo : Des prévisions ambitieuses, un projet de LF qui ne marque pas le ton de l'ère Benkirane... sont autant de critiques ayant fusé depuis que le Budget 2013 été rendu public. Aujourd'hui, après adoption, les amendements ayant été apportés ont-ils rendu la Loi de Finances 2013 plus agressive et plus à même de proposer des mesures pouvant dynamiser l'économie tout en sauvegardant le pouvoir d'achat des Marocains ? Najib Akesbi : Il faut garder à l'esprit que les fondamentaux ayant servi à l'élaboration du projet de la Loi de Finances 2013 n'ont pas changé. Le taux prévisionnel de 4,5% de croissance n'a pas changé, le taux de 4,8 points de déficit non plus, ni même la base du cours du baril de pétrole ou le taux de change DH/dollar. Même lorsqu'ils estiment les prévisions trop ambitieuses ou simplement erronées, les députés ne peuvent émettre des amendements sur les agrégats pour la simple raison que cela reviendrait à remettre en cause toutes les hypothèses de base sur lesquelles le montage de la Loi de Finances a été réalisé. Et le gouvernement n'est pas disposé à chambouler l'ensemble de son montage. En général, les amendements concernent essentiellement les mesures fiscales. Et là encore, il est important de rappeler le verrouillage permis par l'article 77 de la Constitution selon lequel «le gouvernement peut opposer, de manière motivée, l'irrecevabilité à toute proposition ou amendement formulés par les membres du Parlement lorsque leur adoption aurait pour conséquence, par rapport à la Loi de Finances, soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l'aggravation des charges publiques». Le fait est qu'il est bien difficile d'émettre un amendement qui ne génère ni une augmentation des dépenses publiques ni une baisse des recettes ! Autant dire que le gouvernement peut ainsi rejeter tout amendement qui ne lui convient pas en se contentant de lui opposer ce fameux article. C'est effectivement ce qui s'est passé pour un certain nombre d'amendements dignes d'intérêt, notamment du point de vue de la possibilité d'une relance économique, mais qui ont été rejetés par le gouvernement. F. N. H. : Sur ceux ayant reçu l'aval du gouvernement, y en a-t-il qui contribueraient à la relance économique ? N. A. : Prenons la baisse du taux de l'IS à 10%. Ce n'est pas vraiment un amendement, puisque c'était déjà dans le texte initial, et surtout il faut savoir que déjà dans la Loi de Finances 2011, le gouvernement avait introduit un taux de 15 % pour les PME réalisant un chiffre d'affaires inférieur à 3 millions de DH. Là, il y a eu un changement significatif qu'il faut bien comprendre : on a encore baissé ce taux à 10%, mais on a également changé l'assiette, puisque cette mesure n'est plus nécessairement destinée aux PME qui font au plus 3 MDH de chiffre d'affaires, mais profite à l'ensemble des entreprises, quelles que soient leur taille, qui font moins de 300.000 DH de bénéfice net. Donc, nous ne sommes plus en face d'une mesure destinée à promouvoir particulièrement les PME, mais çà n'est rien d'autre qu'un cadeau de plus à certaines entreprises, à commencer par celles qui n'ont rien de petites ni de moyennes, mais qui grâce à la fraude et l'évasion fiscales, vont s'arranger pour présenter des bénéfices imposables inférieurs à 300.000 DH, et de surcroît-cerise sur le gâteau- profiter de ce taux minoré de 10% ! F. N. H. : Cette mesure serait-il de nature à relancer la machine économique ? N. A. : C'est tout le débat autour des incitations fiscales ! Est-ce qu'une «carotte fiscale» est suffisante pour inciter un entrepreneur à investir, à créer des emplois? L'expérience des quarante dernières années a montré que, malheureusement, une telle carotte fiscale est loin d'être suffisante. Il faut réunir d'autres conditions, notamment la taille du marché et la demande solvable, la disponibilité et le coût des facteurs, le climat d'investissement, etc... pour qu'un avantage fiscal tel que celui accordé à ces entreprises devienne incitatif. Aujourd'hui, les responsables eux-mêmes ont fini par reconnaître que les «dépenses fiscales» sont inefficaces, inéquitables, en plus d'être excessivement coûteuses (36 milliards de dirhams, soit plus de 4 points de PIB). Comment comprendre qu'au moment même où l'on reconnaît tout çà, on continue de multiplier ces «dépenses» tant décriées ? Pour en revenir aux amendements, il y a le cas de la contribution aussi bien des entreprises que des particuliers au Fonds de cohésion sociale. Il y a eu en effet des amendements à ce niveau, mais qui vont dans le sens de l'atténuation de cette contribution. Ainsi, il est désormais prévu une cotisation allant de 0,5 à 2% pour les entreprises réalisant un bénéfice allant de 15 à plus de 100 millions de DH. Autant dire qu'on joue là à la marge, puisqu'il ne s'agit que d'une infime minorité d'entreprises concernées. En quoi une contribution aussi faible peut-elle influer sur le comportement d'une entreprise concernée ? Tout cela ne me semble pas très significatif. F. N. H. : Qu'en est-il pour les personnes physiques ? N. A. : Là encore, on a tout simplement augmenté les seuils des salaires assujettis à la cotisation de 25.000 à 30.000 DH/mois, puis en créant deux nouveaux paliers de 50.000 DH et 70.000 DH de salaire mensuel, avec des taux qui vont de 2% à 6%. On a donc fini par plier devant certains lobbies qui ont osé nous faire croire que la pauvre «classe moyenne» qui gagne entre 25 et 30.000 DH par mois allait être écrasée par l'impôt ! Il reste qu'à ce niveau de salaires, on peut se demander si un niveau de contribution relativement aussi faible est susceptible d'influer sur le comportement d'épargne ou de consommation des ménages concernés? Encore une fois, avec des taux aussi faibles, et sachant de toute façon que toutes ces mesures ne sont prévues que pour une période limitée de 3 ans, l'impact marginal en termes de comportements économiques ne me paraît pas très significatif. F. N. H. : Le secteur de l'immobilier a occupé un large pan de la LF. Quelle appréciation faites-vous des différents amendements concernant les mesures relatives à ce secteur d'activité ? N. A. : Je parlerai dans un premier temps d'une nouvelle mesure qui n'a pas fait l'objet d'un amendement, celle de la TVA sur livraison à soi-même de l'habitation principale. Cette TVA a été supprimée et remplacée par une contribution de 60 DH par m2 pour les maisons dont la surface couverte dépasse 300 m2. Une telle mesure, du point de vue de l'objectif de rationalisation du système fiscal et d'élargissement de son assiette, marque une vraie régression. Au moment où l'on parle d'élargir l'assiette et en particulier d'étendre le champ d'application de la TVA, voilà qu'on prend une mesure qui va exactement dans le sens inverse ! Quelle crédibilité accorder au discours du gouvernement sur l'élargissement de l'assiette fiscale après un tel revirement ? Le plus grave est qu'on a justifié cette démission par le fait que le système abandonné était trop fraudé... mais alors, si la fraude devient un argument pour renoncer à des systèmes d'imposition, il faudrait se préparer à supprimer 80% des impositions existantes ! Cet «argument» est en réalité tout à fait irrecevable, car face à la fraude, la réponse est notamment dans l'amendement des textes pour en limiter les échappatoires et le renforcement des contrôles, pas dans la suppression d'une disposition qui revient objectivement à amputer l'assiette fiscale qu'on prétend vouloir élargir. Toujours dans le secteur de l'immobilier, on peut évoquer la mesure relative à l'acquisition par la classe moyenne d'un logement dont la superficie couverte est comprise entre 100 et 150 mètres carrés, au prix de vente ne dépassant pas les 5.000 DH le m2. Là l'Etat s'est tout bonnement plié au diktat des promoteurs immobiliers, en relevant le seuil de 5000 à 6000 DH, et en abaissant la surface de 100 à 80 m2. Du coup d'ailleurs, c'est le logement social qui en pâtit puisque pour sa part c'est sa surface maximale qui a été ramenée de 100 à 80 m2... Encore que même avec autant d'avantages, les promoteurs continuent de manifester leur insatisfaction et de revendiquer «toujours plus» (comme par exemple de considérer les 6.000 DH «hors taxe» et non «TVA comprise»...). De toute façon, il est permis de douter qu'une telle mesure contribue à régler le problème de l'accès au logement de la classe moyenne ! Il suffit de prendre connaissance des réactions et même des intentions publiquement exprimées par les promoteurs qui comptent dans le pays pour déchanter : ceux-ci ont en effet déjà signifié qu'une telle formule ne les intéresse pas, faute d'être suffisamment rentable... F. N. H. : Le chiffre d'affaires imposable des coopératives a été augmenté à 10 millions de DH au lieu de 5 millions actuellement. Il s'agit là d'un amendement intéressant ... N. A. : C'est un peu normal car, effectivement, c'est un chiffre d'affaires qui n'a pas été actualisé depuis l'entrée en vigueur de cette mesure, c'est-à-dire depuis 7 à 8 ans. Mais dans le même temps, on ne peut alors s'empêcher de penser aux très nombreuses autres dispositions contenues dans le système fiscal et qui auraient aussi tellement besoin d'être actualisés, ne serait-ce que pour tenir compte de l'inflation ! En fait, on sait que cette fiscalisation des coopératives avait été imposée par une puissante entreprise appartenant à l'ex-ONA dans sa lutte pour contenir une dynamique coopérative du Sud du pays qui avait réussi à lui faire de l'ombre dans un secteur où le mastodonte faisait la pluie et le beau temps depuis des décennies... Cette «actualisation» très sélective ne me semble donc être en fait qu'un nouvel «épisode» de cette bataille à armes très inégales... En ce qui concerne le délai accordé pour bénéficier de l'annulation des pénalités, majorations et frais de recouvrement afférents aux impôts, droits et taxes, lorsque le contribuable en acquitte spontanément le principal, il court du 1er janvier au 31 décembre 2013 (au lieu du 30 juin 2013), et il me paraît qu'en fait, il s'agit là tout bonnement d'une amnistie fiscale qui ne dit pas son nom. L'amendement opéré au niveau de la nouvelle «taxe sur le sable» témoigne pour sa part du poids de certains lobbies encore très puissants même à l'heure où il n'est question que de lutte contre l'économie de rente, dont les «carrières de sable» sont un foyer de choix... C'est ainsi que la réduction de la taxe sur les sables de concassage à 20 DH/m3 se passe de commentaires... Quant aux lobbies de l'aviculture, ils ont également largement obtenu ce qu'ils revendiquaient depuis assez longtemps (baisse des droits de douane sur les matières premières, harmonisation du taux réduit de 7% de la TVA en amont et en aval...). En soi, ce sont des mesures qui vont dans le bon sens, à condition que le consommateur en tire avantage aussi, au bout du compte, ce qui signifie que toutes choses étant égales par ailleurs, les prix de la viande blanche devraient baisser dans les semaines qui viennent... Qui vivra verra ! Propos recueillis par Imane Bouhrara