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Réforme Fiscale : Le rapport du CES passé au crible !
Publié dans Finances news le 27 - 12 - 2012

- L'échantillon ayant servi à l'élaboration du rapport du CES est outrageusement représentatif de l'Etat et du Patronat.
- Dans le benchmark, il n'est pas fait de distinguo entre pression fiscale d'un pays et prélèvement obligatoire d'un autre.
- Il semble que le souci majeur des rédacteurs du document est le rapport avec l'Administration fiscale, plus qu'une réelle réforme fiscale.
- Najib Akesbi, économiste et professeur à l'Institut agronomique et vétérinaire Hassan II, a décortiqué le rapport : «Le système fiscal marocain, développement économique et cohésion sociale», publié récemment par le CES.
- Sur l'aspect méthodologique, il souligne que nous sommes face à une démarche partielle, et surtout partiale.
- Finances News Hebdo : Le Conseil économique et social vient de publier son rapport relatif à la réforme fiscale. Quelle lecture faites-vous de ce rapport ? De son architecture ? De ses recommandations ?
- Najib Akesbi: Il faut d'abord s'entendre sur le document dont nous débattons. Je discute ici le rapport principal du CES intitulé «Le système fiscal marocain, développement économique et cohésion sociale», qui est un document de 151 pages daté d'octobre 2012, et non pas le résumé d'une vingtaine de pages qui a été distribué à la presse et relayé dans les médias.
Vous savez, quand il s'agit d'un rapport du Conseil Economique et Social et quand on a connu et lu des rapports sur le même sujet ayant pour auteurs d'autres Conseils en Europe ou ailleurs, je vous assure qu'on tombe de très haut, on reste ébahi, consterné par la qualité du document qu'on a sous les yeux... Pour tout dire de prime abord, autant sur la forme que sur le fond, ce rapport n'est vraiment pas du niveau d'un Conseil économique et social digne de ce nom.
Pour commencer, si un CES est l'instance par excellence de dialogue pour ce qu'on appelle les partenaires sociaux, notamment les représentants du patronat bien sûr, mais aussi des représentants des syndicats et de la société civile, en plus des représentants de l'Etat, le fruit de ce dialogue entre ses différentes composantes doit en principe se retrouver dans ses rapports. Or, dans la page 5 du rapport, quand on examine la liste des entités auditionnées dans le cadre de la préparation de ce rapport, on constate que sur les 16 organes cités, six représentent l'Etat et dix ne sont que des instances représentatives du patronat. Où sont les instances pouvant exprimer le point de vue des syndicats? Où sont celles pouvant exprimer des sensibilités réelles dans la société civile, ne serait-ce que celles représentant des associations de consommateurs, d'usagers, de lutte contre la corruption, de défense des deniers publics ? Comment se fait-il qu'on n'ait même pas songé à écouter des universitaires et des spécialistes des finances publiques indépendants ? Bref, d'entrée de jeu, on apprend simplement que ce sont les différentes organisations patronales qui ont dès le début fait main basse sur ce dossier, ont commencé par confier à un des leurs la présidence du comité ayant préparé ce rapport, puis se sont appliquées à «se concerter» entre elles, plus ou moins « épaulées» par quelques éléments de la technostructure du ministère des Finances, mais en fait, surtout, par leurs experts-comptables et autres conseillers juridiques comme on ne va cesser de le constater tout au long de ce rapport.
L'autre point à clarifier sur le plan méthodologique a trait à ce que l'on appelle bien abusivement «Benchmarking». Quand on regarde la liste des pays figurant dans ce benchmark, on trouve la France, la Tunisie, la Roumanie, la Finlande, la Turquie et l'Espagne... On a tout de suite envie de poser cette question : Mais pourquoi ces pays ? Qu'est-ce qui justifie leur choix et sur la base de quels critères ? Pourquoi pas d'autres pays ? Pourquoi seulement six ? Les rédacteurs du rapport ne fournissent aucune explication, et on reste donc sur sa faim. Mais là où l'exercice devient pour le moins suspect, c'est quand on va se mettre à manipuler ce panel en y puisant à sa guise de quoi alimenter son «argumentaire» en faveur de telle ou telle position. Cette vieille «technique» bien connue (dans laquelle la Banque mondiale excelle d'ailleurs...) peut servir à justifier tout ce qu'on veut, y compris les choses les plus insensées. Pour revenir à notre rapport, c'est à partir de ce panel dont on ne sait rien que ses rédacteurs vont tenter de nous impressionner en nous parlant de «pratique internationale» ou de «majorité de pays» faisant ceci ou cela...
Sur ce premier aspect méthodologique, on ne peut donc que souligner d'emblée que nous sommes face à une démarche partielle, et surtout partiale.
Si l'on suit maintenant le déroulement du contenu de ce rapport, on constate que l'importance ainsi que l'ordonnancement des différentes parties correspondent avant tout aux préoccupations qui sont celles du patronat. Ainsi, plus du tiers du volume du rapport n'est en fait que des annexes qui ne sont elles-mêmes pour une très large part quasiment que des parties «copiées – collées» à partir des «Notes» que les entreprises commandent à leurs experts-comptables lorsqu'elles ont un problème particulier avec l'Administration fiscale ! Même au niveau du corps du texte, très curieusement, on constate que le chapitre relatif aux relations (forcément contentieuses...) avec l'Administration est le plus important de tous les autres chapitres, et même arrive avant les autres chapitres réservés aux principaux impôts du système fiscal. Il suffit de consulter n'importe quel livre ou rapport sur ce sujet pour s'apercevoir du caractère «inédit» d'un tel plan !
Au niveau de l'introduction, alors qu'on s'attend –comme c'est généralement le cas dans pareil document- à l'exposé d'une bonne problématique du système fiscal marocain et de sa nécessaire réforme dans le cadre de l'économie et la société marocaines aujourd'hui, on se retrouve avec étonnement devant une dizaine de pages consacrées à de banals rappels historiques (avant et pendant le protectorat...) tout à fait hors de propos, et dont on se demande s'ils ne sont là que pour faire du «remplissage». Pourtant, on n'hésitera pas à conclure cette partie sur l'évolution du système fiscal en le décrivant comme étant «moderne, comparable à ceux en vigueur dans les pays développés à économie libérale» (page 17)...
- F. N. H. : Pourquoi alors ce rapport dès lors qu'on aurait un système moderne ?
- N. A. : La question se pose en effet : si notre système n'a rien à envier à ceux des pays développés, pourquoi alors songer à le réformer ?! Mais passons. Après cette introduction, on commence par un chapitre intitulé «Architecture générale du système fiscal». On s'attend dès lors à mieux comprendre ce système fiscal, apprécier son «niveau», décortiquer sa «structure», toucher du doigt ses tares ou ses atouts... Pensez-vous ! On nous sert des séries des recettes fiscales sur la période 2006-2012 (période trop courte pour dégager des tendances lourdes), assorties de quelques affirmations ou commentaires biaisés, voire erronés.
Mais l'essentiel n'est pas là. Vous savez, lorsqu'on veut analyser un système fiscal, qu'elle qu'il soit et où que ce soit, il y a deux paramètres essentiels dont il faut tenir compte. Le premier est le «niveau» de ce système, ce qui renvoie au concept de pression fiscale, ou de prélèvements obligatoires, surtout dans les pays de l'OCDE (où les systèmes de sécurité sociale publique sont développés). Le deuxième porte sur sa structure, c'est à dire sa composition, au regard d'une classification donnée des impôts. Qu'en est-il de cette double approche dans ce rapport du CES ? Non seulement on n'y fait aucune analyse sérieuse ni du premier ni du second (alors qu'on sait bien qu'on a là des concepts très discutés, controversés, en tout cas qui font débat), mais on y cultive une certaine confusion des genres étonnante. Ainsi, va-t-on par exemple allègrement comparer les taux de pression fiscale des uns avec les taux des prélèvements obligatoires des autres, dans le cadre d'un prétendu benchmark qui n'explique rien et se contente de vous montrer, graphique à l'appui (page 23), que «la pression fiscale» en Finlande et en France serait deux fois plus importante qu'au Maroc ! Même si on signale au passage qu'il s'agit de prélèvements obligatoires dans le cas de la France, on ne prend guère la peine d'expliquer que, alors, on ne peut comparer ce qui n'est pas comparable, ne serait-ce que parce que près de la moitié du taux français n'est pas de l'impôt, mais des cotisations sociales dont la «contrepartie», directe et palpable, est un système de protection sociale extrêmement développé. Au Maroc, le système de protection sociale étant ce qu'il est, sa contrepartie en termes de cotisations sociales est à son image, c'est-à-dire faible, y compris en proportion du PIB. Bref, les rédacteurs de ce rapport ne s'embarrassent pas d'analyses et de précisions à même de permettre au lecteur de comprendre le sens des choses parce qu'on sent bien que tel n'est pas leur préoccupation...
Est-ce cela qu'on était en droit d'attendre d'un rapport de ce type ? N'étions-nous pas en droit de trouver dans ce rapport des analyses et des réflexions approfondies sur le sens et les conséquences d'un niveau et d'une structure de la fiscalité dans le contexte d'un pays en développement, qui plus est désormais largement ouvert à la compétition internationale ? Ne fallait-il pas éclairer les décideurs sur les relations souvent complexes et délicates entre l'impôt et les grandes questions qui se posent dans tout processus de développement : l'investissement, l'épargne, l'emploi, les inégalités sociales, spatiales, de genre... ?
Au lieu de cela, on passe au chapitre suivant, curieusement consacré aux dépenses fiscales ! (Alors qu'on n'a pas encore discuté les principaux impôts et donc les composantes du système de droit commun, on préfère commencer par le «système d'exception» qui est celui des privilèges fiscaux...). En tout cas, cette partie est surtout l'occasion de montrer (benchmarking à l'appui !) que ces privilèges se pratiquent un peu partout et que ce «n'est pas une anomalie en soi»... C'est également l'occasion pour certains lobbies (ceux de l'agriculture et de l'immobilier notamment) de faire valoir leurs points de vue. Puis, surtout, on arrive à ce qui semble manifestement être le souci majeur des rédacteurs du rapport : les rapports avec l'Administration fiscale.
- F. N. H. : Comment cela ?
- N. A. : Le chapitre intitulé «pratiques fiscales et relations administration-contribuables» est de toute évidence le chapitre-clé de tout le rapport ; il s'étale sur 22 pages dans un texte qui compte 103 pages et 7 chapitres... Là, on a simplement l'impression de lire le «livre blanc» de la CGEM, avec ses innombrables doléances convergeant quasiment toutes vers quelques objectifs précis : réduire le pouvoir d'appréciation «discrétionnaire» de l'Administration, contenir et maîtriser ses possibilités de contrôle, élargir les moyens de recours et de manœuvre des grandes entreprises, réduire le champ et le niveau des sanctions... Pour éviter tout malentendu, je dois dire que, personnellement, je n'ai rien contre le fait que le patronat défende ses intérêt, et ce n'est pas cela qui est critiquable, mais ce qui l'est, c'est qu'un rapport d'un Conseil économique et social n'exprime que le seul point de vue du patronat, ignorant d'autres problèmes au moins aussi importants, à commencer par les moyens matériels et –surtout- humains de l'Administration pour s'acquitter correctement de ses missions. Rien n'est dit par exemple sur les effectifs dérisoires des vérificateurs opérationnels, et de la nécessité de renforcer correctement ce corps si l'on veut sérieusement lutter contre la fraude et l'évasion fiscales. Rien n'est dit non plus sur la pénalisation de la fraude fiscale, qui existe théoriquement dans les textes et qui n'a pratiquement jamais été mise en œuvre... Rien n'est encore dit sur l'expérience de la méthode de «contrôle à l'improviste» que le patronat a réussi à enterrer sans qu'on en ait même évalué l'impact sur les conditions d'efficacité des contrôles... Un examen moins partial des relations Contribuables – Administration fiscale aurait dû passer en revue également les problèmes tels qu'ils sont vécus du point de vue des autres «partenaires», ou tout simplement du point de vue de l'intérêt général.
- F. N. H. : Il existe bien une partie réservée aux attentes du contribuable...
- N. A. : Oui, il en est question, mais en réalité quand on examine ce qu'il y a sous les titres, on s'aperçoit que ce dont il est question ne sont rien d'autres que les «attentes» des différents lobbies qui s'activent autour de la CGEM... Par exemple, lorsqu'enfin on arrive aux parties réservées à l'examen des différents impôts, la TVA en l'occurrence, on nous dit que celle-ci connaît deux problèmes : «l'absence de sa neutralité» pour certains secteurs ne permettant pas de répercuter son coût sur le consommateur, et «l'impact négatif de cette taxe sur la trésorerie des entreprises» ! Le premier «problème» est exclusivement illustré par le «cas de l'agro-industrie», et on voit bien là qui est derrière une telle illustration... Le second fait appel au benchmarking pour affirmer que «la majorité des pays» rembourse le crédit de TVA, et naturellement revendiquer le même traitement au Maroc.
Où sont les autres problèmes de fond de la TVA ? Citons à titre d'exemples : le champ d'application obéré par de trop nombreuses exceptions et qui ne sont le plus souvent que des privilèges accordés à des «bien placés» ; la distinction effectuée entre les deux listes des exonérations, l'une avec «droit à remboursement» et l'autre sans ce «droit», et sans qu'il soit possible de présenter des critères rationnels de classement dans l'une ou l'autre des deux listes ; les mille et une incohérences au niveau du système des déductions (et qui ne se retrouvent pas nécessairement parmi les «distorsions» soulignées dans le rapport...) ; les innombrables incohérences de soumission des produits et services à tel ou tel taux d'imposition... Sans parler du fait que la TVA reste fondamentalement un impôt dit «indirect», donc «aveugle» grevant les dépenses de consommation sans tenir compte de la «capacité contributive» de celui qui les effectue, soulevant ainsi des questions d'ordre à la fois économique et social... Tous ces problèmes et bien d'autres encore, le rapport du CES les ignore purement et simplement et n'en fait guère état !
- F. N. H. : Le rapport finit bien par dédier le chapitre V au système fiscal marocain...
- N. A. : Oui, et j'ai déjà commencé à en parler à propos de la TVA. On y arrive à la page 72 du rapport... et à chaque fois pour ne consacrer que quelques pages à chacun des principaux impôts du système, et surtout principalement pour focaliser les propos sur la ou les quelques questions qui intéressent la CGEM et ses lobbies !
Après la TVA, le rapport passe à l'impôt sur les sociétés et lui accorde 4 pages et demi, dont la moitié est consacrée à... «La fiscalité du groupe» ! C'est dire... et cela se passe de commentaires ! L'autre moitié suffit pour dire qu'il faut continuer sur la voie de baisse du taux d'imposition et recommander un taux progressif. Or, tous ceux qui ont profondément étudié l'IS marocain savent que son problème n°1 n'est pas tant celui de ses taux mais d'abord et surtout celui de son assiette. Celle-ci est une véritable passoire parce que les textes de loi permettent une évasion fiscale telle qu'on en arrive à cet aveu officiel que 67 % des entreprises assujetties à l'IS déclarent des déficits ou un résultat zéro, ce qui les dispense de l'impôt, que son taux soit bas ou élevé (le plus cocasse dans l'affaire est que les mêmes statistiques nous disent que 39% déclarent ces déficits systématiquement depuis plus de 10 ans !!!). Il est donc évident que s'il y a une priorité en la matière, elle est bien au niveau des textes qui permettent (le plus légalement du monde ?) de telles aberrations. Or, en la matière, non seulement le rapport du CES reste étrangement silencieux, mais va même dans le sens contraire puisqu'il demande tout bonnement «l'alignement des règles fiscales avec les règles comptables» (p.80), ce qui reviendrait à permettre aux entreprises de se soustraire aux rares règles qui subsistent encore et permettent à l'Administration fiscale d'atténuer l'ampleur des abus.
- F. N. H. : Qu'en est-il des propositions concernant l'Impôt sur le Revenu ?
- N. A. : Tout le monde convient que l'Impôt sur le Revenu est encore très loin d'être cet impôt synthétique, général et global tel qu'il devait l'être en principe. Pratiquement, chacune des cinq catégories de revenu soumises à cet impôt reste assujettie à des règles de détermination de l'assiette et d'imposition qui lui sont propres, ce qui n'est pas très différent de l'ancien système cédulaire que la réforme de 1989 voulait précisément dépasser. Sur ce problème majeur de fond, le rapport du CES ne dit quasiment rien, et même le consacre, puisqu'il ne préconise rien qui puisse aller dans le sens d'une globalisation des différentes catégories de revenus et leur soumission à des règles et un barème d'imposition commun. En revanche, il va se livrer à d'étranges calculs pour tenter de montrer que la «charge fiscale et sociale» sur les hauts salaires est trop élevée et qu'il convient de tendre vers un système de type CSG, comme en France... Cela rejoint d'ailleurs l'autre proposition concernant la TVA dite «sociale» et dont le seul objectif est de réduire les «charges sociales» des entreprises pour les transférer sur les ménages et les consommateurs... Même l'IR n'est encore abordé que sous l'angle des intérêts des entreprises, et en fait surtout les grandes entreprises car les PME et TPE sont souvent les grandes «oubliées» des plaidoyers revendicatifs de la CGEM.
- F. N. H. : Qu'est ce qui illustre cet état de fait ?
- N. A. : Je vous donne un exemple : l'un des grands problèmes de l'IR dans la catégorie «revenus professionnel» (la catégorie qui concerne les entreprises), est celui du régime forfaitaire, auquel au demeurant est assujettie l'écrasante majorité des contribuables concernés. Or, chacun sait que, pour être simple et sommaire, ce régime peut être horriblement injuste puisqu'il affecte à chaque activité un taux de profit imposable forfaitaire. Ce forfait ne tient compte ni des conditions concrètes de chaque contribuable, ni de celles du marché, ni encore de la localisation de l'activité, etc. De surcroît, ce barème du forfait n'a pas été mis à jour depuis près d'un quart de siècle ! Concrètement, le profit imposable peut considérablement changer selon qu'on est dans une situation ou dans l'autre, et le fait est que de nombreux petits contribuables peuvent être imposés sur la base de bénéfices qu'ils sont très loin de réaliser. Mécaniquement, ils sont donc surimposés puisqu'ils sont imposés sur une assiette fiscale surévaluée. Voilà un vrai problème qu'on aurait aimé voir traité dans le rapport du CES, et pour cause puisqu'il concerne autrement plus de contribuables que les quelques mastodontes qui accaparent l'essentiel du «cahier revendicatif» de la CGEM. Eh bien non ! Il faut croire que personne parmi les rédacteurs du rapport ou même parmi les personnes «consultées» ne connaît ce problème !
- F. N. H. : Ce rapport doit bien contenir des recommandations intéressantes ?
- N. A. : Je n'en disconviens pas ! D'ailleurs, le chapitre consacré à la fiscalité du patrimoine propose des choses intéressantes. Même si je ne suis pas d'accord sur l'approche relative à l'imposition du capital, certaines mesures préconisées vont dans le bon sens. Il s'agit en particulier de la taxe sur les terrains urbains non bâtis, qui serait désormais assise sur la valeur vénale du bien, et assortie d'un barème progressif pour dissuader ou pénaliser la spéculation foncière. Du reste, il ne s'agirait là que d'une «réincarnation» car cette taxe avait été instituée à la fin des années 70 du siècle dernier, mais n'avait jamais été mise en œuvre, avant d'être purement et simplement supprimée, sous la pression du lobby des grands propriétaires fonciers... Trente ans plus tard, cette taxe aura-t-elle plus de chance d'être adoptée et mise en œuvre ? Il faut également saluer la proposition de la taxation des terrains entrant dans les périmètres urbains, même si, de mon point de vue, tout cela n'est que du bricolage, car la vraie alternative n'est autre que celle d'un vrai impôt sur les grandes fortunes, fut-il adapté aux conditions du pays et de ses différentes sensibilités (Cf. par exemple l'idée d'une «Zakat sur les grandes fortunes»...). Enfin, je salue également la proposition d'un taux de TVA majoré à 30%, puisqu'une telle différentiation est le seul moyen d'atténuer le caractère congénitalement injuste de ce type d'impôt.
- F. N. H. : Justement, pour conclure, quel cheminement devait suivre ce rapport ? Comment aurait-il pu contribuer au débat actuel à la veille des assises de la fiscalité* ?
- N. A. : Ce rapport aurait d'abord gagné à refléter tous les avis, tous les points de vue et toutes les opinions, conformément au caractère en principe pluriel de tout CES. On pouvait légitimement s'attendre à un rapport d'une toute autre qualité et d'un tout autre niveau, sérieusement documenté, mûrement réfléchi, produit d'une large consultation de toutes les orientations et de toutes les sensibilités, même si naturellement, ceci ne signifie pas qu'il faille en fin de compte rester vague et flou, mais au contraire prendre position et plaider pour les solutions qu'on estime justes et pertinentes. Il fallait procéder à une analyse autrement approfondie de la pression et des structures fiscales du Maroc, les confronter à des exercices de comparaisons internationales, mais sur la base de panels autrement plus solides et plus significatifs. Il fallait procéder à un examen attentif et à des évaluations minutieuses des rapports entre les dispositifs fiscaux (de droit commun ou d'exception) et les grands agrégats économiques tels la formation de capital fixe, l'épargne sous ses différentes formes, les créations d'emplois et d'auto-emploi, l'impact redistributif des principaux impôts, etc. Ce ne sont pas les grandes questions encore en friche qui manquent. Il fallait analyser chaque impôt dans ses spécificités et mettre en évidence les principaux problèmes qui le caractérisent et qui devraient faire l'objet d'une attention particulière dans la perspective de leur réforme. Il fallait saisir l'occasion de ce rapport pour livrer au public des données qui, pour nos responsables, semblent encore relever du secret d'Etat, comme c'est par exemple le cas des statistiques des recettes fiscales par tranches de revenus...
La réforme fiscale proprement dite, celle qui va réellement dans le sens du «développement économique et la cohésion sociale», ne peut faire l'impasse sur des questions majeures, incontournables, et qui concernent pour chaque impôt à la fois son assiette (qu'il s'agit d'assainir, élargir et maîtriser) et ses taux d'imposition (à repenser dans le sens d'une réelle progressivité). Mais pour audacieuse qu'elle soit, la réforme de «l'existant» ne suffit pas, et il faudra bien ouvrir dans ce pays le dossier d'une imposition correcte du capital, avec ses deux versants que sont l'impôt sur les grandes fortunes d'une part et l'imposition des successions, d'autre part.
*NDLR : Voir l'article de Najib Akesbi, «La réforme fiscale au Maroc : pour une fiscalisation approprié du capital», paru dans «Questions d'économie marocaine 2012», disponible en kiosques.
Propos recueillis par I. Bouhrara & S. Es-Siari


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