L'existence de conflits d'intérêts est la principale cause des défaillances favorisant la corruption. Le manque de dimension stratégique, l'absence d'harmonisation du dispositif juridique et pénal et l'absence également de coordination sont des lacunes auxquelles il faut remédier. Le point avec Abdesselam Aboudrar, président de l'Instance centrale de prévention de la corruption. - Finances News Hebdo : Comment peut-on identifier les défaillances de la gouvernance qui favorisent la corruption tant dans les secteurs public que privé ? - Abdesselam Aboudrar : Les sondages, les investigations, les missions d'audit et/ou d'inspection, et les contrôles a priori et a posteriori sont autant de moyens et d'outils qui permettent d'identifier des défaillances au niveau de la gouvernance et, parmi elles, celles susceptibles de donner lieu à des actes de corruption, tant dans le secteur public que privé. Au Maroc, les défaillances générales ont été identifiées suite à des initiatives nationales et étrangères et ont été relevées, pour la plupart, dans les rapports de l'ICPC, ceux des principaux bailleurs de fonds et de certaines organisations de la société civile, notamment Transparency. La plupart de ces défaillances qui caractérisent à la fois le secteur public et le secteur privé touchent à l'existence de conflits d'intérêts, qui se situent dans la gestion des ressources humaines et financières, dans la gestion des marchés publics et dans les relations entre l'Administration et le citoyen. - F. N. H. : Pourquoi la situation du Maroc ne s'améliore-t-elle pas de manière significative en matière de lutte contre la corruption ? - A. A. : Il y a, certes, des acquis appréciables tant dans le renforcement du dispositif juridique que dans celui du cadre institutionnel, notamment les inspections générales des ministères, les juridictions financières, les chambres spécialisées dans les crimes financiers, l'Unité de traitement du renseignement financier, le Conseil de la concurrence, Al Wassit... Mais le manque de dimension stratégique, l'absence d'harmonisation du dispositif juridique et pénal avec les dispositifs de lutte contre la corruption et l'absence de coordination entre les différentes institutions sont des lacunes auxquelles il faudrait apporter des réponses. - F. N. H. : L'évaluation des politiques de lutte contre ce fléau fait ressortir plusieurs anomalies. Que proposez-vous au gouvernement pour l'éradiquer ? - A. A. : Je vous rappelle que le rapport 2009 actualisé par le rapport 2010 - 2011 de l'ICPC énumère un ensemble de mesures concrètes touchant à la politique pénale, au renforcement de l'efficacité des institutions de contrôle, à l'amélioration de la gouvernance des institutions publiques et privées. Ces rapports invitent également à la promotion de la communication et de la sensibilisation et, enfin, à l'octroi d'attributions renforcées en matière de lutte contre la corruption à la nouvelle Instance nationale de probité, de prévention et de lutte contre la corruption. - F. N. H. : Cela fait des années que le gouvernement manifeste sa volonté de lutter contre la corruption sans pour autant aboutir à des résultats satisfaisants. Où se situe le dysfonctionnement à votre avis ? - A. A. : Je pense qu'il se situe dans la mise en œuvre des recommandations des diverses instances de bonne gouvernance, une mise en œuvre qui, je le rappelle, incombe principalement aux pouvoirs publics. Les efforts de diagnostic et d'évaluation des instances nationales ou internationales sont là et sont incontournables, mais la mise en œuvre d'actions concrètes et le suivi de leur exécution, comme la coordination et la convergence de ces actions, font défaut jusqu'à présent. - F. N. H. : Quelles sont les mesures prioritaires pour lutter contre la corruption et qui sont susceptibles de venir à bout de cette gangrène ? - A. A. : Nous avons ciblé parmi nos recommandations des mesures prioritaires susceptibles de limiter le fléau et que nous avons élaborées suivant les revendications des citoyens. Parmi celles-ci, je citerai la mise en place d'un nouveau dispositif de gestion des ressources humaines dans la fonction publique, la consécration des règles de transparence dans la gestion des fonds et des marchés publics, le droit d'accès à l'information et la simplification des procédures administrative, sans oublier le volet sanctions, notamment pour mettre fin à l'impunité.