La corruption n'épargne plus aucun secteur de la vie publique La corruption, ce grand mal du siècle qui fait régner la loi de la jungle, celle du plus riche et du plus fort, n'épargne plus aucun secteur de la vie publique, en dépit du fait que le Maroc s'est doté d'une nouvelle Constitution (1er juillet 2011), qui consacre les règles de bonne gouvernance et fait de la lutte contre la corruption, la prévarication et l'économie de rente, l'une des priorités de l'Etat de droit et de justice dans le Royaume. La nouvelle Constitution insiste en effet sur l'objectif de renforcer tous les mécanismes visant à la moralisation de la vie publique, la mise en liaison entre la responsabilité et la reddition des comptes, et la constitutionnalisation des institutions de bonne gouvernance, souligne l'Instance centrale de prévention de la corruption (ICPC). Selon le rapport annuel 2010-2011 de l'ICPC, présenté vendredi dernier à la presse par son président Abdeslam Aboudrar, «la corruption est en passe de s'étendre à l'ensemble des domaines de la chose publique», en raison notamment de la non mise en œuvre des recommandations du précédent rapport de l'ICPC pour 2009. A part ces affirmations non quantifiées d'ailleurs, le rapport ne donne pas une idée exacte sur l'ampleur du phénomène de la corruption et son impact sur le développement du pays et la marche des affaires. Il ne renseigne pas non plus sur les secteurs touchés en optant pour une formule vague selon laquelle ce phénomène «est en passe de s'étendre à l'ensemble des domaines de la chose publique». Passant sous silence l'avidité des corrompus et la volonté des corrupteurs d'atteindre leurs objectifs coûte que coûte, le rapport estime que cette tendance à l'extension de la corruption s'explique par «l'absence d'une dimension stratégique susceptible d'asseoir une politique de lutte contre la corruption efficace, conditionnée, intégrée et fondée sur des objectifs fixés pouvant être suivis et évalués». Le rapport avance aussi comme explications «le manque d'harmonisation du dispositif pénal et judiciaire avec les exigences de la lutte contre la corruption, perceptible notamment au niveau du champ restreint d'incrimination des actes et des parties, de l'effet dissuasif limité des sanctions, des faiblesses du système judiciaire eu égard aux normes d'indépendance, d'intégrité et d'efficacité et de l'inefficience des règles et procédures des poursuites, du prononcé et de l'exécution des jugements rendus». Les rédacteurs du rapport s'arrêtent de même sur une série de lacunes imputables entre autres à l'absence de coordination entre les divers organes d'inspection, de contrôle et de reddition des comptes, à la faiblesse du niveau de la gouvernance publique (conflits d'intérêt, enrichissement illégal, gestion des ressources humaines et des marchés publics et relations administration, administrés). Au cours de cette conférence de presse, le président de l'ICPC a souligné la nécessité pour les pouvoirs publics de combler ces lacunes pour créer un climat général plus propice devant inciter tous les acteurs à s'impliquer collectivement dans ce chantier visant à diminuer l'impact de la corruption sur l'investissement, la justice, le développement économique et social durable du pays sans oublier l'image du Royaume à l'échelle internationale. Les réalisations accomplies depuis le dernier rapport de l'Instance de 2009 se limitent à l'actualisation du programme d'action gouvernemental pour la lutte contre la corruption et à la promulgation de la loi sur la protection des témoins, victimes et dénonciateurs des crimes de corruption, de la loi relative à la création de chambres spécialisées dans les affaires financières auprès de certaines cours d'appel et du décret fixant les attributions des inspections générales des ministères, relève le rapport 2010-2011. Pour améliorer la situation, l'ICPC appelle à «un engagement réel et sérieux dans la lutte contre la corruption, les monopoles, les privilèges et les positions dominantes», préalable au recouvrement des fonds détournés et à la protection des fonds publics, de même qu'elle appelle à conférer la crédibilité requise aux efforts de consécration de l'édifice démocratique. D'après le rapport, «la faiblesse du niveau de la gouvernance publique est particulièrement imputable aux défaillances relevées en matière d'interdiction des conflits d'intérêts et d'enrichissement illégal, de gestion des ressources humaines et financières et de marchés publics». Evoquant le programme d'action gouvernemental, le document estime que le cadre stratégique de la politique de lutte contre la corruption demeure globalement insuffisant eu égard au manque d'un diagnostic objectif de ce fléau et d'une vision d'ensemble mettant en adéquation les grandes orientations et les objectifs et opérations programmés, citant à cet égard l'absence de sanctions dissuasives et d'un calendrier précis pour la mise en œuvre des projets interministériels en la matière. De même, les garanties de l'indépendance de la justice se heurtent à de nombreux handicaps qui se répercutent négativement sur l'action judiciaire. Pour la réussite de ce chantier d'envergure, le rapport recommande le renforcement de l'efficacité des règles de lutte contre l'impunité dans les affaires de corruption à travers notamment «l'activation des poursuites particulièrement par la fixation de délais plus longs pour la prescription de l'action publique et de la sanction pour les délits de corruption, la publication des sanctions prononcées et l'adoption de règles claires et précises dans le cadre de la réforme globale de la justice». Selon le rapport, la réussite de cette entreprise reste tributaire en dernier ressort du renforcement des attributs essentiels de l'ICPC, à travers notamment la clarification de sa qualification juridique, la définition de ses attributions en matière de diagnostic, d'évaluation, de consultation, de proposition, de communication, de coopération et de partenariat, l'octroi à l'Instance de nouvelles attributions en matière d'auto-saisine ou d'intervention directe contre l'ensemble des actes de corruption sans oublier évidemment de lui consacrer un budget à la hauteur de son honorable mission.