Abdellatif Zaghnoun, Directeur général de la Caisse de dépôt et de gestion (CDG) Le vieillissement rapide et inéluctable de la population marocaine et la nucléarisation des familles posent un défi majeur à notre système de prévoyance sociale. Le Maroc dispose d'une fenêtre de tir d'une vingtaine d'années pour s'adapter à cette nouvelle donne.
Par A.E
«Le Maroc est un pays jeune par sa démographie». Voici une assertion longtemps éculée et qui va devenir de moins en moins pertinente. Car, à l'instar des pays les plus développés, le Maroc vieillit. Toutes les projections démographiques le montrent : selon le haut-commissariat au Plan, l'espérance de vie atteindrait plus de 80 ans en 2050 au lieu de plus de 75 ans en 2014. La population des 18-24 ans, c'est-à-dire la population qui entre sur le marché du travail, serait d'environ 4 millions en 2050, soit une baisse de 10% par rapport à son niveau de 2014. Quant à l'effectif des personnes âgées de 60 ans et plus, il devait passer à 10 millions en 2050, au lieu de 3 millions en 2014. En termes relatifs, cette proportion de la population représenterait 23% de la population en 2050, au lieu de 9% en 2014 et de 7% seulement en 1994. Ce bouleversement démographique s'accompagne d'un autre changement profond, d'ordre sociétal : la taille moyenne des ménages est en baisse. La famille étendue, qui assurait jusqu'à lors la prise en charge des seniors, se nucléarise. De ce point de vue, le soutien familial aux personnes âgées, qui a été pendant longtemps la règle au Maroc, risque d'être compromis. Cette nouvelle donne appelle à la mise en place de nouvelles formes de solidarité pour prendre soins de nos seniors. «Il s'agit d'un défi de société qui concerne toutes les tranches de la société», alerte Abdellatif Zaghnoun, Directeur général de la Caisse de dépôt et de gestion (CDG), qui s'exprimait à l'occasion du Forum CDG prévoyance, un événement réunissant un parterre d'experts pour discuter de l'épineuse question de notre rapport à la retraite et à nos aînés. «Ceci cause des défis réels sur l'économie marocaine, mais également sur les régimes de prévoyance», a fait observer Hassan Boubrik, président de l'Autorité de contrôle des assurances et de la prévoyance sociale (ACAPS). Le vieillissement inéluctable et rapide de la population et la nucléarisation de la famille posent en effet la question de la prise en charge, dans un futur proche, des seniors. Car, notre système de retraite actuel est loin de répondre à cette exigence. Selon les chiffres présentés par Ahmed Reda Chami, président du Conseil économique, social et environnemental (CESE), en 2017, à peine 25% des plus de 60 ans disposent d'une couverture retraite (860.000 individus sur une population de 3,5 millions). «Ces chiffres doivent nous faire peur à tous», affirme-t-il. «Nous avons besoin de mettre en place un système collectif de solidarité structuré, institutionnalisé, avec une vision d'ensemble», soutient Hassan Boubrik. Or, aujourd'hui, notre système de prévoyance sociale se caractérise par sa segmentation, avec une multitude de régimes, et par son caractère injuste (des régimes plus généreux que d'autres, et une majorité de la population qui ne bénéficie d'aucune couverture). «Sans minimiser les efforts qui sont faits (réforme paramétrique des pensions civiles, couverture des professions libérales, etc.), ceux-ci demeurent insuffisants», déplore Chami. «Il est urgent d'organiser la prise en charge publique des personnes âgées. D'autant que la transformation démographique en cours entraînera une évolution importante du rapport actifs/inactifs», souligne, pour sa part, le patron, de la CDG. De plus, le Maroc est déjà mal loti en la matière. Le taux d'activité dans le Royaume est de seulement 46%, soit l'un des niveaux parmi les plus faibles au monde. Et il n'est pas trop tard pour agir. Les experts sont unanimes à dire que le Maroc dispose encore d'une fenêtre de tir d'une vingtaine d'années pour adopter les mesures qui s'imposent. Certaines de ces mesures ont été énoncées lors du Forum. Il s'agit principalement d'unifier les régimes de prévoyance sociale pour aboutir, in fine, à une seule caisse universelle. Il faut également que la population en âge de travailler contribue plus à la croissance, avant qu'elle ne «soit rattrapée par la vieillesse». «Il faut accorder une place importante au renforcement des capacités et de l'employabilité du facteur humain, en particulier les jeunes», martèle Chami. Les autorités devront également favoriser le développement de la gériatrie et de la gérontologie. «Deux dimensions encore balbutiantes de notre système de santé», déplore Chami. Il faudra aussi développer les maisons de retraite. On se souvient de la célèbre phrase du défunt Roi Hassan II, qui avait déclaré : «Le jour où l'on ouvrira la première maison de retraite au Maroc, notre société sera en voie de disparition». Force est de constater que le Maroc ne pourra pas y échapper. C'est même devenu un impératif. «Il faudra consentir de lourds investissements dans les infrastructures hospitalières», prévient Boubrik. ◆
Retraite : Les jeunes n'y pensent même pas… «Les jeunes actifs de nos jours ne savent pas à quel âge ils doivent se préparer à la retraite. Nombreux sont les Marocains mal préparés à cette transition», souligne Abdellatif Zaghnoun. Selon le DG de la CDG, les pouvoirs publics et les entreprises doivent contribuer à la sensibilisation des jeunes actifs à préparer le plus tôt possible leur future retraite. S'agit-il d'un problème de pouvoir d'achat ou de manque d'éducation financière ? En tout cas, le constat est là : de nombreux jeunes expriment des doutes sur la capacité du système de retraite à leur fournir demain une retraite suffisante…