L'ANPME veut augmenter de 50% ses objectifs ainsi que les fonds dédiés aux programmes d'appui aux PME. Latifa Echihabi, Directeur général de l'Agence, estime que les PME disposent actuellement de moyens et d'outils nécessaires à leur développement. Rétrospective des différentes démarches entreprises par l'Etat pour le soutien de ce tissu entrepreneurial depuis le lancement du programme Emergence. - Finances News Hebdo : Depuis quelques années, notamment après le coup d'envoi du programme Emergence, l'Etat à travers l'ANPME lance des programmes de soutien pour promouvoir les PME marocaines. Pourriez-vous nous dresser les différentes étapes suivies jusqu'à présent pour l'appui aux PME? - Latifa Echihabi : J'aimerais tout d'abord rappeler la démarche qui a été poursuivie par l'Etat lors de l'élaboration du Plan National pour l'Emergence de l'Industrie (PNEI) dans lequel le volet de la modernisation de la PME est l'un des deux piliers de ce plan, sachant qu'auparavant cette modernisation se basait sur les programmes de la coopération. À travers cette démarche volontariste l'Etat a pris ses responsabilités en mettant en place des programmes d'accompagnement, qui concernent tous les secteurs confondus, et couvrent tout le cycle de vie de l'entreprise avec des budgets conséquents Ainsi, le programme Emergence a permis d'apporter des réponses concrètes aux attentes des PME en partant d'études, d'analyses, de vécus... Quatre axes ont été pris en charge. Tout d'abord : travailler sur l'amélioration du climat des affaires selon une démarche partenariale public-privé autour du Comité National de l'Environnement des Affaires (CNEA) qui arrête annuellement les réformes à entreprendre selon un calendrier précis. Le deuxième volet concerne les infrastructures d'accueil, pour lesquelles un vaste programme a été lancé et qui a permis de disposer d'une carte nationale de plateformes industrielles intégrées (P2I) offrant une infrastructure de qualité et avec des services d'accompagnement. Dans ce même volet le ministère de l'Industrie, du Commerce et des Nouvelles Technologies a prévu une enveloppe de 100 millions de DH par an pour réhabiliter les zones industrielles déjà existantes. Le troisième volet vise à assurer une main-d'œuvre qualifiée et compétente adaptée aux besoins des entreprises, notamment pour les métiers mondiaux. Un travail colossal a été réalisé pour réduire le gap entre l'offre et la demande avec l'identification des profils recherchés par ces secteurs. Ce travail a été couronné notamment par la création d'instituts spécialisés dans l'automobile, l'aéronautique, le textile-habillement... Le dernier axe est celui du financement et de l'accompagnement. Il fallait renforcer les outils existants et mettre en place de nouveaux outils. Aujourd'hui, la CCG couvre tous les besoins de l'entreprise, à savoir la garantie de l'investissement, du capital, des crédits d'exploitation... Quant au renforcement des capitaux propres des PME, sur le marché marocain, l'Etat a créé, dans le cadre du Plan Emergence, un fonds public-privé avec un apport public de 350 MDH et a lancé un appel à projet pour la gestion de ces fonds publics. Aujourd'hui, 2 sociétés de capital-risque gèrent ces fonds dédiés exclusivement aux PME, dans leur phase de développement mais également à la transmission de l'entreprise. Quant à l'amorçage, nous n'avons pas pu les intéresser puisque c'est le segment le plus risqué partout dans le monde et c'est l'Etat qui le prend en charge. L'Etat a également mis en place des programmes pour soutenir les PME à fort potentiel de développement avec des primes à l'investissement à travers le programme Imtiaz qui vise à accompagner 50 projets par an. Cette prime atteint 20% de l'investissement avec un plafond de 5 MDH. A ce jour, quatre éditions Imtiaz ont été réalisées en 2010 et 2011 et ont permis de sélectionner 80 projets ayant bénéficié de la prime Imtiaz pour un investissement global de près de 1,757 milliard de DH. Ces projets devraient générer un chiffre d'affaires additionnel de près de 24,4 milliards de DH, une valeur ajoutée supplémentaire de plus de 8,5 milliards de DH et près de 6.753 nouveaux emplois. Le montant global de la prime Imtiaz allouée aux 80 entreprises s'élève à 287,5 MDH. 24 de ces projets s'inscrivent dans une stratégie de substitution aux importations et 41 d'entre eux contribueront au renforcement des exportations et à la diversification des marchés, notamment vers les pays africains. D'autres programmes ont été mis en place, notamment Moussanada, Intilak, Tatwir, Infitah, Inmaa ..., pour agir aussi bien sur l'investissement que sur l'amélioration de la productivité des entreprises en apportant des primes et également en aidant les entreprises à répondre aux exigences des banques pour l'octroi des financements, et ce pour tous les secteurs. A ce titre, le programme Moussanada a pour objectif d'améliorer la productivité de 500 PME par an et de renforcer leurs facteurs de compétitivité en termes notamment de coût, de délais et de qualité. L'offre Moussanada est constituée de 12 packs de services couvrant tous les besoins de développement et d'amélioration des entreprises : prédiagnostic, stratégie de développement et d'investissement, familles et transmission, comptabilité et finance, progrès et pilotage des performances, développement durable, qualité et labellisation, innovation et développement technologique, accès au marché, gestion des RH et développement des compétences, productivité et maîtrise des coûts, production et logistique, système d'information. L'Etat prend en charge 60% du coût de l'expertise, de l'acquisition et de l'implémentation des systèmes d'information ; ces 60% octroyés par l'ANPME peuvent atteindre 1 MDH. L'ANPME a accompagné 764 entreprises à la date du 21 octobre 2012, qui ont bénéficié de 1.194 actions. Le programme Inmaa a pour objectif de diffuser au sein des entreprises les principes de l'excellence opérationnelle «Lean manufacturing» avec pour ambition d'améliorer la productivité de 25%, de réduire les coûts unitaires de 20%, et les délais de production de 50%, à un horizon de 4 ans. Au cours de l'année 2011, une usine modèle a été construite puis inaugurée en mai 2011 par SM le Roi. 89 entreprises sont actuellement inscrites au programme. L'impact direct des 4 premières promotions a été de 200 MDH de PIB additionnel déjà réalisé, soit près de 10 fois le coût engagé par l'ANPME dans le projet Inmaa (25 MDH). Il est attendu 350 MDH de PIB additionnel après déploiement du «Lean» sur l'ensemble des entreprises et 12,5 MDH de valeur ajoutée additionnelle par entreprise. L'objectif est d'accompagner 100 entreprises/an et de lancer une étude d'opportunité pour un deuxième site à Tanger. L'initiative des Champions nationaux qui s'inscrit dans le cadre du programme Rawaj vise l'émergence de Champions nationaux à travers l'appui aux PME à fort potentiel de croissance, le développement de concepts commerciaux marocains à l'échelle nationale et/ou internationale, et l'émergence d'entreprises structurées créant une plus forte valeur ajoutée à travers le financement de 70% des investissements immatériels avec un plafond de 4 MDH. Dans ce cadre, 17 enseignes ont été accompagnées. Le Programme Tatwir (Initiative/Innovation). Ce programme consiste à Financer des projets d'innovation et de R&D portés par des entreprises en phase de développement ou par des consortia d'entreprises relevant de clusters. Tatwir prend en charge 50% des dépenses liées au projet dans la limite de 4 MDH TTC. 4 entreprises ont bénéficié de Tatwir depuis son lancement en 2011 Le programme Infitah a pour objectif la sensibilisation des dirigeants de TPE à l'utilisation des TI à travers des séances d'initiation valorisées par un permis numérique donnant droit à des offres préférentielles (ordinateurs portables avec connexion Internet 3G de 12 mois et solutions de facturation subventionnées à hauteur de 30% plafonnées à 1.500 DH TTC). 10.000 permis numériques sont à octroyer à l'horizon 2013. A ce jour 2.478 permis numériques et 415 packs TI ont été octroyés. Le programme Intilak (Initiative/Innovation) qui est un programme de financement de la start up innovante à travers la prise en charge de 90% des dépenses liées au projet dans la limite de 1MDH TTC. Depuis son lancement en 2011, Intilak a profité à 21 entreprises. Afin de pallier les fragilités du secteur textile et d'en assurer le développement, des chantiers structurants ont été définis dans le cadre du PNEI. Ainsi, le soutien au secteur textile pour l'émergence des agrégateurs, converteurs et distributeurs permettra l'émergence de 3 types d'acteurs aux rôles différents, et qui auront un impact significatif sur le secteur : agrégateurs (mise en place d'une offre de services à forte valeur ajoutée (design, développement produits...). Agrégation de la production de sous-traitants), distributeurs (distribution de la production nationale sur le marché national via le développement de marques propres et de réseaux de distribution) et converteurs (mise à disposition des agrégateurs et des distributeurs des intrants nécessaires à la production). Dans le cadre de ce programme, 4 agrégateurs, 1 distributeur, 1 converteur ont été sélectionnés. Le bilan est aujourd'hui satisfaisant puisque nous terminons l'année avec l'atteinte de nos objectifs pour les différents programmes lancés. - F. N. H. : Aujourd'hui les efforts déployés par l'Etat sont importants ; en revanche les concernés, que sont les PME, reprochent le manque d'accompagnement post-création et également la concentration de l'intervention de l'ANPME dans les régions centrales et dans les grandes villes. Comment expliquez-vous ce constat ? - L. E. : Avec les mécanismes mis en place, nous estimons que l'entreprise a tous les moyens pour se mettre à niveau. Selon nos dernières statistiques, 60% des entreprises bénéficiaires sont localisées dans le Grand Casablanca, taux qui est en phase avec la concentration du tissu économique. Mais nous déployons d'importants efforts pour toucher les PME dans les autres régions par le biais de notre réseau régional, le réseau de nos partenaires bancaires ainsi que les associations professionnelles. Au sein de l'ANPME des chargés de clientèle assurent le suivi des PME ayant bénéficié des programmes d'appui. Nous lançons également pour la mi-2013 un audit externe par un évaluateur externe, pour évaluer l'état d'avancement des différents projets d'accompagnement. Certes, les chiffres sont satisfaisants puisque d'année en année le nombre d'entreprises bénéficiaires de nos programmes augmente et nous travaillons pour augmenter nos objectifs de 50%. - F. N. H. : Qu'en est-il de l'impact de la crise sur les PME ? - L. E. : La crise est belle est bien présente, mais les périodes de crise sont souvent une occasion pour une remise en cause pour les chefs d'entreprise. Ça peut être pour eux une occasion de prendre du recul et voir si l'entreprise est dans le bon créneau ou s'il faudra réformer en changeant de niche ou de client... En principe, les différents programmes lancés par l'Etat doivent être mieux utilisés en cette période de crise, notamment avec la réduction de l'activité. C'est l'occasion pour l'entreprise de revoir les stratégies, les systèmes d'information, la formation du personnel... - F. N. H. : Quels sont les freins majeurs que vous rencontrez aujourd'hui dans la conduite de vos programmes? - L. E. : Nous ne pouvons pas accompagner les PME qui ne remplissent pas leurs obligations en matière de transparence, notamment vis-à-vis de la CNSS et des impôts. Plus de 25% des entreprises ayant déposé leurs dossiers pour être accompagnées ne remplissent pas ces critères. Nous sommes en train de travailler pour trouver des solutions à ces freins. Ainsi, à titre d'exemple, nous sommes en train d'établir un partenariat avec la CNSS en vue de trouver des solutions et d'accorder des facilités de paiement pour aider ces entreprises à se mettre à niveau. - F. N. H. : Les PME et les TPE, qui constituent 95% du tissu économique marocain, contribuent à seulement 27% du PIB. Quand peut-on parler de l'impact de ces différents programmes sur le PIB national ? - L. E. : Premièrement, l'échantillon des entreprises ayant bénéficié des programmes est encore petit pour parler d'impact. Cependant, si on prend l'exemple du programme Imtiaz, nous avons atteint 90% des objectifs fixés pour 2010 et 2011. Les dossiers retenus permettront de monter dans la chaîne de valeur avec un impact clair sur le chiffre d'affaires qui va être multiplié par 2,1 ; sur la valeur ajoutée qui va être multipliée par 3 ainsi que l'impact sur la création d'emplois qui va être multiplié par 1,6, et ce dans les 5 à 6 années à venir. L'impact sur le PIB ne sera visible que lorsque nous atteindrons un nombre plus important d'entreprises bénéficiaires. Deuxièmement, le volet statistique fait toujours défaut au Maroc en l'absence d'un observatoire des PME . -4 F. N. H. : Aussi bien les PME que les TPE sont des structures fragiles exposées au risque de mortalité. Avez-vous recensé le taux de mortalité des entreprises bénéficiant du soutien de l'Etat pour les différents programmes, notamment en cette période de crise ? - L. E. : Pour les programmes Imtiaz et Moussanada, nous n'avons jusqu'à présent aucun cas de mortalité sachant que ces deux programmes n'existent que depuis 2 ans. Même cas pour Intilak et Tatwir qui viennent aussi de démarrer. Pour l'instant, nous n'avons pas reçu de demande d'arrêt de projet. Cependant, certaines PME sont en veilleuse actuellement à cause de la crise et qui, dans le cas par exemple d'Imtiaz, ont demandé de décaler leur investissement. - F. N. H. : Pour conclure, quelles sont les perspectives de l'ANPME pour l'avenir ? - L. E. : Dans le cas d'Emergence, nous travaillons actuellement sur un contrat-cadre pour étendre les financements pour les 3 prochaines années afin d'augmenter de plus de 50% les objectifs ainsi que les fonds associés. Ce que je peux vous assurer, c'est que l'Etat va faire un grand effort pour accompagner la PME en renforçant le financement des programmes d'appui de façon très significative en dépit d'un contexte difficile pour les finances publiques. Nous sommes en permanence à l'écoute des opérateurs pour professionnaliser davantage notre accompagnement et contribuer efficacement à l'augmentation de la compétitivité des PME marocaines. Dossier réalisé par L. Boumahrou