Constats : une offre insuffisante, des volumes faibles et un déficit de confiance criant. Diverses réformes concrètes proposées par les professionnels pour sortir la Bourse de son marasme, dont notamment des «valorisations honnêtes». Des textes de lois attendus d'ici fin 2012. Les professionnels du marché et la presse ont joué des coudes hier pour trouver une place dans la salle de conférence de la Bourse de Casablanca. Quand il y a débat sur la «Relance de la Bourse et essor du marché des capitaux», dans un contexte où la place casablancaise est frappée par la morosité et les investisseurs désabusés, forcément il y a foule. Surtout que les principaux intervenants du marché étaient présents. Et cela fait du bien de savoir que des autorités de tutelle au régulateur, en passant par les professionnels, il y a une certaine prise de conscience sur la nécessité d'initier des réformes urgentes. «Des réformes, sous-tendues par une profonde réflexion, qui doivent se faire dans le cadre d'une démarche concertée avec tous les professionnels», précise Nizar Baraka, ministre de l'Economie et des Finances. C'est dire qu'il n'y aura pas de réformes ponctuelles, pour ne pas dire cosmétiques, visant à répondre à l'urgence du moment. Elles doivent s'inscrire dans une stratégie globale visant à moderniser la Bourse de Casablanca. «Il s'agit, plus globalement, de faire du Maroc un hub vers l'Afrique en faisant de Casablanca une place financière internationale», relève pour sa part Saïd Ibrahimi, DG du Moroccan Financial Board, non sans préciser qu'il faut, pour réussir ce tour de force, «un marché des capitaux efficient et une Bourse des valeurs dynamique, profonde et liquide». Raison pour laquelle d'ailleurs la nouvelle génération de réformes annoncées par Baraka comportera trois volets essentiels, dont le premier concerne l'amélioration de l'inclusion financière. Il s'agira, entre autres, de mettre en place des dispositifs visant à faciliter l'accès au financement aux PME. Dans cette optique, un projet de mise en place d'un marché alternatif exclusivement dédié à ces petites entreprises est en cours. A côté du second volet concernant la diversification des instruments financiers (fonds immobiliers, soukouk...), il y aura un autre axe relatif au renforcement de la supervision du système financier. Entrent dans ce cadre, la mise en place de l'Autorité du marché des capitaux (AMC) et de l'Autorité de contrôle des assurances, mais aussi le projet de statut de Bank Al-Magrhib. «Certains textes relatifs à ces réformes sont pratiquement finalisés et devraient être adoptés d'ici fin 2012», précise Baraka, sous l'insistance notamment du modérateur des débats, Thami Ghorfi, qui n'a pas manqué de rappeler aux différents intervenants, avec une certaine subtilité, qu'il fallait apporter des réponses concrètes aux attentes du marché. Et cela a payé, d'autant qu'on était loin des discours de circonstance qui prévalent, en général, dans ce genre de rencontres. Il y a ainsi eu des annonces concrètes... et des vérités, souvent tues, qui ont été portées sur la place publique. Des constats et des mesures Les professionnels du marché ont globalement tous des vues convergentes sur ce qui paralyse actuellement le marché : une offre insuffisante, une concentration du marché avec un nombre limité d'intervenants et, comme l'a si bien dit Mohamed Hassan Bensalah, président de la Fédération marocaine des sociétés d'assurance et de réassurance, «un manque de volumes et de confiance à faire pleurer» (sic !). Mais, soulignent notamment Youssef Benkirane et Amine Amor, présidents respectifs de l'APSB et l'ASFIM, «tout n'est pas noir». Car, relève Amor, «le marché des capitaux fonctionne, en particulier le marché monétaire et celui de la dette privée». Face à ces constats, un certain nombre de mesures concrètes et urgentes ont été proposées. Pour Bensalah, «il faut plus de papier pour donner de la profondeur au marché et introduire en Bourse certaines sociétés publiques (comme l'OCP) et privées susceptibles de donner un nouveau souffle au marché». Il plaide également pour une révision des seuils de variation afin de les porter à -10 et +10%, tout en insistant sur la nécessité de revoir le régime fiscal appliqué aux entreprises d'assurance afin de les inciter à intervenir davantage sur le marché boursier. Il semble utile de rappeler, à ce titre, que l'investissement en Bourse des compagnies d'assurance s'élève à quelque 47 Mds de DH, soit environ 12% de la capitalisation boursière. Quant à Benkirane, qui a plaidé, entre autres, pour un repositionnement de la Bourse au cœur de l'agenda économique et politique gouvernemental et pour la bonne gouvernance, il a eu le mérite de reconnaître une chose, sous l'insistance notamment de Ghorfi : «le marché a trop longtemps souffert de sociétés survalorisées; il faut des valorisations honnêtes». Enfonçant le clou, Amine Amor, qui milite pour une révision du cadre fiscal lié aux classes d'actifs (afin de favoriser l'investissement productif), dénonce le fait qu'on ait, ces dernières années, favorisé la spéculation au détriment de l'investissement, mais également des business plans très peu respectés in fine. Venant des présidents de l'APSB et de l'ASFIM, ces mots ont tout leur sens dans un marché où les sociétés de Bourse sont impliquées dans les plus gros scandales financiers. Des mots qui ne sont pas tombés dans l'oreille d'un sourd, d'autant que le DG de la Bourse de Casablanca, Karim Hajji, a saisi la balle au rebond pour livrer le fond de sa pensée. «Les conseillers financiers ne doivent pas se faire la concurrence pour offrir la meilleure valorisation aux prétendantes à la cote; la concurrence doit plutôt se faire sur la qualité des services qu'ils sont susceptibles de leur fournir». Il fallait le dire ! Car, dans le cadre de la Caravane de la Bourse organisée pour détecter les entreprises potentiellement cotables (160 entreprises à visiter en 2012), Hajji et son équipe se voient opposer régulièrement comme réponse : «les valorisations proposées sont peu intéressantes comparées à il y a 3 ou 4 ans». Figés sur le passé et obnubilés par ces valorisations erronées, ces chefs d'entreprise ont, actuellement, beaucoup de mal à ouvrir leur capital au public. D'ailleurs, dans ses propositions, Hajji souligne «la nécessité de renforcer l'éducation financière», mettre en place des compartiments boursiers qui répondent aux besoins des entreprises, mais insiste également sur l'impératif de mettre en place le mécanisme du prêt-emprunt titres, «une réforme essentielle pour augmenter la liquidité du marché et qui sera un socle puissant pour le marché à terme». A ce titre, dans le cadre de la mise en place du marché à terme, Younès Issami, responsable du département Front office à Bank Al-Maghrib, précise que «nous travaillons déjà sur la mise en place de la chambre de compensation, en collaboration avec un cabinet international». «Le cahier des charges est élaboré et une feuille de route claire sera dégagée d'ici la fin de l'année», conclut-il. Mais, à l'évidence, même si toutes ces mesures sont concrétisées, il ne faut pas s'attendre à un déclic dans l'immédiat. Amine Amor ne dit pas autre chose. «Il n'y aura pas relance dans l'immédiat, mais ces mesures vont avoir un impact sur la confiance des investisseurs et des émetteurs à moyen terme», note-t-il. Mais l'important n'est-il pas que ces réformes soient initiées ? En cela, Nizar Baraka semble avoir été attentif aux différentes propositions des intervenants du marché qui attendent qu'elles soient concrètement déclinées. La balle est donc désormais dans le camp des autorités à qui, justement, la communauté des affaires reproche la lenteur dans l'adoption des textes de loi (voir encadré). Par D. William Société gestionnaire: Le statut mutualiste pointé du doigt Les longs délais relatifs à l'adoption des textes de loi sont un boulet à la fluidité des affaires. D'ailleurs, pour Hassan Boulaknadal, DG du CDVM, dont l'institution œuvre pour accompagner, protéger et renforcer la communication envers les épargnants, il faut «un cadre réglementaire et législatif souple et réactif qui favorise l'innovation financière». Reste que «la lenteur dans l'adoption des textes de loi est parfois légitime, particulièrement en ce qui concerne le marché des capitaux où il faut faire face à des risques systémiques», rétorque Faouzia Zaaboul, Directrice du Trésor et des Finances extérieures, qui aura fait, lors de son intervention, une remarque de taille : «sur le marché, il n'y a pas de relais à l'action publique». Pour dire que toutes les réformes et les grosses OPV initiées par les pouvoirs publics et qui déclenchent un certain engouement sur le marché boursier, sont vite consommées, l'euphorie cédant vite la place à l'atonie. D'où d'ailleurs l'idée de revoir la nature de l'industrie boursière, pour mettre en place une industrie de réseaux, à l'instar de ce qui se passe dans les places internationales. Autrement dit, «il ne faut plus penser seulement local, mais plutôt à se déployer à l'international», souligne-t-elle, tout en précisant que «le CFC est une chance qui va permettre au marché de respirer». En cela, «il faudrait que la Société gestionnaire de la Bourse de Casablanca, qui gère un monopole naturel et a une prérogative de puissance publique, sorte de son cadre mutualiste pour adopter un statut qui va lui permettre de se déployer à l'international», conclut-elle. L'ouverture de son capital est, à ce titre, une première étape vers ce redéploiement.