Les experts RICS sont de plus en plus sollicités. Selon Badr El Yacoubi, MRICS et Directeur général de Property Solutions, group Ténor, les chiffres ne reflètent pas la réalité du marché. - Finances news hebdo : Expliquez-nous l'activité de votre cabinet ? - Badr El Yacoubi : Property Solutions est un cabinet de conseil en immobilier d'entreprise avec trois métiers : le conseil en investissement, l'expertise et l'évaluation immobilière et la transaction. Tous ces métiers nous les faisons dans l'immobilier d'entreprise qui n'est pas destiné à l'habitation. Ce sont essentiellement les bureaux, les commerces, les locaux d'activités y compris les locaux logistiques et industriels. Par ailleurs, nous avons une filiale qui s'appelle THAIS qui opère dans les métiers de property et facilities management, c'est de la gestion immobilière, toujours dans le cadre de l'immobilier de l'entreprise. Property Solutions a démarré ses activités en 2009, et depuis janvier 2012 j'ai obtenu personnellement une accréditation RICS (Royal Institution of Chartered Surveyors) qui est une accréditation internationale qui permet de réaliser des expertises immobilières en répondant à des standards internationaux. En fait, c'est le gage que les expertises qui sont réalisées par notre cabinet se font dans le strict respect des standards internationaux y compris tout ce qui est règle, éthique et déontologie. Ceci dit, bien avant l'obtention de l'accréditation nous travaillions régulièrement pour des institutionnels marocains aux fins d'expertise de leur portefeuille immobilier et aussi d'évaluation en interne - F. N. H. : Est-ce que la loi réglemente l'expertise immobilière au Maroc ? - B. E. Y. : Il n'y a pas aujourd'hui au Maroc une législation qui s'applique aux professionnels, personnes physiques et ou organisés en cabinets et qui intervient dans les expertises. Il n'y a que les expertises judiciaires qui doivent être réalisées par des experts assermentés. Même les compagnies d'assurance, qui n'ont d'obligations que vis-à-vis de la DAPS parce qu'elle demande aux assurances de réaliser des expertises triennales ou quinquennales de leur patrimoine immobilier, n'ont pas de critères spécifiques imposés pour la désignation de l'expert. Donc, il n'y a pas d'ordre. Pour les institutionnels, le fait de travailler avec un cabinet sérieux disposant de ressources humaines et des références qui leur permettent d'obtenir des expertises de qualité. Bien sûr la tendance se tourne vers le choix d'experts ayant l'accréditation RICS, parce qu'il y a de plus en plus de professionnels qui détiennent cette accréditation et donc les institutionnels ne veulent pas se priver d'avoir la garantie et ou l'assurance que ces expertises soient réalisées par des gens qualifiés par un organisme international. Les assurances peuvent procéder à des expertises pour leurs besoins en interne pour valoriser leur patrimoine. Mais il existe des obligations envers la DAPS. Les expertises sont adressées à la DAPS qui , bien évidemment , les revoit sans trop s'attarder sur l'évaluation du bien mais surtout sur le sérieux avec lequel l'expertise a été réalisée, sur les méthodes utilisées, en fonction de la nature du bien . - F. N. H. : Comment la crise impacte le secteur de l'immobilier d'entreprise et plus précisément l'expertise ? - B. E. Y. : La crise a sûrement un impact sur l'immobilier d'une manière générale et, par conséquent, sur l'ensemble des métiers de l'immobilier. On va dire que les effets de la crise peuvent se neutraliser. Pourquoi ? Parce qu'aujourd'hui, lorsqu'on réalise des expertises, on peut le faire sur différents plans. Avant d'investir on évalue le bien pour être sûr qu'on achète à la bonne valeur. En période de crise, il y a moins d'investissements, et forcément moins de demandes d'expertise qui conforte un investissement, mais il y a aussi une certaine crainte vis-à-vis du marché qui fait que, pour les investissements qui sont déjà réalisés, on va prendre plus d'assurance et on va forcément expertiser le bien avant de l'acheter, ce qui n'était pas le cas avant , puisqu'on disait que le marché était sur une tendance haussière, donc on ne prenait pas beaucoup de risques, en investissant dans la pierre et, à la rigueur, on pouvait se passer de l'expertise et après quelques années on revendait avec une plus-value, mécaniquement, du fait de la spéculation. Aujourd'hui ce n'est plus le cas. On veut s'assurer que le bien acheté est réellement acheté à sa bonne valeur et ainsi on va avoir davantage recours à l'expertise avant l'investissement, et parce qu'aussi les entreprises ont des impératifs de gouvernance de plus en plus fermes, ce qui impose aux dirigeants de passer par un certain processus avant de procéder soit à un investissement, soit à la cession d'un actif immobilier. C'est-à-dire qu'une compagnie d'assurance ou n'importe quelle société d'investissement qui veut céder un actif se trouve aujourd'hui devant plus de contraintes, et doit faire expertiser un bien avant de le vendre afin de d'assurer qu'il a été vendu à une valeur marché. - F. N. H. : Selon Bank Al-Maghrib, les prix de l'immobilier commercial ont enregistré une hausse de 17,8% pendant le premier trimestre 2012 ; que dites-vous par rapport à cette évolution ? - B. E. Y. : Finalement, ce qui compte ce n'est pas la hausse des prix mais le nombre de transactions qui s'effectuent sur le marché. Il y a peut-être une hausse, mais pour nous, ce n'est pas parlant parce qu'on ne sait pas comment ces chiffres sont obtenus. Ce qui est certain c'est qu'il y a nettement moins de transactions qu'auparavant et ce n'est pas l'augmentation des prix qui pourrait avoir une influence sur les transactions. Je vais vous dire pourquoi la hausse en soi n'est pas pertinente pour nous. Aujourd'hui, nous ne sommes pas dans un marché rationnel au Maroc. Les gens peuvent demander les prix qu'ils veulent, souvent en grand décalage par rapport à la réalité du marché. Effectivement, les gens demandent des prix exagérés et ne cherchent pas à les baisser parce il s'agit souvent d'acquisitions faites il y a longtemps, donc il n y'a pas de contrainte financière qui va les pousser à les vendre au prix marché. Maintenant, dans cette logique, forcément celui qui a absolument besoin d'acheter va le faire au prix fort. Mais on peut dire de manière incontestable qu'il existe moins de transactions et que l'année 2012 n'est pas favorable à l'investissement. Nous mêmes, par exemple, par rapport à l'année dernière, nous avons réalisé quatre fois moins sur un trimestre par rapport à 2011 qui a été une année difficile. On ne peut pas le cacher. - F. N. H. : Le ralentissement de l'économie impacte-t-il le secteur de l'immobilier au Maroc ? Que relevez-vous chez les investisseurs ? - B. E. Y. : On espère que la crise ne va pas s'aggraver d'autant que la crise de la Grèce n'est pas encore résolue. En outre, il faut que les mesures gouvernementales fassent en sorte qu'il y ait une incitation à l'investissement et une reprise de l'activité économique au Maroc tous secteurs confondus, ce qui va tirer l'immobilier vers le haut. Mais honnêtement, nous ne voyons pas de mesures gouvernementales qui incitent à l'investissement, tant pour les Marocains que pour les étrangers. De plus, le Maroc n'a pas un marché de l'immobilier assez mature, à cela s'ajoute le problème de la pratique du «noir». Comment voulez-vous qu'un fonds d'investissement investisse dans l'immobilier lorsqu'il est contraint de payer 30% au «noir» ? D'autre part, les fonds d'investissement évaluent les immeubles sur la base de leur état locatif et considèrent ainsi un actif immobilier comme un actif financier. La détermination de sa valeur se fait sur la base de ses revenus financiers. Aujourd'hui, au Maroc nous n'avons pas cette logique. Sachant aussi que le marché est risqué, les taux de rendement sont très théoriques, les actifs immobiliers se font de plus en plus rares. S'il existe des fonds spécifiquement dédiés à l'immobilier qui vont injecter de la liquidité, le marché de l'immobilier va forcement en bénéficier. Il est nécessaire aussi que les banques jouent le jeu pour qu'il y ait un effet de levier. Un grand travail reste à faire au niveau de la sensibilisation des épargnants afin que ceux-ci s'engagent dans ce type de mise de fonds. - F. N. H. : À combien s'élève le coût d'une expertise ? - B. E. Y. : Le coût de l'expertise dépend d'une part du contenu souhaité par le client qui peut demander un contrôle exhaustif technique du bâtiment, ce qui nécessite l'intervention de techniciens et experts spécialisés et dépend, d'autre part, de la nature de l'actif. Par exemple, pour un bien construit, il est facile d'en déterminer la valeur ; par contre, lorsqu'il s'agit d'un terrain nu il faut savoir ce qui est susceptible d'y être construit, et faire des études de gabarit et déterminer un certain nombre de paramètres. Enfin, le coût de l'expertise dépend de l'emplacement géographique du bien à expertiser, du temps que vont passer nos consultants pour l'expertise et de la difficulté à trouver des comparables, c'est-à-dire des transactions sur des biens similaires sur une période courte. Propos recueillis par S. Zeroual