Hassan Boulaknadel vient de boucler pratiquement trois ans à la tête du Conseil déontologique des valeurs mobilières. Trois ans à l'issue desquels Finances News Hebdo se permet de faire une évaluation globale de son travail depuis qu'il gère «l'autorité qui veille» sur notre épargne. Il faut, tout d'abord, rappeler que sa nomination, en remplacement de Dounia Tarjii, avait suscité des appréciations diverses. Si certains laissaient entendre que «Boulaknadel est l'homme qu'il faut pour notre marché», d'autres, tout en reconnaissant ses compétences du fait qu'il dirigea une société de gestion pendant plusieurs années, plaidaient pour quelqu'un de plus charismatique, connaissant aussi bien le fonctionnement du marché, mais qui est resté loin de ses tribulations. Autrement dit, une compétence qui n'était pas forcément issue du milieu (société de Bourse, société de gestion…). Avec le recul, à qui le temps a-t-il donné raison ? Le mandat de Boulaknadel n'est pas exempt de reproches. Et le plus important est relatif aux sanctions. A ce niveau, il n'a pas su trancher avec un héritage bien ancré au sein du Conseil : les sanctions infligées aux contrevenants à la réglementation en vigueur n'ont jamais été à la hauteur des préjudices subis, surtout par les investisseurs. Ceux qui, notamment, ont fait les frais des prévisions trop optimistes des émetteurs. On se rappelle ainsi que la Samir, malgré un résultat net consolidé prévisionnel de 526 MDH au titre de l'exercice 2008, avait finalement réalisé un résultat net déficitaire de 1,2 Md de DH, tout en s'abstenant d'alerter le marché. Or, le profit warning reste bien régi par le gendarme du marché qui stipule que les émetteurs ont «l'obligation de procéder à la publication, sans délai et au moment où ils ont pris connaissance de l'information, d'un avertissement sur les résultats en cas de rupture par rapport à l'historique des réalisations ou d'écart significatif par rapport aux prévisions annoncées». Pour ce manquement grave, la Samir n'avait écopé, huit mois plus tard, que d'un avertissement. Pour le même motif, la Sonasid s'était vu infliger, en octobre 2010, un avertissement et seulement 67.000 DH d'amende. C'est dire que les sanctions sont loin d'être dissuasives, pour ne pas dire qu'elle tendent même à encourager les mauvaises pratiques. Quoique le gendarme du marché a eu, en 2011, la main plus lourde envers la société de Bourse Eurobourse en lui infligeant un avertissement et une sanction pécuniaire de 200.000 DH pour avoir commis des manquements aux règles déontologiques régissant la gestion de portefeuilles de valeurs mobilières sous mandat. Mais, convenons-en, si sa mission qui est de protéger notre épargne, veiller au bon fonctionnement du marché, assister le gouvernement dans sa fonction de régulateur de marché, mais aussi et surtout accompagner et sensibiliser les différents opérateurs n'a pas changé, le CDVM, dans sa démarche, a quand même beaucoup évolué. Du moins, a-t-il mûri. A n'en pas douter, le gendarme du marché communique aujourd'hui plus… et mieux. En effet, en dehors même de l'information rendue régulièrement publique, il faut reconnaître qu'il y a une meilleure disponibilité à répondre aux interrogations de l'opinion publique, et particulièrement des journalistes. On a, à titre d'exemple, une meilleure visibilité sur la pratique de la communication financière des sociétés cotées à la Bourse. Comme en témoigne le rapport publié dans ce sens qui montre qu'en 2009, 64% des sociétés ont publié leurs comptes le dernier jour du délai réglementaire de publication, contre 26% et 45% respectivement en 2007 et 2008, alors que seules 4 sociétés ont suivi les recommandations du CDVM en matière de publication de certains indicateurs trimestriels. Dans ce registre d'ailleurs, le CDVM initie un important travail de sensibilisation auprès des émetteurs, en leur recommandant notamment d'organiser des réunions d'information au profit des analystes financiers et de la presse spécialisée, et ce conformément aux dispositions de l'article 13.2 de la circulaire du CDVM n°07/09. Surtout, Boulakdnadel fait preuve d'habilité en ce qu'il privilégie la concertation avec les intervenants du marché, notamment en ce qui concerne l'élaboration des circulaires. La codification de ses circulaires, visant à en faire un seul texte cohérent, structuré et présenté de manière didactique, par métier, a ainsi suivi ce processus. Cette circulaire unique a d'ailleurs été portée sur la place publique le 31 janvier dernier et entrera en vigueur dès le 1er avril prochain. Cette démarche participative lui évite ainsi toute réprobation de la part de la profession. Profession à laquelle il rappelle régulièrement la nécessité d'instaurer une certaine éthique et déontologie dans l'exercice de sa fonction. D'où l'obligation de lui soumettre un rapport d'activité relatif à l'activité déontologique. Aussi, force est de reconnaître que c'est sous son magistère que le profit warning est devenu une obligation à laquelle toutes les sociétés cotées se soumettent actuellement. Faut-il rappeler, à ce titre, que l'une des premières, sinon la première société cotée qui a osé lancer un profit warning sur ses résultats annuels 2008 a été Managem. Elle gagnait alors en crédibilité ce qu'elle perdait en capitalisation. Depuis, au risque de s'attirer les foudres du CDVM, les émetteurs ont compris qu'il fallait communiquer autrement avec le marché, c'est-à-dire de manière transparente, sans rétention volontaire d'informations importantes. Globalement, le CDVM tend de plus en plus à asseoir son autorité. Et Mediaco a été l'une des dernières sociétés à avoir fait les frais de ce durcissement de ton du gendarme du marché (www.financenews.press.ma). En clair, avec l'arrivée de Boulaknadel, le CDVM a, sans aucun doute, gagné davantage en crédibilité. Enquêtes, avertissements, demandes d'explication et sanctions se multiplient face à des intervenants du marché qui prennent certaines libertés au mépris de la réglementation en vigueur et des intérêts des épargnants. Reste que tout travail est perfectible. Particulièrement en ce qui concerne la qualité de l'information financière rendue publique par les émetteurs, les mécanismes de détection des délits d'initié, la nature des sanctions… Mais, à n'en pas douter, s'il y a un travail auquel Boulaknadel doit s'atteler, c'est de se débarrasser de la suspicion permanente qui entoure l'établissement qu'il dirige : l'impression que, dans le traitement des différents scandales et affaires douteuses qui émaillent la place, le CDVM fait du deux poids, deux mesures. Avec notamment un traitement privilégié pour les mastodontes de la cote. C'est un sentiment profondément ancré dans la conscience collective. Charge à lui, à travers les actes qu'il sera amené à poser, de montrer que le CDVM est une institution indépendante et impartiale, avec pour seul dessein de préserver la transparence, l'intégrité et la sécurité du marché. ■