Entretien avec Mounir Razki, responsable de la Direction opérations monétaires et de change à Bank Al-Maghrib. Finances News Hebdo : La deuxième édition des Journées internationales de macroéconomie et de finance est consacrée à la flexibilité du régime de change. Dans quel cadre s'inscrit cette édition organisée en collaboration avec l'Université suisse de Bâle et le laboratoire de recherche INREED ?
Mounir Razki : Comme vous le savez, la Banque centrale et le ministère des Finances ont initié une réforme structurelle pour le pays, à savoir la flexibilité du régime de change. L'un des prérequis à la mise en œuvre de cette réforme est la préparation des opérateurs et la communication vis-à-vis du grand public afin de pouvoir expliquer la démarche, les motivations et les indicateurs préalables à cette actuelle réforme. Cette journée s'inscrit dans ce même cadre et c'est le milieu universitaire qui est aujourd'hui approché pour échanger sur cette thématique. Nous avons commencé par une campagne de sensibilisation et d'explication auprès du système bancaire. Il s'agit donc des mêmes messages qui reviennent pour lever les ambiguïtés et les confusions et pour expliquer un certain nombre de principes de la réforme. Nous avons procédé de la même manière avec les opérateurs économiques. Aussi, les établissements publics ont-ils été abordés pour connaître les évolutions de la réforme et leur impact sur leurs activités. Nous avons également organisé des ateliers pédagogiques avec la presse pour qu'elle comprenne les principes et les mécanismes. Aujourd'hui, nous couvrons un dernier pilier qui concerne le monde universitaire et les chercheurs pour échanger sur la réforme.
F. N. H. : Toutes les expériences ont montré que le passage vers un régime de change flexible se traduit par de nouveaux gagnants et de nouveaux perdants et, surtout, la reconfiguration d'une rente économique qui s'est bien installée avec un régime de change fixe. Qu'en sera-t-il pour notre économie ?
M. R. : Le principe est que chaque fois qu'il y a une réforme économique, le leitmotiv est de rapporter de la valeur ajoutée à l'ensemble de l'économie et à l'ensemble des citoyens marocains. Ainsi, nous ne mettons en place une réforme que si elle apporte de la valeur ajoutée et la maîtrise d'un certain nombre de risques dans l'intérêt de l'économie dans son ensemble et du citoyen marocain. C'est d'ailleurs dans ce cadre que cette réforme a été pensée parce qu'elle permettra d'atteindre ces objectifs et de prémunir le citoyen marocain des impacts de chocs externes.
F. N. H. : Justement en cas de chocs externes et de fortes fluctuations ou de volatilité du Dirham, la Banque centrale va-t-elle intervenir et comment ?
M. R. : Nous allons passer d'un régime de change fixe où le change est administré à un cours de change qui serait le résultat de l'offre et de la demande. Quand y aura-t-il de la volatilité ? Que si les interventions de la Banque centrale ne sont pas efficaces et si effectivement il y a des demandes très importantes. Ce sont là des choses maîtrisables parce que notre processus se fera de manière graduelle, ordonnée et sur le moyen terme. Donc, il y aura une phase d'apprentissage où le marché ne sera pas entièrement libre. Nous allons passer par des phases de flexibilisation progressive jusqu'à ce que les différents intervenants commencent à maîtriser le fonctionnement du marché.
F. N. H. : Approximativement, sur combien d'années cette réforme va-t-elle s'étaler, si nous nous inspirons des expériences internationales ?
M. R. : Les expériences internationales montrent qu'effectivement cela prend du temps quand on ne s'est pas bien préparé. Ici, au Maroc, nous avons bien réfléchi à tout cela parce que depuis 2010, il y a eu toute une préparation en interne au niveau de la Banque centrale : il y a eu tous les aspects de ciblage de l'inflation qui devaient être réfléchis, les modèles économiques, les modèles de prévision à mettre en place… Ce travail a été préparé en amont par la Banque centrale. L'idée était surtout de faire les choses de manière progressive.
F. N. H. : Oui, mais, combien de temps va durer la réforme ?
M. R. : En fait, ce n'est pas une question de temps, mais plus d'atteinte des objectifs. Nous avons défini pour chaque phase des objectifs. Par exemple, l'une des phases concerne l'approfondissement du marché ou l'existence d'instruments de couverture ou bien l'amélioration de la liquidité. Nous avons établi des check-lists avec des «trigger» et une fois que nos objectifs seront atteints, nous passerons à la phase suivante. Il ne s'agit donc pas d'une question de trois mois, six mois ou un an, c'est plus une question d'objectifs atteints ou pas.
F. N. H. : Dans ce processus de flexibilité de change, quel est le taux d'inflation tolérable ?
M. R. : Toutes les statistiques montrent que le Maroc est un pays historiquement à très faible inflation. La stabilité des prix est essentielle et est du ressort de la Banque centrale. Elle mettra tout en œuvre pour la maîtriser.
F. N. H. : Désormais, la nouvelle ancre sera le ciblage de l'inflation. Comment BAM va-t-elle intervenir ?
M. R. : C'est aussi simple : dans un régime de change fixe, l'ancre est le taux de change (c'est celui que nous fixons). Dans un régime de change plus flexible, le taux de change n'est plus fixé et dépend de l'offre et de la demande. Donc, nous changeons d'ancre en passant du taux de change à un ciblage de l'inflation. Donc, encore, la nouvelle ancre sera l'inflation que nous essaierons de maîtriser et les ajustements pourront se faire sur les autres paramètres. ■