• L'application de la loi relative au droit du travail domestique des mineurs ne peut avoir lieu qu'avec l'implication des citoyens, des associations et des instances concernées. • Explication de Nouzha Skalli, ministre du Développement social, de la Famille et de la Solidarité sur le projet de loi qui vient d'être adopté par le Conseil de gouvernement. ✔ Finances News Hebdo : Quels sont les grands dispositifs prévus par la loi relative au droit du travail, et plus particulièrement au travail domestique des mineurs ? ✔ Nouzha Skalli : Ce projet de loi comporte trois volets majeurs. Le premier concerne l'organisation du travail pour une catégorie sociale qui a longtemps été privée de toute reconnaissance légale, et de toute protection sociale, celle des travailleurs domestiques. Le deuxième volet qui a été l'objet d'un formidable combat sociétal et dans lequel le ministère du Développement social, de la Famille et de la Solidarité, a joué un rôle majeur, concerne l'interdiction et la pénalisation du travail domestique des petites filles de moins de quinze ans. Le troisième volet concerne les enfants de 15 à 18 ans. Conformément aux conventions internationales qui autorisent leur apprentissage, leur emploi est soumis à l'autorisation parentale et leur épargne les travaux pénibles ou dangereux. Il s'agit d'une avancée très importante pour notre pays et qui permettra de réglementer le travail du personnel de maison à travers un contrat, un salaire minimum, des congés hebdomadaires et des congés payés et ouvre les perspectives du bénéfice de la protection sociale de cette catégorie sociale vulnérable. L'inspection du travail assure le suivi de la loi dans des conditions qui tiennent compte du principe de l'inviolabilité du domicile. Un système de veille et de signalement devra être mis en place en partenariat avec les ministères concernés par la protection de l'enfance, à savoir, en plus du ministère du Développement social, celui de la Justice et celui de l'Intérieur. La société civile, et notamment l'Observatoire National des Droits de l'Enfant, présidé par SAR la Princesse Lalla Meryem, auront également un rôle important à jouer. ✔ F.N.H. : Cette loi est certainement une avancée qui vient combler une lacune dans le dispositif réglementaire marocain. Toutefois, les ONG restent sceptiques quant à son application. Quelles sont les mesures d'accompagnement pour que le texte puisse atteindre les objectifs escomptés ? ✔ N. S. : Ce projet de loi constitue une avancée très importante pour la protection des enfants contre le travail domestique en sanctionnant aussi bien les employeurs que les intermédiaires, y compris par des peines de prison en cas de récidive. Ce projet est un outil visant à construire une stratégie d'éradication du travail domestique des enfants, et à mettre ainsi un terme définitif à cette pratique intolérable pour le Maroc d'aujourd'hui ! Nous pouvons considérer qu'à travers l'adoption du projet de loi interdisant le travail domestique des enfants par le gouvernement, notre pays a gagné la première mi-temps de la bataille contre le travail domestique des fillettes. Il reste à faire converger les efforts de toutes et de tous pour le respect de la loi et assurer un Maroc digne de nos enfants. L'application stricte de cette loi nécessite un changement culturel car les employeurs sont Monsieur et Madame tout le monde. Le rôle des citoyens et citoyennes est essentiel et on doit pouvoir compter avec l'adhésion des employeurs et leur attachement à leurs obligations à l'égard des droits de l'enfant autant qu'ils sont attachés au respect de leurs propres droits ! Cette loi conduira à une remise en question de notre mode de vie, y compris sur la question de la contribution de l'ensemble des membres de la famille aux tâches ménagères qui ne doivent plus reposer sur les épaules de la seule mère de famille. ✔ F.N.H. : La plupart des filles employées dans les foyers sont issues de population analphabète; comment comptez-vous sensibiliser cette catégorie sur cette loi, en un mot leurs droits ? ✔ N. S. : Le travail de mobilisation sociale et de sensibilisation a déjà commencé; des efforts ont été déployés par le ministère du Développement social, de la Famille et de la Solidarité aussi bien que par la société civile. Faut-il rappeler toutes les campagnes de sensibilisation menées par notre ministère dont celle diffusée sur les ondes de la télévision en juin 2010, en partenariat avec l'Observatoire National des Droits de l'Enfant? Faut-il rappeler les actions de sensibilisation des acteurs dans les zones pourvoyeuses et autres actions de plaidoyer menées par notre ministère en partenariat avec la société civile, notamment l'Association INSAF ? Cette action de sensibilisation devra être accentuée. Elle sollicite la contribution de tous et de toutes et notamment des médias et de la société civile dans le cadre de partenariat avec les pouvoirs publics. ✔ F.N.H. : Comment se fait-il que cette loi soit intervenue la veille des élections ? ✔ N. S. : Je vous signale tout d'abord que les élections législatives actuelles sont anticipées, elles n'étaient prévues qu'en 2012. Le processus qui a abouti à l'adoption de ce projet de loi par le Conseil de gouvernement a été long et ardu. Un premier projet avait été déposé par le ministère de l'Emploi en 2006; il concernait les employés de maison et prévoyait des peines pour l'emploi des enfants de moins de quinze ans. Notre ministère, qui est en charge de la protection de l'enfance, a déposé un projet de loi interdisant le travail domestique des enfants dès le mois d'avril 2009 et sanctionnant l'ensemble des intervenants. L'actuel projet de loi est le fruit d'un travail collectif mené par le MDSFS et le ministère de l'Emploi et de la Formation professionnelle. Nous sommes fiers aujourd'hui d'avoir pu faire aboutir ce projet pour le plus grand bien de notre enfance et de notre peuple et pour un «Maroc digne de ses enfants»! La mobilisation de la société civile et des médias à nos côtés a contribué à accélérer le processus qui était engagé et à surmonter les résistances. Ce projet de loi n'a pas encore été voté. C'est le Parlement qui discute, amende et adopte les lois par vote. Ce projet de loi a été adopté en Conseil de gouvernement et devra suivre le circuit législatif. ✔ F.N.H. : Avec l'application de cette loi quelle est l'institution qui sera chargée du contrôle sur le terrain ? ✔ N. S. : Concernant le travail domestique des mineurs, il s'agira là d'un délit puni par la loi et qui pourra être dénoncé par toute personne ou association. Le ministère du Développement social a mis en place, dans plusieurs régions du pays, des unités de protection de l'enfance dans lesquelles coopèrent, outre notre ministère, la Sureté nationale, le ministère de la Justice et la société civile. Nous avons aussi créé des unités de «Samu Social» qui pourront jouer un rôle de plateforme de signalement et d'accompagnement du retrait de fillettes du travail domestique. ✔ F.N.H. : Quelles sont les sanctions prévues en cas de manquements à la réglementation? ✔ N. S. : La loi prévoit des sanctions financières en première intention, 25.000 à 30.000 DH pour les employeurs et 20.000 à 50.000 DH pour les intermédiaires. En cas de récidive, ces peines sont doublées et assorties de peines de prison de 1 à 3 mois pour les employeurs et de 1 à 6 mois pour les intermédiaires. Ce qui est important c'est la portée psychologique des peines et l'effet dissuasif. Bien que cette loi ne sanctionne pas les parents, ils ne sont pas pour autant à l'abri de poursuites car ils seront considérés comme ayant contribué à un délit. ✔ F.N.H. : Les employés domestiques sont souvent issus de milieux très pauvres. Avez-vous prévu un fonds de soutien pour dissuader les familles de faire employer leurs enfants ? ✔ N. S. : Plusieurs programmes sont déjà mis en œuvre pour lutter contre la pauvreté dans le monde rural et l'exclusion dans le monde urbain. Dans le domaine de la scolarisation des enfants, citons les subventions du programme «Tayssir», dont 600.000 enfants nécessiteux ont bénéficié en 2011 ainsi que l'opération 1 Million de cartables qui a profité à plus de quatre millions d'enfants. Le rôle de l'INDH est aussi très important. Cette initiative royale a permis, dans sa première phase 2005-2010, la réalisation de 22.000 projets dont ont bénéficié plus de 5 millions de personnes démunies. La solidarité nationale avec les plus pauvres doit se manifester à travers toutes les politiques publiques tant à l'échelle nationale que locale. La régionalisation avancée doit également offrir un cadre de solidarité avec les plus démunis dans chaque région. En plus de la lutte contre la pauvreté, il s'agit de diffuser la culture des droits de l'enfant, car les enfants ne sont pas faits pour travailler pour leurs parents, mais à l'inverse, le rôle des parents est de protéger leurs enfants et de leur assurer une vie saine ! ■ Propos recueillis par L. Boumahrou