Le commerce traditionnel représente 90% du marché. La grande distribution quant à elle, assure moins de 10% du commerce au détail au Maroc. Un secteur où règne le manque de réglementation. Un schéma d'urbanisme commercial mis en place dans le cadre du plan Rawaj. Avec la montée en puissance de la mondialisation, le Maroc s'est vu obligé de moderniser son système de distribution. En effet, supermarchés, hypermarchés et centrales d'achat poussent comme des champignons dans les grandes métropoles du pays. Dernièrement, même les villes secondaires ont connu l'affluence de ce genre de commerce, vu l'émergence de la classe moyenne. Propulsé par des facteurs internes et externes, ce secteur connaît une grande expansion et un taux de croissance assez élevé. Parmi ces facteurs : l'évolution de la société marocaine. Cette dernière a stimulé l'activité d'un nouveau mode de consommation au sein des ménages, qui ne se contentent plus des offres de l'épicier du coin, mais qui s'étendent aux grandes surfaces puisqu'elles présentent l'avantage d'offrir un meilleur rapport qualité/prix, et rassemblent sur un même lieu un ensemble de produits répondant aux normes de qualité, d'hygiène et de sécurité. Elles permettent également un gain de temps conséquent pour la ménagère, et favorisent un acte d'achat groupé au lieu d'un acte d'achat instantané. En effet, le champ d'action de la grande distribution ne se limite pas à l'alimentaire, il couvre progressivement tous les biens de consommation : habillement, équipements ménagers, produits?parapharmaceutiques, bijoux… Toutefois, cette évolution inévitable n'est pas sans danger pour la société marocaine, notamment pour les petits commerçants. D'ailleurs, avec l'offensive des grandes surfaces, le mécontentement de ces derniers est de plus en plus palpable. En effet, ils considèrent l'implantation de ces grandes et moyennes surfaces au cœur des villes comme une concurrence déloyale. A cet effet, ils demandent une évolution des lois afin d'empêcher l'implantation des grandes et moyennes surfaces au cœur des villes. Dans cette perspective, Tarik Hajji, Directeur du commerce et de la grande distribution au sein du ministère de l'Industrie, du Commerce et des Nouvelles Technologies (MICNT), a affirmé que «dans le cadre de Rawaj, le MICNT a défini, en partenariat avec le MHUAE, un schéma d'urbanisme commercial performant prenant en considération les attentes du consommateur et des opérateurs. Ce dispositif a pour objectifs d'assurer une meilleure intégration des commerces dans leur territoire, et un développement harmonieux et équilibré entre petit et grand commerce». Du côté de la grande distribution, on pense plutôt le contraire, et les avis sont très mitigés concernant la concurrence qui oppose les petits commerçants et la grande distribution. Pour cette dernière, si concurrence il y a, c'est au détriment des grandes surfaces, le commerce traditionnel représentant encore 90 % du marché. D'ailleurs, en parlant de commerce traditionnel, il faut rappeler que cette activité se déploie au Maroc dans les souks, les marchés municipaux, les épiceries et par les vendeurs ambulants. Il est vrai que les prix proposés par la grande distribution constituent un argument de taille pour attirer les clients. Néanmoins, nombre de consommateurs effectuent toujours leurs achats chez l'épicier du coin, pour différentes raisons, comme les facilités de paiement. C'est le cas notamment des quartiers populaires où la clientèle ne peut s'offrir le luxe de dépenser une grosse somme ou une grande partie de son budget pour des achats à la quinzaine ou au mois. Il faut préciser que la majorité des ménages habitant ces quartiers n'a pas de revenu mensuel fixe, vivant au jour le jour selon les opportunités de travail de chacun. Ainsi, le petit commerce est adapté aux possibilités des plus démunis qui achètent quotidiennement et en faibles quantités : un demi-litre de lait, 3 DH de sucre ou même 1 dirham d'huile, en plus des relations personnelles et assez fortes afférentes à ces transactions. L'épicier devient dans la plupart des cas le voisin, l'ami et le commerçant en même temps. Et puis, les petites épiceries ont l'avantage d'être ouvertes à tout moment de la journée, et même durant une bonne partie de la nuit pour certaines, contrairement aux grandes surfaces. Contraintes de la grande distribution La grande distribution représente 10% du commerce au détail au Maroc, mais sa croissance est rapide et la couverture des zones urbaines s'amplifie. Les grandes et moyennes surfaces, qui disposent de centrales d'achat, proposent des prix très attractifs sur les produits agro-alimentaires et les conserves, particulièrement pour les marchandises importées. Mais des barrières subsistent pour ce secteur et freinent son développement. Selon certains hauts responsables du secteur, les difficultés à obtenir les autorisations administratives, accéder au foncier, trouver des profils qualifiés, l'existence du commerce informel et de la contrebande et l'absence d'une réglementation du secteur, participent au ralentissement du secteur et limitent aussi l'arrivée de capitaux et de savoir-faire étrangers. L'un des responsables du secteur compare cette activité à une jungle où la loi du plus fort prime le plus souvent, et où les bonnes connexions facilitent l'accès à certains privilèges. Pratiques de la grande distribution Pour rappel, la distribution est la fonction de l'entreprise qui permet de mettre à la disposition des consommateurs les biens et services dont ils ont besoin à leur proximité, en quantité, en qualité et au moment où ils le désirent. Les entreprises, étant dans l'incapacité de mettre leurs produits à la disposition de leurs clients, à l'endroit et en temps voulus, ont recours aux intermédiaires : les distributeurs. Mais ce service n'est pas sans coût, loin de là. Les grandes surfaces s'imposent aux fournisseurs, les entreprises en l'occurrence, des contrats draconiens, afin de référencer leurs produits et les exposer au consommateur final. Tout d'abord, en raison du besoin permanent des grandes surfaces de s'approvisionner en grande quantité à tout moment, le fournisseur est dans l'obligation de pouvoir être à même d'offrir en permanence les quantités demandées, au risque de payer une amende qui peut être très lourde et figurer ainsi dans la fameuse liste noire de l'industrie de la distribution. Une autre aberration du secteur concerne les promotions sur les lieux de vente. En pratique, les magasins de distribution imposent généralement à leurs fournisseurs les périodes de promotions, mais étant donné que les marges en général sont assez faibles et que le magasin dit de grande distribution ne gagne que sur de grandes quantités, les managers commerciaux renégocient ainsi les prix d'achat avec les fournisseurs afin de pouvoir mettre en place leurs fameuses campagnes promotionnelles. Il va sans dire que le terme «imposé» est plus adéquat dans ce genre de situation. D'un autre côté, des mesures drastiques sont prises par les grandes et moyennes surfaces afin de garantir la qualité des produits offerts. Puisque, rappelons-le, le consommateur est le cœur battant de ces surfaces et Bill Gates n'a-t-il pas affirmé que «La meilleure des publicités est un client satisfait ?». En effet, la satisfaction du client prime avant tout pour ces magasins, et leur offrir les meilleurs services aux meilleurs prix et d'une qualité sans faille, est le leitmotiv de ces magasins. Un marché juteux pour les chefs de rayon En général, dans un magasin dit de grande distribution, le chef de rayon est maître à bord de son commerce. En effet, chaque rayon est considéré comme une entité à part. Les grands objectifs de cette unité sont établis par la Direction générale en concertation avec le chef de rayon qui, par la suite, gère selon ses propres règles son équipe et son rayon. On pourrait éventuellement conclure que le management pratiqué au sein de ces structures est plus ou moins un management par objectif qu'un management de moyens. Sous respect de certaines règles, le manager de commerce est libre d'agir selon ses convictions. Cette liberté peut d'ailleurs donner lieu à certaines pratiques malhonnêtes, peut-être, surtout s'il n'y a pas de contrôle en aval. En effet, certains emplacements privilégiés appelés têtes de gondoles constituent la cible, ou la proie de tous les fournisseurs, puisque ces emplacements incitent le plus souvent les consommateurs à acheter le produit en question, de par la facilité d'accès et la haute visibilité qu'offre cet emplacement. Du coup, c'est une guerre sans merci qui se crée entre fournisseurs et distributeurs, afin de se voir attribuer ces emplacements privilégiés. Le plus souvent, des moyens incitatifs sont mis en place afin de pousser les chefs de rayon, ou du moins les convaincre de mettre tel produit à la place d'un autre. Mais ce qui a été remarqué en pratique, c'est que le plus souvent ce sont les petites structures qui s'adonnent à ce genre de procédé. D'ailleurs, selon Myriam Ait Boutalab, ancien manager de commerce dans une enseigne de grande distribution, «ce ne sont pas les grandes entreprises qui essayent de verser des pots-de-vin pour mettre en avant leurs produits, avoir une TG, une promotion, mais c'est plutôt les petites entreprises qui ne sont capables de fournir ni la quantité ni la qualité nécessaires pour s'imposer sur le marché». Pour cette dernière, face à ce genre de pratiques, c'est la conscience professionnelle du manager en question qui entre en jeu. La grande distribution est un secteur qui renferme dans ses parcelles mille et un remous, très difficiles à cerner et à combattre en l'absence de réglementation claire. Dossier réalisé par L. Boumahrou & W. Mellouk