Les signes dune tension sociale imminente ne manquaient pas le mois écoulé. Le violent mémorandum adressé à la Primature par Mahjoub Benseddik, leader de lUMT et doyen des syndicalistes marocains, renseigne beaucoup sur le climat de la chose. Cest à propos de la loi organique de la grève que le premier différend majeur, après les accords du 3 avril 2003, a vu le jour. La restriction de lexercice du droit constitutionnel et inviolable quest là grève serait lesprit du projet de loi proposé. Il paraît que ce nest pas tout. Le communiqué de lUMT (Union Marocaine du Travail) laisse entendre un «non-respect par le gouvernement des engagements quil avait pris dans les accords du 30 avril 2003». Le mémorandum de lUMT a procédé à une analyse purement juridique du projet de loi. Sur ce point, le travail syndical paraît réaliser un saut qualitatif important. Le discours syndical paraît plus spécifique, plus clair et surtout plus réaliste. LUMT demande à la Primature de changer lesprit de la nouvelle loi. «Cest une menace à la fois pour les droits fondamentaux des travailleurs et pour la stabilité des relations professionnelles», constate le communiqué de la centrale syndicale. À vrai dire, «la loi organique de la grève», dans sa phase initiale, contiendrait quelques détails procéduraux lourds de conséquences. La dose pénale qui leur serait injectée finirait par «criminaliser» lexercice de la grève. Le législateur semble, sur ce point, vouloir à tout prix sauvegarder les notions «dordre public» et de «responsabilité» dans les situations des conflits sociaux. La série des interdictions que ce projet de loi suggère va effectivement dans ce sens. Cependant, à la lecture de larticle 9, on pourrait être amenés à atténuer nos propos. Ainsi, «il est interdit à lemployeur de prendre, personnellement ou au moyen dun tiers, des mesures de quelque nature que ce soit dans le but de faire échouer la grève». Autrement dit, lorsquelle est décrétée, la grève est protégée par la loi. La faire échouer, cest sexposer à des sanctions pécuniaires allant de 50.000 à 100.000 DH. Là où le mémo de lUMT est le plus virulent Larticle 10 du projet de la loi organique de la grève ajoute que «pendant la période de grève, lemployeur ne peut en aucun cas remplacer les salariés grévistes». Lévidence de la chose est pourtant lourde de conséquences dans la pratique. Avant de déclencher une grève, lemployeur doit être informé par un préavis d«au moins 10 jours ». Cest pendant cette durée, antérieure à lexercice de la grève, que les licenciements de salariés les plus «protestataires» sont souvent source de tensions. La pratique a démontré que dans la majorité des cas, les grévistes sont renvoyés de lentreprise durant cette période de préavis. Ce préavis fixé juridiquement à 10 jours est en fait plus long que cela. Cest durant la phase de négociations que les salariés menacent de faire grève. Ce préavis «verbal» permet aux patrons de prendre les mesures qui vont à lencontre de lesprit du droit du travail tout en respectant le formalisme requis. Lactuel projet de loi confirme cette ambiguïté en disposant dans son article 23 qu«il est interdit doccuper les lieux du travail pendant la durée de la grève si cela est de nature à porter atteinte à la liberté du travail». Sur ce point, le mémorandum de lUMT devient plus virulent. Cest à travers cet article que lamalgame entre «faute grave» et «exercice de la grève» devient évident. Selon le plus vieux syndicat du pays, «aucune analyse des causes des conflits du travail» na été traduite en textes juridiques applicables. Les atteintes au droit syndical, la non-application du SMIG dans le secteur textile, les cas de détournements de cotisations sociales des salariés, le licenciement sans faute, le droit au repos hebdomadaire, la rémunération des heures supplémentaire et bien dautres éléments, ont été ignorés par le projet de la loi. LUMT estime que la grève reste le dernier recours contre la violation de la législation du travail. Cependant, «une loi organique de la grève» ne pourrait jamais pallier les insuffisances du nouveau code. Ce dernier avait, en effet, déjà recueilli lunanimité des centrales syndicales. Considérée comme étant «révolutionnaire», son entrée en vigueur le 8 juin 2004 ne semble plus à la hauteur des espérances. Mais ce nest pas la vocation de la loi sur la grève. Celle-ci est censée organiser un cas extrême où les partenaires sociaux ne négocient plus. Légaliser un rapport de force ou linterdire nest pas une demande syndicale ou patronale. Il a fallu attendre 42 ans pour une loi organique Les accords du 30 avril 2003 ont entériné lexercice du droit constitutionnel de la grève. Cest sa procédure qui provoque la grogne actuelle des syndicats. Il faut préciser que la première Constitution du Royaume, celle de 1962, disposait dans son article 14 que «le droit de grève demeure garanti. ( ) Une loi organique ultérieure verra le jour». Cette loi organique a dû attendre 42 ans pour se trouver en phase de préparation ! Ce qui est frappant, cest que les raisons qui semblent avoir causé ce retard persistent encore. Le même climat de manque de confiance entre les partenaires sociaux sévit. LEtat est toujours perçu par les syndicats comme un «appareil idéologique et répressif de la classe dominante». Le vieux vocabulaire marxiste semble renaître de ses cendres. Lexercice sain et responsable de la grève attendra certainement la rentrée parlementaire pour que lon mesure ses chances de survie.