La prévention du risque d'endettement, le ralentissement des ventes de voitures et la dynamique des banques, expliquent la baisse du rythme de production des sociétés de crédit. Mostafa Melsa, Directeur délégué de l'Association professionnelle des sociétés de financement, décline les chantiers en cours. - Finances News Hebdo : Comment s'est comportée l'activité des sociétés de crédit en 2010 ? - Mostafa Melsa : L'évolution à deux chiffres qui existait dans le temps, on ne la voit plus. Les sociétés de crédit à la consommation, essentiellement, donnent du crédit direct non affecté et du crédit automobile. Ce sont là les deux pans de leurs activités. Et actuellement on assiste à une sorte de tassement du rythme de progression du crédit automobile. Les autres crédits connaissent un rythme moindre. On peut expliquer cela par l'évolution de toute l'activité économique, le crédit conso ne faisant qu'accompagner les acteurs, mais aussi, entre autres, par plus de vigilance de la part des sociétés de crédit. Elles sont plus regardantes vis-à-vis des demandes, notamment pour prévenir le surendettement des ménages. Une personne endettée représente un risque de non remboursement des créances, ce qui rend les sociétés de crédit plus vigilantes. D'ailleurs, avec BAM, plus précisément la Direction de la Supervision Bancaire, l'APSF a convenu d'une Directive rédigée conjointement et qui porte sur les différentes informations à demander aux clients et celles que doit contenir le dossier de demande de crédit, justement pour éviter le surendettement d'une part, et la fraude d'autre part. Car on a assisté depuis un certain temps à une recrudescence des fraudes, de personnes agissant individuellement ou même en réseau, notamment en obtenant des crédits avec des documents falsifiés ou de faux vrais documents. Face à cela, les sociétés de crédit sont donc plus vigilantes, ce qui peut expliquer la baisse du rythme de production des crédits. L'autre élément qu'on peut citer et qui peut expliquer cette évolution, est l'intérêt porté par les banques aux crédits à la consommation. - F. N. H. : Justement, des voix s'élèvent pour dénoncer cette concurrence des banques sur le segment du crédit à la consommation. Quel est votre avis sur cette question ? - M. M. : Il est important de faire un peu d'histoire. La première société de crédit à voir le jour au Maroc est Eqdom. L'Etat marocain l'a créée, à l'époque du décollage économique, pour permettre à ses fonctionnaires de financer leur équipement. A travers ce nouvel outil de financement, le fonctionnaire donne l'ordre à l'Etat, son employeur, d'effectuer des prélèvements sur son salaire au profit de la société de crédit pour l'achat d'un bien d'équipement. Par la suite, on a assisté à l'arrivée de plusieurs autres sociétés dans ce créneau et cela s'est malheureusement traduit par une espèce d'anarchie dans la mesure où un fonctionnaire pouvait contracter plusieurs crédits à la fois et parfois sans pouvoir les rembourser. Certains vendeurs se sont même mis à prêter de l'argent aux clients et monter de faux dossiers d'équipement. Tout un trafic s'est mis en place, ce qui a conduit toutes les sociétés de financement, sous l'égide de l'APSF, à orienter leurs crédits vers le crédit personnel et non plus le crédit affecté. Or, la banque sait donner de l'argent sous forme de crédit à un client, c'est son métier ! Elle se met de plus en plus à donner des crédits pour l'acquisition de voitures, de biens immobiliers. Elle propose par ailleurs des produits d'assurance, d'épargne pour attirer et fidéliser ses clients. Un chiffre peut résumer la situation actuelle : avant 2000, la part de marché du crédit de consommation, hors immobilier, était d'un tiers pour les banques et de deux tiers pour les sociétés de financement. Actuellement, nous sommes à 50/50. - F. N. H. : La réflexion en cours porte sur la concentration des acteurs pour former des mastodontes. Pensez-vous qu'à l'avenir certaines sociétés devront fusionner avec d'autres pour atteindre une masse critique et, par conséquent, mieux affronter l'avenir… ? Est-ce à l'ordre du jour ? - M. M. : A l'ordre du jour, en termes d'hypothèses de travail, je sais que BAM milite pour des rapprochements et des restructurations. Ceci étant, il ne faut pas oublier que le crédit à la consommation est un métier spécialisé. Une banque fait du crédit à la consommation mais pas de la même manière qu'une société de financement et même le risque n'est pas perçu de la même manière. Tout comme le leasing est différent du financement des biens d'équipement. Deuxième point à noter : qui dit métier, dit savoir-faire, culture… qui font que les «mariages» qui peuvent être faits peuvent réussir, comme ne pas réussir. Et encore moins des mariages où un grand absorbe un petit ! Vu de près, la branche compte une vingtaine de sociétés de financement dont une à Rabat qui octroie des crédits aux associations de micro-crédit. Il y a 7 à 8 grandes sociétés adossées à des banques ou à des institutionnels. Et les autres sont des sociétés de proximité à Laayoun, Fès… et proposent des produits de niche, notamment le crédit véhicules utilitaires, rendant ainsi un immense service aux agriculteurs et paysans. Ce sont des formules de financement de niche qui rendent un service avéré. BAM le sait et peut s'adapter et probablement fournir des agréments spécifiques à ce genre de société. Et je pense que cela devrait se faire dans la nouvelle Loi bancaire. - F. N. H. : Lors de la discussion du Code de protection du consommateur, les sociétés de financement ont été particulièrement gênées par l'article 91. Qu'en est-il aujourd'hui ? - M. M. : Je tiens à nous féliciter de l'avancée enregistrée notamment avec Mme Boucetta, ancien Directeur du Commerce intérieur. Cette dame savait ce qu'elle faisait et connaissait très bien le dossier pour y avoir beaucoup travaillé. Le fameux article 91, devenu 95, prévoit qu'en cas de litige entre le client et le fournisseur, concernant un bien, le juge peut suspendre le remboursement. Cette disposition ne peut s'accepter que dans le cas où la société de financement et le fournisseur appartiennent à un même groupe, exemple de Renault. Et encore … Par contre, ce qui nous gêne, aussi bien les banques que les sociétés de financement, c'est la suppression du billet à ordre. Mais dans l'ensemble, je dirais que les textes de loi sont en général gênants au départ parce qu'on les approche par rapport à l'existant, mais qui finissent tôt ou tard par montrer leur intérêt avec le temps. - F. N. H. : Quels sont les chantiers sur lesquels vous travaillez actuellement avec BAM ? - M. M. : Nous travaillons sur beaucoup de chantiers dont je peux citer les réglages à apporter au Credit Bureau. L'un des chantiers phares est la réforme de la Loi bancaire qui date de 93 et qui doit notamment inclure les développements du secteur, dont la nécessité d'octroi d'agrément pour les sociétés de niche. La comptabilité aussi est à l'ordre du jour. Vous savez, le plan comptable des sociétés de financement date de 2001 et il est beaucoup plus assimilé à la comptabilité bancaire. Nous faisons des métiers spécifiques d'où la nécessité d'avoir une comptabilité appropriée. Un autre chantier dans lequel nous sommes aidés par BAM est celui de la présentation des produits d'assurance au grand public. Le Code des assurances prévoit cela pour les banques et Barid Al-Maghrib, au lieu de prévoir tous les établissements de crédit. Cet oubli nous exclut donc et nous espérons aller vers une réparation rapide de cette omission. La même chose s'est produite auprès de la Direction générale des impôts qui avait prévu de radier les anciennes créances en souffrance finies du bilan des banques, et non pas des établissements de financement ou de crédit. J'espère qu'on rectifiera le tir rapidement. Avec la CMR et le Centre national de traitement, nous travaillons sur la révision des règles prudentielles pour mieux lutter contre le surendettement. Les dossiers seront traités au cas par cas pour ne pas jeter une catégorie de clients dans les bras des usuriers ! D'autres actions sont en cours et nous espérons les concrétiser très prochainement. Propos recueillis par Imane Bouhrara