L'institution de Imarat Almouminine n'a jamais été considérée comme neutre dans l'exercice du pouvoir. L'actuelle réforme consiste non seulement à diminuer les pouvoirs du Roi, mais de les préciser aussi. Au Maroc, il y a la ruse du «fakih», elle laisse tellement les textes vagues que cela brouille leur interprétation. Le point avec Mohamed Galaoui, professeur de sciences politiques à l'Université Hassan II de Casablanca. - Finances News Hebdo : Est-ce que vous pensez que le discours royal du 9 mars annonce la fin de la monarchie constitutionnelle au profit d'une monarchie parlementaire, ou s'agit-il plutôt d'un système hybride ? - Mohamed Galaoui : Il faut faire la différence entre monarchie constitutionnelle et monarchie parlementaire. La différence a plutôt trait à l'histoire propre des pays qu'à la nature elle-même du régime. Une monarchie constitutionnelle est une monarchie qui vise à limiter les pouvoirs du Roi. Cela s'est produit notamment dans les pays européens qui ont actuellement un régime présidentiel. La monarchie parlementaire a été beaucoup plus rattachée à la monarchie, la Grande-Bretagne n'ayant pas au départ une constitution écrite, la meilleure façon de limiter les pouvoirs qui n'existaient pas sur papier, était d'effacer les pouvoirs du Roi. Dans une monarchie constitutionnelle, les pouvoirs du Roi sont limités, alors que dans une monarchie constitutionnelle, les pouvoirs sont neutralisés. Autrement dit, le Roi règne mais ne gouverne pas. S'agissant du Maroc, aussi bien sa culture, sa composante sociologique que le niveau d'instruction politique de sa population, ne correspondent pas totalement à cette évolution. D'autant plus que nous avons une institution qui a marqué l'histoire du pays en tant qu'Etat arabo-musulman, comme le «Commandeur des croyants», Imarat Almouminine, qui est une institution qui n'a jamais été considérée comme neutre dans l'exercice du pouvoir. Au niveau d'Amir Al Mouminine, il n'y a pas de séparation de pouvoirs, c'est une institution qui symbolise l'exercice du pouvoir. Au départ, le but de la Constitution était d'immuniser le Roi contre les idéologies matérialistes et de stabiliser le régime. L'actuelle réforme consiste non seulement à diminuer les pouvoirs du Roi, mais de les préciser aussi. Mais parler d'une monarchie parlementaire suppose une certaine culture à l'occidentale avec une séparation de l'Etat et du religieux. - F. N. H. : Mais selon des spécialistes, la Constitution actuelle du Maroc est au point, c'est plutôt la bonne pratique démocratique qui lui fait défaut… Est-ce le même problème qui va se poser pour la future Constitution ? - M G. : Effectivement, elle est démocratique au niveau de sa lettre. Mais ça n'empêche que cette Constitution dote le Roi de pouvoirs assez importants. Il faut souligner qu'au Maroc il y a la ruse du «fakih», elle laisse tellement les textes vagues que cela brouille leur interprétation et cela est plus lié à la pratique qu'à autre chose. - F. N. H. : Il y a aussi la question de la sacralité et de la légitimité religieuses qui reste un sujet très controversé… - M G. : Même en Grande-Bretagne, la Reine tire sa légitimité de la religion puisqu'elle est le chef de l'Eglise anglicane. Mais dans ce pays, il n'y a pas de confusion entre la religion et l'Etat. Au Maroc, le Roi incarne l'image de l'Etat, les jugements sont prononcés en son nom. Il préside plusieurs conseils, le pouvoir religieux est mêlé au pouvoir politique. Si vous lisez, l'argumentation donnée par Hassan II pour obliger les Usfpéistes à retourner au Parlement, c'est l'application de l'article 19 : «Tous ceux qui ne sont pas d'accord avec nous, ne font pas partie de la Nation». Donc, tous ceux qui appellent à une démocratie à l'occidentale seront évacués du champ. Dans l'article 19 qui est le plus critiqué, c'est la même mouture qu'on trouve dans la Constitution française ou espagnole où le Président ou le Roi est le garant de la pérennité de la Nation et son défenseur à l'international. Pour ceux qui demandent une monarchie parlementaire, savent-ils ce que cela signifie ? On évoquait toujours certains sujets comme la sécurité nationale, le Sahara. En fin de compte, on a fini par bloquer tout le système. Un parti doit avoir de l'audace, de la volonté. Il doit bien encadrer la population. Les derniers événements ont montré que les partis sont en déphasage avec la réalité et n'arrivent pas à suivre les évolutions, surtout des jeunes. Ils n'ont pas encore saisi le sens de l'évolution technologique et médiatique. Outre les partis, l'élite intellectuelle est aussi responsable de ce blocage. Tout le monde cherche la vie facile. Même avec ces réformes les mauvaises habitudes devraient persister, il y aura toujours des moyens pour détourner les élections. - F. N. H. : Pensez-vous que la balle est maintenant dans le camp des partis politiques, de la société civile pour assurer une bonne pratique démocratique. Car la démocratie a besoin de démocrates ? - M G. : C'est l'objet de la réforme. Il faut comprendre qu'on a plusieurs composantes, les partis politiques ont un travail très dur qui les attend. Pour donner un exemple, ils doivent commencer à nettoyer la maison et être à la hauteur de ces bouleversements. Ils doivent sortir de cette habitude du fatalisme. Ils se sont engouffrés dans le prestige du pouvoir et se sont contentés de cette vie monotone et attendent à chaque fois l'intervention du Roi pour bouger. Ce n'est donc pas le rôle des partis politiques et cela, quelles que soient les raisons. - F. N. H. : Avec les réformes envisagées, les partis ne sont-ils pas tenus de changer cette image de formations de personnes, plutôt que d'idéologie ou de programmes ? - M G. : On a tellement été habitués à des figures à la tête de ces partis qu'on commence à confondre les formations et les personnes. Les initiatives de renouvellement restent limitées. Certains partis n'ont pas su capitaliser sur leur historique. - F. N. H. : Est-ce que le transfert du pouvoir exécutif des walis et des gouverneurs vers les présidents des régions est le prélude à l'enterrement du Makhzen ? - M G. : Le plus important de cette évolution c'est que tous les élus ne vont plus avancer, que c'est la tutelle, à savoir l'Intérieur qui bloque ou qui empêche de travailler. Il n'y aura plus de prérogatives détournées. Et ça c'est une bonne chose, on va pouvoir juger véritablement dans le sens d'une démocratie réelle. Si on applique à la lettre la réforme, à la fin de chaque mandat, il y aura un contrôle pour assurer la bonne gouvernance. Propos recueillis par Charaf Jaidani