Les risques générés par l'évolution et l'instabilité du contexte géopolitique peuvent être anticipés par la veille commerciale, l'analyse géopolitique et l'intelligence économique. Objet du deuxième Colloque international de l'ESCA, la géopolitique et l'anticipation du risque pour l'entreprise a regroupé un nombre importants d'experts sur la question. Détails. L'ESCA, Ecole de Management, a organisé la deuxième édition de son Colloque international sous le thème «Géopolitique, risque et anticipation : quels enjeux pour l'entreprise ?». Cette rencontre qui a connu la participation d'experts d'ici et d'ailleurs, a été l'occasion de mettre en lumière l'importance pour une entreprise de pouvoir anticiper à son environnement direct. Pour Mohamed Berrada, professeur d'économie à l'Université Hassan II et ancien ministre des Finances, gouverner c'est prévoir. C'est là la première responsabilité d'un chef d'entreprise ou d'un leader. Une mission assez délicate dans un environnement globalisé et concurrentiel sur fond de bouleversement social. En effet, le monde est devenu très complexe. Une complexité que Mohamed Berrada explique par trois facteurs en croissance et qui sont à prendre en considération. Le premier est la mondialisation des échanges qui a motivé l'interdépendance entre pays. La concurrence qui se faisait autrefois de loin, est de plus en plus proche et féroce. Et l'entreprise se retrouve seule face à cet environnement concurrentiel. Le deuxième facteur qui rend l'environnement de l'entreprise de plus en plus complexe et incertain est l'intégrisme. Non pas celui d'une religion mais celui des marchés financiers. «Ces marchés ont participé à la largesse des crédits durant les 30 dernières années pour tirer la consommation qui, à son tour, a joué un rôle moteur dans la croissance mondiale. Cette croissance a creusé les écarts ce qui a rendu les marchés plus forts et plus hégémoniques. On fait désormais la finance pour la finance et non comme moyen de politique économique», souligne Mohamed Berrada. Désormais, le comportement des marchés, allant à l'encontre des théories économiques, a accentué la complexité du monde où nous vivons. «La première victime de ce pouvoir déstabilisant des marchés est l'entreprise, par conséquent ses salariés. On compte ainsi 50 millions de chômeurs par an depuis l'éclatement de la crise… C'est désormais la politique de chacun pour soi qui prévaut aujourd'hui», ajoute Mohamed Berrada. Pour lui, les pays avancés mènent des politiques asymétriques s'efforçant de réduire le déficit en baissant les dépenses et en augmentant les recettes… ce qui se traduit par un ralentissement de la croissance. Autant dire un cercle vicieux dont il est difficile de sortir. Comme troisième facteur d'accentuation de la complexité de l'environnement de l'entreprise, le professeur Berrada cite la prééminence des services. Il ne se contente pas de dresser un tableau de la situation mais avance également des solutions pour doter l'entreprise d'une capacité d'anticipation des différents risques auxquels elle doit faire face. L'une des solutions évoquées est l'intelligence économique qui est à même de permettre à l'entreprise de préserver ses avantages compétitifs sur un marché donné. «L'intelligence économique est un enjeu stratégique pour l'entreprise. Elle est la clé qui ouvre la voie vers l'innovation. Malheureusement, au Maroc, il n'y a pas de démarche dans ce sens mais uniquement des expériences localisées. Or, il faut enseigner l'intelligence économique dans les universités ainsi que l'analyse des incertitudes en économie», propose Berrada. On évoque également l'intelligence territoriale et la veille commerciale comme facteurs dans l'activation d'une information utile pour l'entreprise. «Celui qui détient l'information a le pouvoir, d'où l'importance du knowledge management et le lobbying…», soutient l'ancien ministre des Finances. L'autre piste de réflexion développée par M. Berrada est celle du développement d'approches globales et non segmentées. Comme le disait Edgar Morin, il faut toujours connaître les éléments dans l'ensemble. L'un des messages forts évoqué par Berrada est qu'au centre de tout il y a l'humain. «La véritable crise est celle des valeurs ! L'homme qui était la finalité de la croissance en est devenu l'objet !», conclut-il en appelant à plus de solidarité, plus de développement et moins d'obsession par la croissance et le chiffre. Pour Pascal Gauchon, président de l'Association d'Etudes Géopolitiques, le risque géopolitique a tendance à augmenter. «Nous ne sommes pas à l'époque des deux blocs USA/ URSS ! Nous sommes désormais à l'ère de la multipolarité des acteurs où les rapports de force changent de manière permanente. Ajoutez à cela la porosité des frontières, conséquence de la libéralisation des échanges, et la prédominance des marchés financiers. Ce sont là autant de facteurs qui impactent l'entreprise. Parce que cette dernière est de plus en plus globalisée, donc tout ce qui se passe dans le monde l'impacte», explique P. Gauchon. Pour s'en sortir, les entreprises doivent analyser sur le long terme. Et l'analyse géopolitique est de ce fait indispensable pour anticiper le risque. Le deuxième axe du colloque portait sur la problématique de la prise en compte du paramètre politique dans la pratique des affaires et dans les prises de décision internationales. Pour Samir Belrhandoura, Directeur général du Moroccan Infrastructure Fund, il y a des risques géopolitiques qui attendent les opérateurs et les entreprises marocains dans leur conquête des marchés ouest-africains. Mais, vu l`évolution des échanges et des implantations marocaines en Afrique de l'Ouest, des opportunités certaines sont à saisir sur ces marchés en développant une meilleure logistique et des moyens appropriés de financement et d'assurance. Mais également en prévoyant une bonne analyse géopolitique pour anticiper tout risque inhérent à ces investissements en Afrique. Chose que confirme Bouchra Rahmouni Benhida, professeur à l'ESCA, école de Management, qui a traité de l'investissement direct marocain dans les pays africains du sud du Maroc. D`après elle, le risque géopolitique résidait dans l'isolement diplomatique du Maroc après sa sortie de l'OUA en 1984. Ce qui a eu pour conséquence le délaissement de cette partie de l'Afrique par les investisseurs marocains. Elle a montré, chiffre à l'appui, que depuis 1999 et grâce au renforcement de la diplomatie et de la proximité culturelle, le Maroc a pu accéder a un positionnement économique faisant de lui le leader dans la région. Pour conclure ces interventions très pertinentes, il est important que les risques ne doivent pas être des obstacles au développement d'une entreprise. Puisque l'un des moyens pour faire face à ces risques générés par l'évolution et l'instabilité du contexte géopolitique, serait l'anticipation qui reposerait sur la veille et l'intelligence économique. Ce sont là des outils qui permettent à l'entreprise d'anticiper et non pas uniquement de réagir après coup !