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Cinéma marocain:SUR DAOUD OULAD SAYED

Marrakech, la ville ocre, a toujours donné des hommes de qualité dans différents expressions artistiques, que ce soit dans le champ de la littérature ou dans les arts audiovisuels, entre autre le cinéma. Daoud Oulad Saïd en fait partie.
De l'image fixe à l'image mouvante, il y a un pas ou un « mouvement », Oulad Saïd l'avait franchi. Il était, il est peut-être encore, un photographe (il a fait éditer Marocains, en 1989 ; Boujaâd, Espace et mémoire, en 1996 ; et Territoires de l'instant, avec Ahmed Bouanani, en 2000.) avant de devenir cinéaste. Le franchissement de ce pas, ce « mouvement », Daoud l'a si bien expliqué :
“Alors que je préparais mon doctorat, je me suis rendu à une exposition de photographies et j'étais conquis par la magie de l'image. C'est là où j'ai décidé de m'adonner à la photo à titre personnel pour mémoriser des moments avec la famille et les amis. Et quand j'ai montré mes premières photos au directeur de l'Ecole supérieure du cinéma de Paris, il y a trouvé un côté cinématographique, une certaine profondeur que je n'avais pas décelée. Après, il m'a invité à suivre une formation dans un atelier à Paris et c'était le point de départ”.

Derrière le cinéaste, il y a toujours le photographe tapit dans coin supervisant les travaux du metteur en scène. D'ailleurs, dans sa conception de la mise en scène en particulier, du cinéma, en général, le septième art :
« C'est à la fois l'écriture et l'image. Dans le cinéma, quelqu'un qui vient du monde de l'image est un peu comme quelqu'un qui sait déjà écrire, c'est-à-dire qui a le sens grammatical des mots. »

D'une main, il tient l'appareil photographique, de l'autre, il tient la caméra. Un bon photographe est quelqu'un qui maîtrise la lumière, la composition et le cadrage. C'est quelqu'un de passionné, de patient, de sensible, de curieux, de simple et d'original. Je pense qu'en regardant ses films, on ne peut que constater la présence de ces qualité.
Comme dans ses photographies, Daoud tente de raconter l'histoire de « cas humains » et non pas de « personnes ou personnages particuliers ».
Il disait, d'ailleurs, « je n'ai jamais eu l'idée de bâtir mon film autour d'une star que le public viendrait voir ». il ne bâtit pas ses films autour d'une star, mais autour d'une thématique endossée pas « des petits gens » ordinaires, mais profondément sincères et authentiques. Il n'essaie pas d'attirer le spectateur en leur « vendant » l'image d'une star : « il n'y a pas de stars dans mes films, dit-il, parce que je n'ai jamais eu l'idée de bâtir mon film autour d'une star que le public viendrait voir. »
Il a voulu que ses films développent des « cas humains » appartenant à un milieu socio culturel déterminé aux valeurs culturels définies. En effet, le cinéma c'est « la vie » dit Oulad Saïd et l'homme doit en être passionné, épris. Il veut que ses films racontent les choses autrement, différemment, avec un regard original et personnel.
Ces personnages, il les trouve dans les couches sociales populaires, défavorisées, ordinaires, et comme Mohammed Chouika l'a si bien exprimé dans son livre Les métaphores de l'image: lecture dans l'expérience cinématographique de Daoud Ouled Essayad (essai, Marrakech 2011) :
« Dans ses films, Daoud Oulad Saïd ne s'est jamais attaqué eux hautes sphères de la société marocaine. Ses personnages appartiennent aux couches sociales populaires. Son monde cinématographique ; il le crée à travers ces personnages. Pour Daoud, le divertissement cinématographique dissout les différences et les frontières socioculturelles. »

D'une manière ou d'une autre, c'est pratiquement par la suggestion, l'allusion, la nuance que les choses de la vie quotidienne, le champ spirituel, l'univers traditionnel sont représentés, donnés à voir, traités. Il surprend par l'originalité du sujet, le « surréalisme » du propos. Il a su de cette manière (sa manière à lui) à éviter les thématiques à la mode comme l'immigration clandestine, la femme, le terrorisme, les années de plomb…
Les films de Daoud Oulad Sayed tente, dans une démarche proche de Socrate, de poser les « bonnes questions» parce que, selon lui, ce n'est pas à l'artiste d'apporter des réponses…
Daoud Oulad Sayed est d'abord un scientifique (Il termine un doctorat en sciences physiques à Nancy, puis enseigne à la Faculté des Sciences de Rabat). Sa carrière cinématographique débute en 1989 avec Mémoire ocre. Ce film retrace l'itinéraire d'enfance du réalisateur à travers la ville de Marrakech. C'est un film réalisé avec l'appareil photographique du metteur en scène. En 1993, il récidive avec le court métrage Entre l'absence et l'oubli. Il y est question de photographie :
« Un potier achète un jour un vieux cadre afin d'y placer des photos de famille. Mais le marchand ne le lui cède qu'avec la photo qu'il contient, celle d'un inconnu. Le potier se met à la recherche de l'inconnu afin de lui rendre sa photographie. »
Cependant, sa vraie carrière cinématographique va débuter avec le film Adieu forain :
« Dans le sud du Maroc, Kacem, forain et propriétaire d'un stand de loterie ambulant, engage Rabi, jeune danseur travesti, pour sillonner les villages durement touchés par la sécheresse. Trois histoires se mêlent au fil des routes et des haltes dans les villages: celle de Rabii qui rêve d'un ailleurs plus clément; celle de Kacem, malade, qui fuit un passé sombre qu'il n'arrive pas à oublier; enfin, celle de son fils, Larbi, ex-boxeur, ex-taulard, personnage violent et mythomane. »

Adieu Forain, est l'histoire de trois destins. Trois personnes aux destinées mêlées, entremêlées : Kacem est un forain qui possède un stand de loterie ambulante. Il va engager le jeune Rabii qui est danseur travesti. Ce dernier a un fils, Larbi, qui n'a aucune connaissance de sa vraie identité.
« Ce premier long métrage de l'écrivain, photographe et documentariste Daoud Oulad Essayad ne ressemble guère au cinéma arabe. Il échappe à sa propension naturelle ­ y compris chez les plus grands, comme Chahine ­ à sursignifier, à plonger systématiquement dans l'épique et l'allégorique. Ici, pas de métadiscours. Adieu forain n'est pas une fable. Alors certains seront sans doute déroutés par l'aspect dépouillé de ce récit qui n'en est pas réellement un. C'est plutôt une juxtaposition de trois destins parallèles et inconciliables : Rabii, un jeune danseur travesti ; Kacem, vieil homme bourru qui engage le danseur pour égayer sa loterie itinérante ; et le misanthrope Larbi, fils de Kacem, qui travaille avec son père en l'ignorant. »

Les trois personnages vont sillonner le Sud marocain, le désert en proie au manque d'eau, à la sécheresse. Cette petite « entreprise » foraine va devenir l'unique moyen de divertissement et d'attraction pour les habitants des villages visités.
En effet, les jours dans ces villages se suivent et se ressemblent : aujourd'hui n'est pas différent d'hier et demain sera le même qu'aujourd'hui. C'est une vie où hier et demain n'existent pratiquement pas. C'est un enchainement de journées monotones et ennuyeuses sans pluie et sans histoires à tel point que les habitants se demandent sans cesse ce qu'il y a à faire. On y meurt d'ennui.
Kacem le forain vient bouleverser cet état de chose. Il introduit du nouveau, de l'inhabituel, de l'exceptionnel. Les trois personnages « atypique » vont bouleverser les normes, l'habituel et les conventions.
« Le spectacle de Kacem vient dynamiter les normes et les cadres, notamment par l'intermédiaire de Rabii. Si la majorité des personnages sont intéressants, la caméra reste un peu trop à l'écart, sans exposer de manière claire leurs volontés et leurs déterminations, ne rentrant pas dans l'intimité de Rabii, personnage d'autant plus atypique qu'on aurait envie de le découvrir plus. Néanmoins, le film parle mieux que n'importe quelle œuvre de l'ennui, jamais d'une manière misérabiliste, mais avec une distance quasi anthropologique qui laisse augurer un des prémices du renouvellement du cinéma marocain, avec l'envie de s'en sortir, envers et contre tout, que ce soit les conditions climatiques, sociales ou cinématographiques. »

C'est un film qui montre, raconte, l'ennui, la solitude, la recherche du soi dans l'ailleurs que ce soit un ailleurs spatial ou temporel. Il raconte également l'autre Maroc, le Maroc de l'envers du décor, de l'envers de la carte postale, la face improductive et infructueuse du Maroc : un univers de monotonie, de grisaille mais que l'esthétique cinématographique rehausse au niveau d'un drame plain de dignité humaine.
Le film à la manière d'un docu-fiction raconte avec une nostalgie sèche la fin d'une époque celle des forains qui faisaient jadis la joie des hommes, des femmes et des enfants. Les trois personnages essaient tant bien que mal de faire perdurer un métier, une tradition mais ce n'est qu'une illusion qui allait vite se transformer en désillusion. Les trois personnages, eux aussi, sont au terme de leur existence ou de leur vie professionnelle: Rabii est un travesti, le dernier de son espèce ; Larbi est un homme brisé par, entre autres, la prison ; Kacem, malade, est moribond. C'est la fin d'une époque :
« La terre est sèche et les populations du sud n'ont plus envie de consacrer leur temps aux amuseurs. Adieu Forain, docu-fiction bourré d'émotion et silencieux comme le monde qu'il décrit, est aussi un témoignage sur une culture qui s'en va progressivement… La foire ne rapporte plus, et les amuseurs passent inaperçus, au milieu d'un monde qui, jadis, les avait adulés. Les temps ont changé et la nature n'est plus généreuse. La sécheresse a atteint une terre où les animateurs des fêtes foraines - de l'acrobate aux charmeurs de serpents en passant par les musiciens ambulants - ont toujours fait partie intégrante de la culture. Mais cette terre de “Halqa” (théâtre populaires) n'est plus la même. »

Adieu Forain, c'est aussi un émouvant hommage rendu par le réalisateur aux forains qui, naguère, égayaient par leur numéro la vie en manque de divertissements des villageois. Comme le dit Daoud Oulad Sayed, le film est en quelque sorte un double hommage rendu à la fois aux forains (musiciens, danseurs, conteurs, fabulateurs, dresseurs, jongleurs, saltimbanques et troubadours) et aux travestis remplacés par les femmes qui n'hésitent plus (émancipation et évolution obligent) à monter sur les tréteaux.
Dès ce premier film, nous sentons une certaine prédilection de la part du réalisateur vers le patrimoine culturel populaire. Cela se poursuivra dans son second film, Le cheval du vent. Le film raconte l'histoire de :
« Tahar, un vieil homme désabusé, vit chez son fils avec qui la communication est difficile. Il nourrit un rêve, celui de retourner sur la tombe de sa femme à l'autre bout du Maroc. Il va finalement se lancer dans un tel périple et rencontre au début de son voyage un jeune, Driss. Deux hommes partagent alors un bout de chemin avec un but précis : se rendre sur la tombe de sa femme pour le «vieux», retrouver sa mère, pour le «jeune». Telle est la trame du dernier long métrage de Daoud Oulad Sayed, «Le cheval de vent». Présenté comme une comédie dramatique, ce film n'en parcourt pas moins de nombreux registres cinématographiques allant du burlesque au fantastique, en passant par la poésie. »

C'est aussi un film de quête et de rencontre. Mais c'est également un film qui s'attaque à la structure familiale marocaine qui petit à petit se désagrège d'une manière inéluctable pour perdre sa composition traditionnelle. Une famille qui s'achemine fatalement vers une structure moderne nucléarisée.
« Avec Adieu forain, un premier film pénétrant sur l'extinction du métier d'amuseur public, Daoud Oulad Sayed ranimait soudain la flamme du cinéma de son pays. Aux antipodes des kits chéries arabisantes, son style élégant et dépouillé s'imposait d'emblée. Le voici qui fait mouche à nouveau, creusant toujours un genre peu prisé au Maghreb : le road-movie. Après avoir suivi le voyage en estafette de trois paumés dans Adieu forain, il s'agrippe cette fois au side-car vert de deux voyageurs de fortune que tout sépare. »

Par ailleurs, Le cheval du vent est en quelque sorte un « road-movie » qui raconte le « double » voyage initiatique de deux personnages. Le film présente, représente, comme ce sera le cas dans tous le film de Daoud, un éventail de personnages différents les uns des autres, peignant des cas humains d'une grande sensibilité.
Il y a Tahar, maréchal-ferrant à la retraite, l'allure et l'aspect d'un « vieux sage », le regard fatigué et taciturne, mais non moins pénétrant, la barbe blanchie par le poids des années. Il décide, en conséquence à des rêves où il voit sa femme l'appeler, de traverser le pays pour aller sur sa tombe. Sur la route Tahar rencontre Driss, jeune et bavard, qui, lui, doit se rendre au chevet de sa mère moribonde. Il faut dire qu'il n'a pas vu sa mère depuis son enfance.
Leur destination, en fin de compte, est la même, même s'elle reste inavouée : la mort. Une femme déjà morte et une mère qui va bientôt l'être. Les deux hommes font le chemin ensemble. Parole tournée vers l'avenir à construire pour le jeune Driss, tournée vers le passé et les souvenir pour le vieux Tahar.
Les choses sont filmées comme elles sont, c'est-à-dire faisant partie intégrante du récit. Elles ne sont pas là pour faire beau, pour donner une couleur folklorique aux images. Elles sont dans une relation dialectique avec les personnages, leurs soucis, leurs préoccupations, leurs émotions. C'est sans doute pour cela, que le réalisateur a utilisé le grand angle pour filmer l'espace et son décor.
« D'une pudeur extrême, Le Cheval de vent est un film souple, parfois distendu, mais le plus souvent ondoyant, sur ces nœuds qui se délient, mais qu'on n'arrive pas à trancher. Le side-car symbolise à merveille cette séparation impossible, cette peur de la solitude. Cinéaste talentueux et obstiné, Daoud Oulad Sayed, lui, n'a pas peur de faire cavalier seul dans le cinéma marocain. »

Comme dans le premier film, il est question de temps et d'espace, de mort aussi. Le temps semble durer jusqu'à l'infini permettant à un espace de s'étaler, de présenter ces différents facettes, dans lequel les deux personnages -l'un qui a sa vie derrière lui et l'autre malade du poumon – ont l'illusion d'avancer. Cela est donné à voir, montré sans que le film n'ennuie ou ne donne l'impression de trop s'appesantir comme si la lenteur du temps est en quelque sorte contrebalancée par les modes de transport des deux personnages.
« Le Cheval de vent n'est pourtant pas un film qui donne un sentiment de lenteur, sans doute en raison de la mobilité des personnages, de leurs multiples modes de locomotion : le car, la marche à pied, la charrette à cheval, l'auto, ou le side-car avec lequel ils effectuent l'essentiel du trajet. Au lieu de s'appesantir ou d'employer l'artifice du fondu enchaîné, on fait avancer le film à coups d'ellipses discrètes. Les zinzins de la techno n'y trouveront pas les bpm (battement par minute, couramment abrégé par le siglebpm, est une unité de mesureutilisée pour exprimer le tempode la musiqueou le rythme cardiaque, quantifié par le nombre de battements se produisant en une minute.)réglementaires, précisément parce qu'au lieu d'étourdir les sens (d'aveugler), Oulad Sayed épouse le rythme du monde qu'il balaie doucement avec sa caméra évasive. Cela s'appelle la grâce. »

Ce deuxième film confirme ce qui a été esquissé dans le premier film de Daoud, la présence de cette espèce « exquise de pudeur ». C'est sans pédantisme, sans vanité et sans fanfaronnade, que Daoud montre, représente, donne à voir « une sensibilité délicate ». Comme l'on dit chez nous, « le meilleur des choses, est le centre ou le milieu », ni trop ni pas assez, juste ce qu'il faut. C'est peut-être la nature ou la caractéristique des « anciens Marrakechis » qui n'aime pas beaucoup l'exubérance et l'excès. Cela est peut-être dû à l'esprit sophiste de la ville.
«Dans son propos comme dans ses effets Oulad Sayed privilégie perpétuellement les demi-teintes. Pas de noirceur trop franche, pas de luminosité artificielle : le film suit les contrastes ambigus de la vie réelle. Des perspectives d'espoir et de douceur s'ouvrent aux quatre coins du film, mais le vrai happy end n'arrive jamais. L'histoire commence et finit plutôt mal, ce sont des choses qui arrivent, I ‘important reste ce qui se passe entre le point de départ et le point d'arrivée. Les petits moments précieux, la densité des temps morts. Dès lors, la leçon de vie didactique du récit initiatique traditionnel ou la violence pédagogique du drame social sont ici totalement hors de propos. Essentiellement contemplatif, Le cheval ne sombre pour autant ni dans le raffinement précieux, ni dans le spiritualisme grandiloquent. On sent un regard exact posé sur les choses. Une sincérité incontestable. Et même si certains mouvements de caméra peuvent paraître quelque peu répétitifs et scolaires, la mise en images est d'une élégance simple, s'accordant de façon évidente et tranquille avec le ton posé du discours. »

Daoud ne cesse d'envoyer des messages humains à travers ses films. Certains de ces messages, comme l'a si bien dit Mohammed Chouika, sont d'ordre universels dont les hommes modernes ont besoin, surtout, à un moment de la vie où les grandes valeurs sont en voie de disparition sous les coups de butoir du progrès technologique. C'est aussi cela, qui pousse Oulad Sayed à opter pour des espaces et des décors dépouillés, sans fioriture ni ostentation laissant derrière lui le monde compliqué et complexe de la ville moderne. Il a choisi de tourner le dos au monde moderne avec tout ce qu'il apporté de froideur, d'indifférence, de platitude et de nivellement.
Dans le troisième film de Daoud, c'est aussi une question de voyage, de départ :
« Miriam, 28 ans, arrive dans un village du Nord avec seulement une petite valise et une adresse dans la poche. Elle veut aller en Espagne. Elle rencontre alors Nouh, un garçon de 8 ans qui lui conseille de s'adresser Ricky, un passeur qui pourrait l'aider. »

Le film est une adaptation, chose toujours rare au cinéma marocain, du roman Hachich de Youssef Fadel. Ici aussi, il est question de rencontre entre plusieurs personnages tout aussi différents les uns des autres, et vivant dans des mondes divers et différents. Des relations vont se tisser entre ces personnages.
Tarfaya est plutôt un regard satirique jeté sur un certain nombre de personnages plus ou moins dissimulés, fourbes et sournois allant parfois jusqu'à l'hypocrisie. Cependant, ce regard reste en quelque sorte nuancé. En effet, certains de ces personnages plus pou moins négatifs peuvent transcender leur condition et être capables de sentiment qui les élève au rang d'être humain. Hassan vole Miriam, mais il finit par en tomber amoureux allant jusqu'à vouloir l'aider ; Nouh qui symbolise l'attachement à la terre, à la mère-patrie ; le chef de la gendarmerie qui retrouve son humanité en décidant de brûler une partie de son archive…
L'immigration est l'un des thèmes abordés dans le film. Mais, je pense que ce thème n'est en quelque sorte qu'un prétexte ou une toile de fond pour s'attaquer à d'autres sujets tout aussi dramatiques. Il y a l'attente : Tarfaya est une sorte d'antichambre de l'enfer où du paradis ; c'est aussi un lieu de passage, de passage et d'attente. Comme dans En attendant Godot de Samuel Beckett, les personnages attendent dans un décor, un espace dépouillé, uniforme, voire monotone. Ils attendent que quelque chose se passe, que quelque chose bouge.
« L'attentedoitêtredéfinieétymologiquement,nonseulement commeunerelationentreunsujetetuneréalitémais,plusfondamentalementencore, commeunmouvementdetensionportantlesujetversl'objet,ceversquoi"tend"lesujet ensituationexpectativecorrespondantàl'objetdesonattention("adtentio").C'estdire combien,d'aprèsl'étymologiedumot,l'attentesetrouvedéfiniecommeunefocalisation quimobiliseetdirigel'observationdusujetversuneréalitéquiattiresonattention. » (Jean-PaulTOURREL, Attentedéçueetcombledel'attente: enjeuxesthétiquesetculturelsdelafiction gracquienne, ThèsededoctoratdeLettresetartsPrésentéeetsoutenuepubliquementle14juin2007).

Proust écrit dans Sodome et Gomorrhe : « Dans l'attente, on souffre dans l'absence de ce qu'on désire et du fait qu'on ne peut supporter une autre présence. » (p. 729). Selon Heidegger, toute attente possède une dimension et une signification existentielle. L'être est sans cesse tourné vers l'ailleurs, vers ce quelque chose que l'on désire, que l'on veut et qui est absent. Miriam attend ce qu'elle croit connaître (un ailleurs meilleur). Elle se projette dans cet espace autre et croit le connaitre car elle espère qu'elle va changer non pas la vie, mais sa vie. Cependant ce qu'elle désire le plus c'est partir : le départ en lui-même constitue son objet de désir. Elle attend juste de partir peu importe la destination … Miriam attend de ce départ qu'il sauve sa vie au sens existentiel. Elle espère partir pour peut- être récupérer son être en enterrant dans l'espace de l'attente son passé.
Cependant, dans le film cet objet d'attente tarde à venir, ce qui mène Miriam à l'exaspération, au mécontentement, à l'agacement et au déplaisir… dès lors le réalisateur met « l'accentestmissurlelapsdetempsplusoumoinsgrandpendantlequeltouteactionou décisionestsuspendue". L'attentedevient,dèslors,unesortededélaioudesursis … » (Idem).
Entre l'ici (désespérant, monotone, sombre - au sens effectif du mot – et ennuyeux) et l'ailleurs tant espéré, il y a un obstacle immense, la mer. La mer qui tue…
L'immensité du désert, les dunes, le sable constituent cet espace de l'attente. Cette immensité exprime mieux le vide, le manque que creuse l'attente. Les personnages des films de Daoud sont non seulement soumis au temps (car l'on ne peut s'en extraire), mais également à l'espace.
Le quatrième film de Daoud, parle aussi de l'attente. En attendant Pasolini est un film de l'attente. Ce film peut s'apprêter mieux à une comparaison avec la pièce En attendant Godot. Le village attend absurdement la venue de quelqu'un qui existe vraiment, mais dont la venue est improbable, pratiquement impossible…
« Thami, est réparateur, et figurant dans les films étrangers tournés dans son village, non loin de Ouarzazate. Sur le tournage du film Œdipe roi en 1966, il avait rencontré Pasolini avec lequel il était devenu ami. De nos jours, une équipe d'Italiens vient à Ouarzazate préparer le tournage d'un film sur la Bible. Thami pense que Pasolini est revenu avec l'équipe. Daoudi, ancien figurant et ami de Thami travaille lui aussi comme figurant sur le film. Daoudi apprend à Thami que Pasolini est mort depuis longtemps, mais ce dernier ne le croit pas et pense que son ami est toujours vivant. La présence du cinéaste est partout, et nulle part en même temps, car elle appartient à l'imaginaire de Thami : le style de Daoud Aoulad-Syad se construit dans cette interstice. »

Le film raconte l'attente, mais également parle du pouvoir de la fiction, du cinéma… Si le pouvoir de raconter des histoires permet à Shéhérazade de survivre, de faire reculer la mort, d'éloigner le bourreau, le cinéma fait rêver, dynamise, crée de l'animation… bref ressuscite l'espoir.
En attendant Pasolini est un film qui montre le cinéma : le cinéma s'auto présente dans une structure de mise en abyme. « La mise en abyme — également orthographiée mise en abysme ou plus rarement mise en abîme — est un procédé consistant à représenter une œuvre dans une œuvre du même type, par exemple en incrustant une image en elle-même. On retrouve dans ce principe l'« autosimilarité » et le principe des fractales ou de la récursivité en mathématiques. »
Dans En attendant Godot, les personnages ne bougent pas : c'est comme si le temps s'était figé dans un espace effroyablement vide, dégarni et dépeuplé. Au contraire, dans En attendant Pasolini, les personnages renaissent, deviennent actifs… vivants… même si le motif est une illusion venant de l'univers cinématographique.
La Mosquée est un autre film qui repose sur un produit de cinéma : un décor qui est supposé disparaitre après la fin du tournage, et que des circonstances données lui ont évité d'être détruit. Sauf que ce produit est une mosquée dont la destruction pose un certain nombre de problèmes et d'interrogation d'ordre théologiques et parfois politiques.
« Le titre du film fait référence à la mosquée construite par le réalisateur lors du tournage de son précédent long métrage : En attendant Pasolini. L'équipe du film repartie, les habitants ont détruit les décors afin de récupérer leurs terres sauf la mosquée. Certains villageois en avaient fait leur lieu de prière, au grand dam de Moha, propriétaire du terrain, qui ne peut plus désormais cultiver la terre qui lui permettait de faire vivre sa famille. Touché par cette polémique, le cinéaste marocain a décidé d'en faire un long métrage où se mêlent fiction et réalité. »

La question de la démolition ou non de la mosquée se transforme en prétexte à des interrogations sérieuses posées sous une forme, si l'on peut dire, « légère ». Faisant du cinéma une narration sociale ainsi qu'un voyage dans l'espace, Daoud Oulad Sayed , explique dans un entretien à la MAP, " qu'il s'agit d'un prétexte pour débattre de la problématique de l'interprétation que chacun fait des textes sacrés".
« La Mosquée raconte donc le périple d'un petit homme, Mouha, campé par l'excellent Abdelhadi Touhrache (En attendant Pasolini), qui se bat contre son village pour récupérer sa terre. Mouha, empêtré dans ses propres contradictions, consulte un fkih, s'échine à vouloir légitimer son action par des préceptes de l'islam et reçoit toujours les mêmes réponses : il a offert sa terre pour qu'une maison de Dieu y voit le jour, il ira au paradis et tant pis si le prix à payer est de ne plus avoir aucun revenu ici-bas. Même l'épouse de Mouha n'en a que faire, ce qui l'intéresse, elle, c'est d'organiser la circoncision de son fils et faire taire les voisines. Il y a bien un fkih qui est sensible au problème du pauvre Mouha, l'homme de Dieu est même prêt à l'aider à détruire cette fausse mosquée. Mais ce fkih-là n'est pas comme les autres, il estime qu'une bonne action ne peut être imposée, que l'islam est contre la spoliation du bien d'autrui, qu'une mosquée de cinéma ne peut être un vrai lieu de culte, car elle ne répond à aucune norme, etc. »

Le film La Mosquée est une « allégorie satirique ». Il faut dire que : l'« allégorie (du grec : ἄλλον / állon, « autre chose », et ἀγορεύειν / agoreúein, « parler en public ») est une forme de représentation indirecte qui emploie une chose (une personne, un être animé ou inanimé, une action) comme signe d'une autre chose, cette dernière étant souvent une idée abstraite ou une notion morale difficile à représenter directement. Elle représente donc une idée abstraite par du concret. »
Sans le traitement esthétique et artistique que Daoud donne à cette histoire de la mosquée, cette dernière (l'histoire de la mosquée) aurait pu passer pour une anecdote ou un fait divers. Et en cela, Daoud est un grand réalisateur qui a su créer une sorte d'équilibre entre une réalité plus ou moins intéressante et une fiction toujours attrayante.
Daoud est en quelque sorte un romantique. Un romantique qui poétise et esthétise dans ses films l'attente, l'espérance, le désespoir, l'inachevé, les illusions et aussi les désillusions… il est en cela aidé par sa formation photographique…


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