El Jadida, sur le littoral atlantique du Maroc, est une ville sereine. Ses côtes possèdent le "gisement" naturel le plus important au monde en algues rouges. Depuis plus d'un demi-siècle, tous les étés, des hommes, des femmes et des enfants courent après des algues, pour trois sous, pour presque rien, pour survivre. 2.000 barques s'activent durant l'été pour la collecte de la plante marine le long des 150 km des côtes. Des hommes arrachent de l'agar-agar au péril de leur santé voire de leur vie, par dix ou vingt mètres de fond qu'ils revendent à des industriels pour quelques élaborations dans des domaines aussi différents que la cosmétique, la pharmacie ou la cuisine. L'agar agar, appelé E406 dans la liste des additifs alimentaires, est une algue rouge appartenant aux familles des gélidiacées. A El Jadida, elle est "récoltée" par des équipes de jeunes garçons. Ils partent chaque matin, lorsque le temps n'est pas mauvais. A un kilomètre et demi au large, par 10 ou 20 mètres de fond, au péril de leur vie, dans des barques ou dans des chambres à air de tracteur. Ils plongent et replongent dans cette eau salée avec des doigts tout écorchés à force de racler les rochers. Des restes d'aiguilles d'oursin dans les mains. Les oreilles qui cognent et qui cognent… et la peur du tympan déchiré. Travail de forçat. Ils savent très bien qu'ils détruisent la mer, que les algues sont la nourriture des poissons, et leur nursery. Ils arrachent tout parce qu'ils ne peuvent pas trier, pas le temps, le peu d'air et les tympans qui cognent... Ils arrachent tout, même avec les racines, puis, ils trient ensuite… 6 à 8 heures par jour. Pour deux dirhams et demi le kilo, vingt centimes d'euro environ, une misère qu'ils doivent partager avec d'autres, mais avant il faut retirer le prix de l'essence, de la location de la barque, du compresseur… c'est peu payé… 6 à 8 heures passées dans l'eau… Quand ils rentrent chez eux, ils n'ont plus le courage de parler à leur famille… Travail de forçat. Quand la barque est pleine, elle accoste et le relais est pris par… des femmes. Elles sont à terre, au dessus ou entre les rochers, elles comptabilisent les sacs d''algues mouillées portés par d'autres hommes, sur les épaules. Ça dégouline, 70 à 80 kilos au pas de charge. Ils volent de rocher en rocher, c'est miracle s'ils ne tombent pas. Vite jusqu'au camion, là-bas en haut pour la pesée. 4 dirhams par voyage (35 centimes d'euro environ), à ce prix là la course est obligatoire. Travail de forçat pour tous. Quand le camion est parti, l'âne prend le relais. Avec les hommes, les femmes et les enfants pour l'aider, pour pousser lorsque les roues de la charrette se sont enlisées dans le sable trop meuble. Travail de forçat pour tous. Les vielles et les enfants ramassent les algues tombées des ballots pendant la course folle. Pour quelques centimes de dirhams. Travail de forçat pour tous. Michel Amengual les appelle les glaneuses, il a raison, elles sont les glaneuses de la mer. Des femmes glanent ce que les vagues rejettent ou ce que les hommes perdent dans leur course folle allant de la barque à la pesée sur la plage. Cet été, la plage était parsemée d'algues mortes, j'ai ramassé des laminaires et de l'agar agar déposées par la mer. Il n'y avait qu'à se baisser pour les prendre, il n'était pas question de les cueillir. Les laminaires, d'E400 à E405 dans la liste des additifs alimentaires, sont des algues brunes appartenant aux familles des laminariaceae. Elles mesurent généralement moins d'un mètre mais peuvent atteindre largement plus de deux mètres. Ce sont des gélifiants alimentaires. L'agar agar est menacé, et il y a déjà preneur pour les laminaires. On les paie 30 centimes de dirham le kilo (environ 3 centimes d'euro). Tant qu'on les ramasse sur la plage, ça rapporte un peu, mais si un jour, on plonge pour mes cueillir… Au mois de septembre, 12 artistes plasticiennes viendront créer des œuvres à partir de ces pâtes : Anne Slacik France Malika Agueznay Maroc Fatima Morjani Maroc Brigitte Mancerou France Marta Siméon Maroc / Espagne Aïdée Bernard France Martine Gautier France Miki Nakamura Japon / France Vérinique Brosset France Marine Guillemot France Catherine Wenger Suisse Marie-Jeanne Lorenté Maroc / France 2 poétesses : Tita Reut France Maria Zaki Maroc Tout ce travail sera photographié et filmé, ce sera la base d'un livre d'art. Les œuvres réalisées seront exposées à El Jadida lors du deuxième forum de la mer en mai 2014