De tous les quolibets qu'ont eu à subir les MRE, celui de « Vaches à lait » semble traduire la place qu'ils occupent dans les stratégies et les politiques publiques nationales et résumer l'image et la représentation qu'ils suggèrent. « Vaches à lait » les MRE le sont depuis toujours, contre vents et marées et en dépit des crises et des évolutions. Mais le resteront-ils longtemps ? N'est-il pas opportun aujourd'hui de développer et de promouvoir d'autres rôles et fonctions aussi stratégiques et nécessaires à l'essor de leur pays ? Être ou ne pas être des « vaches à lait » Être des « vaches à lait », dans le cas des MRE, ce n'est pas une vocation ou prescription religieuse, c'est plutôt une affaire d'hommes et de femmes d'honneur, responsables, courageux et volontaires, fidèles à leurs racines. L'histoire des MRE est une épopée héroïque, construite avec de la sueur, du sacrifice, du courage et de l'abnégation par des générations d'immigrés qui, depuis plus d'un demi-siècle, œuvrent pour que vivent dignement et honnêtement ceux qu'ils ont laissés au pays et pour que celui-ci se développe et prospère en toute quiétude.
Combien de villages et de bourgs sont sortis de terre en lieu et place de taudis et d'habitats indignes grâce à leur contribution ? Combien de familles y vivent grâce à leurs transferts ? Combien d'agents ou de prometteurs immobiliers (honnêtes ou véreux) se sont enrichis sur leur dos ?
L'emprunte des MRE est visible et bénéfique partout et jusqu'aux zones les plus reculées du territoire national. Leurs actions de solidarité et les initiatives généreuses de leurs associations sont louées et attendues. Cette contribution, humaine, économique et sociale s'impose aujourd'hui au pays comme une bénédiction divine, qu'il pleuve ou qu'il neige. Elle est conséquente : 58,5 milliards de dirhams en 2011 (chiffre de l'Office des changes).
Que dire de leur contribution à la prospérité des pays d'accueil ? Les charbonnages de France, les usines Renault et Peugeot, les mines du Nord et le Métro parisien, les tunnels et les ponts, les champs et les serres, les voieries et les ordures des villes européennes les plus denses, en savent quelque chose.
Que dire encore de leur apport à la libération de pays européens du joug de l'occupation ? Les champs de bataille, les cimetières militaires de France et de Navarre gardent les traces et les souvenirs de leurs faits d'armes les plus émouvants et les plus héroïques.
Mais, là où la déception et l'écœurement se transforment en colère, c'est lorsqu'il est donné de constater que tous ces sacrifices, ces apports et contributions ne sont ni reconnus (montée de la xénophobie et de l'exclusion en Europe, scores importants de partis extrémistes), ni récompensés à leur juste valeur.
Que sont devenus tous ces contingents de MRE, ces retraités et ces sans papiers expulsés comme des « sous-hommes », ces chômeurs et ces saisonniers victimes de rejet et de discriminations ? A-t'on pensé à eux, à leur reclassement et à leur intégration après leur retour volontaire -ou forcé- au pays ? N'est-il pas judicieux d'investir une partie des transferts MRE dans des secteurs socio-sanitaires et dans des structures d'accueil adaptées (maisons de repos, foyers, centres de formation et d'enseignement des langues d'origine) ?
Aujourd'hui, certains responsables marocains se plaisent à tenir Colloques et Conférences pour discourir sur les vertus du « réseautage » et l'apport des compétences MRE. Ils alignent les chiffres de leurs transferts, surveillent les courbes et prient pour que celles-ci progressent. Mais, lorsque ces mêmes responsables sont interpellés au sujet de l'usage que font certaines institutions (notamment bancaires) de l'argent des MRE, sur le coût exorbitant de leur transfert, ou encore au sujet de l'accès des MRE à l'exercice effectif des droits civiques et constitutionnels, ils s'énervent et se hasardent à minimiser ces apports voire à ramener toute la question de l'apport MRE à une simple « action d'aide et de solidarité familiale ». Cette conception est plus que douteuse ; elle est irrespectueuse et dangereuse car elle porte en elle les germes de la déliquescence des relations et des liens MRE-Maroc.
Etre ou ne pas être citoyens Comble du paradoxe, pour ne pas dire de l'amateurisme politique et de l'inconscience, plus de 4 millions de marocains sont écartés de l'exercice effectif de la citoyenneté. Le plus pessimiste d'entre les MRE pourrait (avec un peu d'humour) répliquer : A-t-on déjà vu des « vaches à lait » éligibles et électrices ? A-t'on déjà vu des « vaches à lait » faire grève ?
La citoyenneté ne se mesure pas à l'aune de la contribution économique individuelle. L'époque du suffrage censitaire est bien révolue. Être citoyen ne se réduit pas à la possession d'une carte électorale ou à un vote occasionnel par une procuration imposée. Etre citoyen, c'est faire partie d'une Nation dans laquelle l'individu et le groupe ont des droits et des devoirs clairement définis et respectés. Etre citoyen, c'est se sentir impliqué et responsable, c'est prendre part à l'élaboration des politiques publiques qui engagent l'avenir de son pays. Ne pas l'être, ou l'être virtuellement (cas des MRE) c'est se sentir « moins que rien », c'est être quelqu'un de seconde zone, bon à mourir à la tâche, à économiser et à transférer.
Le passage des MRE de simples « vaches à lait » au statut de citoyens est aujourd'hui une nécessité impérieuse, une question de justice et de bonne gouvernance. Ce passage serait l'une des révolutions « mentales » et évolutions politiques les plus marquantes de cette nouvelle législature (2011-2016).
La valorisation du statut politique des MRE serait en effet le déclencheur d'une dynamique incomparable qui drainerait vers le pays les réalisations les plus originales et les projets les plus nécessaires à son essor économique. Rendre effectifs leurs droits constitutionnels, c'est donner aux MRE les outils et la crédibilité indispensables pour pouvoir jouer leurs rôles dans tous les processus en cours, c'est leur permettre d'occuper une place privilégiée dans les relations internationales en qualité d'acteurs déterminants et influents.
A-t'on vraiment conscience, dans notre pays, de l'apport que la « diaspora marocaine » pourrait avoir, en ces périodes mouvementées, dans la défense des causes et intérêts supérieurs du pays ? Il est incroyable de voir un pays, qui se bat pour relever des défis majeurs et décisifs pour son développement et sa démocratisation, brider les initiatives et les compétences de milliers de MRE pour des raisons de basse politique qui ne procèdent que de faux calculs et ne s'appuient que sur des arguments (sécuritaires, logistiques) fallacieux.
Celui qui a tué la « poule aux œufs d'or » par simple cupidité, par avidité et par curiosité, car pressé de gagner plus en peu de temps, l'a appris à ses dépens. Ceux qui déploient aujourd'hui les stratagèmes les plus variés, pour inciter le MRE à économiser toujours plus et à envoyer le plus d'économies qu'ils peuvent, doivent méditer cette maxime de « la poule aux œufs d'or ». Car, en effet, à force de les essorer et les presser, sans considération, ces « vaches à lait», vont tarir. A-t-on déjà vu des « vaches à lait » éternellement grasses ou indéfiniment généreuses ?
En définitif. Il n'y a pas et n'y aura pas d'incompatibilité entre le rôle des MRE en qualité de contributeurs stratégiques à l'essor économique du pays et celui d'acteurs politiques pleinement impliqués dans la construction de l'Etat de droit auquel aspire le pays..
Bien au contraire, l'harmonisation des politiques publiques les concernant et la consolidation des liens entre ces deux rôles –investisseur et citoyen-, le renforcement des « capacités» des ONG-MdM, constituent LA condition première pour l'émergence d'une véritable force « diasporique » capable d'agir, de défendre et de promouvoir à travers le monde les causes et les intérêts nationaux.
Rendre possible l'accès des MRE à l'exercice normal et actif de la citoyenneté, c'est l'une des voies idoines et stratégies « gagnant-gagnant », à même de donner aux MRE les outils politiques, juridiques et psychologiques qui leurs sont nécessaires pour pouvoir défendre ou sauvegarder leurs propres intérêts et droits (cultuels, culturels, socio-économiques) dans les pays d'accueil. Il serait dommage de se priver de cette voie et de cette stratégie en ce temps incertains.