Déficit d'équipements sociaux et culturels, sentiment d'abandon par une classe politique décrédibilisée, persistance d'extrême pauvreté urbaine et des zones enclavées, criantes inégalités territoriales, sont les principaux motifs qui nourrissent le mécontentement collectif et la multiplication de nouveaux mouvements sociaux d'ampleur, avec l'émergence de revendications économiques et sociales en matière de fourniture de services publics de base (eau, électricité, lycées, universités, hôpitaux, transport, etc..) et d'accès au marché de l'emploi. Ces protestations ont un dénominateur commun : elles émanent de citoyens des petites et moyennes villes, touchés par la précarité sur fond de chômage élevé, particulièrement parmi les jeunes s'estimant victimes du sous-développement et de la marginalisation politique et économique et qui réclament une plus juste répartition de la richesse nationale. Rompre avec la malédiction du « Maroc inutile » du protectorat Cela est particulièrement vrai dans les régions historiquement « déshéritées » du Rif et de l'Oriental, d'un Maroc jadis qualifié « d'inutile lors du Protectorat », loin du dynamisme économique de l'axe Atlantique Casablanca-Rabat-Tanger. La région du Rif, conservatrice et frondeuse, est connue pour son histoire douloureuse avec le colonisateur et sa relation si mouvementée avec le pouvoir central avant l'avènement du roi Mohammed VI en 1999. En dépit de l'effort d'investissement consenti par l'Etat en matière de désenclavement et de mise à niveau urbaine, la province d'Al-Hoceima, dont l'économie est en grande partie informelle, demeure, aujourd'hui encore, soumise à des difficultés structurelles d'intégration économique à cause du sous-investissement, notamment dans les secteurs de la pêche industrielle et de la production agricole. Son décollage économique passe nécessairement par une meilleure connectivité via l'extension des réseaux de transport ferroviaire, autoroutier et aérien, qui n'est pas encore à la hauteur du niveau souhaitable. La fronde des citoyens y était d'autant plus vive que Tanger a bénéficié d'importantes infrastructures économiques et de programmes de développement urbain, renforçant leur sentiment d'être privés du même niveau d'équipements et de services publics que leurs concitoyens de la ville voisine, et mis à l'écart des dividendes économiques et sociaux générés par l'effort de développement du pays. Un grand effort d'investissement pour un faible impact sur le bien-être collectif Le désenclavement de la Région de l'Oriental par son raccordement au réseau national autoroutier, l'extension de l'aéroport Oujda-Angad, l'agropole de Berkane, la technopole d'Oujda, les parcs industriels et logistiques, la station balnéaire nouvelle génération à Saïdia, la lagune de Marchika, le futur port de Nador West Med, ou encore les équipements universitaires et hospitaliers ainsi que le nouveau pôle urbain d'Oujda, sont autant de grands projets structurants ayant nécessité l'injection, depuis les deux dernières décennies, d'importants capitaux publics estimés à plus de 10 milliards de US $. Cependant, force est de reconnaitre que cet effort louable d'investissements capitalistiques ne s'est pas traduit par l'amélioration du bien-être des citoyens en termes d'activités créatrices de croissance et d'accès au marché du travail dans cette région à forte sensibilité frontalière, où des milliers de familles et de jeunes vivent dans une situation de détresse économique et sociale sous la menace de la pauvreté, avec un taux de vulnérabilité de 12,7% selon la dernière carte de la pauvreté HCP en 2014. Généralisation de l'accès des populations rurales à l'eau potable et l'électricité, manque d'écoles et de dispensaires, niveaux inquiétants d'insécurité et de criminalité, autant d'ingrédients d'une bombe à retardement social qui placent les acteurs de l'Oriental devant des défis gigantesques, qu'ils soient élus régionaux, provinciaux, communaux, responsables des autorités locales, ou des services déconcentrés de l'Etat et de la société civile. En témoigne le taux de chômage qui a atteint 18,4%, bien supérieur au taux moyen au niveau national qui se situe autour de 9,1%, selon la note d'information du HCP relative aux principaux indicateurs du marché du travail au 2e trimestre 2018. Ce taux est d'autant plus alarmant que les effets pervers de l'éradication quasi-totale du fléau de la contrebande et de la fermeture, à la fin des années 1990, des mines de charbon dans la province sinistrée de Jerada n'ont pas été jugulés par des alternatives économiques crédibles, créatrices d'emplois durables, afin d'ouvrir la voie aux familles qui vivaient de ces secteurs vers des sources de revenus de substitution. Tirer avantages de la filière de l'économie bleue dans un contexte régional et international favorable En 2016, la Commission Européenne a lancé le processus pour une « Initiative pour le développement durable de l'économie bleue en Méditerranée occidentale » dans le cadre de son agenda « Croissance Bleue » (Blue Growth) visant à soutenir les changements économiques et la compétitivité par l'innovation dans le secteur marin et maritime dans son ensemble. Le point de départ de cette initiative est la conviction que les mers, les océans et le littoral peuvent jouer un rôle central dans la résolution des nombreux défis que connaissent la région (changements climatiques et leurs impacts socio-économiques et physiques, sécurité alimentaire, énergie, surveillance maritime, terrorisme, migration économique, etc). Les études menées dans ce cadre ont mis en évidence une extraordinaire variété d'acteurs et d'activités maritimes, et identifié, parmi 117 clusters étudiés, le littoral méditerranéen du Royaume du Maroc comme l'un des clusters les plus actifs et les plus prometteurs en terme de croissance bleue, tout en relevant l'absence d'infrastructures de soutien et de projets de coopération locaux, régionaux et internationaux. Le plan d'action et de coopération pour l'économie bleue qui est envisagé par la Commission Européenne et l'Union pour la Méditerranée ouvrira la voie à de nombreux projets, opportunités et activités assortis de financements conséquents. L'Union Africaine qualifie l'économie bleue de « nouvelle frontière de la renaissance de l'Afrique » et s'est, par conséquent, dotée d'une stratégie maritime intégrée (AIM 2050). A ce titre, la Banque Mondiale, la Banque Africaine de Développement et la FAO ont annoncé lors de la COP22 la mobilisation de 4 milliards de dollars US pour le développement des océans africains de 2017 à 2020, non seulement pour les ressources halieutiques et l'aquaculture, mais également pour promouvoir le tourisme, redresser le transport, réduire l'empreinte carbone.... Economie bleue : Nouvelle frontière du développement durable La Conférence, organisée, à Marseille en mai 2017, par le Plan Bleu sous l'égide d'ONU Environnement dans le cadre du projet « Une économie bleue pour une Méditerranée en bonne santé », a souligné qu'en région Méditerranée, l'économie basée sur les secteurs maritimes est considérée comme une nouvelle frontière pour le développement économique et pourrait doubler voire tripler en contribution à la valeur ajoutée brute régionale à l'horizon 2030. Les filières de l'économie bleue génèrent annuellement, 3 à 6 milles milliards de dollars US et leur croissance sera plus forte dans des secteurs comme les énergies océaniques et marines renouvelables (gaz, pétrole, éolien), le transport maritime, le tourisme côtier et de croisière, la navigation et les ports de plaisance, les sports nautiques, la construction/réparation navale, la pêche industrielle et artisanale, l'aquaculture durable, la surveillance et les interventions marines, la biotechnologie bleue, l'extraction minérale sous-marine, etc. Outre l'amélioration de la gouvernance et de la connaissance scientifique, la conférence a conclu à la nécessité de soutenir l'innovation technologique et sociale, d'augmenter les financements des investissements dans l'économie bleue, en incluant les instruments de financement traditionnels et novateurs, nationaux et internationaux (banques de développement, fonds internationaux), publics et privés, et de rehausser ainsi les bénéfices socio-économiques (création d'emplois, formation et emploi des jeunes, sécurité alimentaire, diminution de la pauvreté...). Le corridor bleu Saidia-Al Hoceima-Tanger : un projet à portée stratégique L'axe méditerranéen Saïdia-Al Hoceima-Tanger est le lieu d'importantes opportunités de partenariats nationaux et internationaux créateurs de valeur et de croissance bleue, qui offre un énorme potentiel sous-exploité en termes de création d'emploi, d'investissements et de développement économique durable et inclusif. Dans ce contexte, la mise en réseau de tous les acteurs de la filière de l'économie bleue de la façade méditerranéenne du Maroc suggère la création d'un cluster d'économie et d'innovation bleues fort, innovant et diversifié, capable de relever le défi de la croissance bleue durable et de tirer avantage de ces innombrables opportunités, dans le cadre d'un processus dynamique de développement territorial. En effet, l'observation des expériences internationales démontre que les territoires qui ont réussi leur rayonnement l'ont fait en établissement des partenariats industriels et de recherche/innovation à travers la création de structures d'appui à l'innovation comme les clusters ou pôles de compétitivité. Valorisant l'économie marine et maritime selon une vision durable et moderne, ce cluster aura une portée stratégique pour les Régions de l'Oriental et Tanger-Tétouan-Al Hoceima, en tant que locomotive de croissance et moteur de développement des économies régionales, formant un véritable « Corridor bleu Saïdia-Al Hoceima-Tanger » et façonnant une « marque territoriale » des zones côtières tristement marginalisées, sur la base des concepts porteurs de valeurs qui sont générés par l'économie bleue. Sous réserve d'être pilotée dans un cadre de gouvernance adéquat, l'initiative du corridor bleu permettra de favoriser l'attraction d'investissements stratégiques prenant levier sur des avantages régionaux concurrentiels et le développement d'entreprises innovantes orientées vers des activités d'export à forte valeur ajoutée. Ce Corridor a vocation à stimuler l'entrepreneuriat et l'innovation, développer les compétences, encourager la coopération régionale, transfrontalière et internationale et faciliter l'accès des entreprises aux données relatives au foncier public, aux ressources humaines, aux possibilités de financement et aux opportunités de partenariats techniques et financiers. Aussi, il aura la charge de promouvoir et d'accompagner la mise sur pied d'un portfolio de projets cohérents, capables de dynamiser les économies locales, dont les business plans pourront s'appuyer sur des partenariats multi-acteurs et des montages contractuels et financiers intelligents dans lesquels l'essentiel du financement proviendrait des subventions de l'Etat et des ressources concessionnelles des bailleurs de fonds régionaux et internationaux, et des instruments et mécanismes de voisinage dédiés au financement de l'économie bleue durable, du secteur privé, du sponsoring, etc. En effet, ce cluster devrait favoriser le rayonnement de ces deux régions à l'échelle nationale, euro-méditerranéenne, voire internationale, à travers l'organisation d'événements de grande envergure, notamment une semaine euro-méditerranéenne. En plus de dynamiser l'activité touristique très créatrice d'emplois le long de l'axe méditerranéen Saïdia-Al Hoceima-Tanger (tourisme d'affaires et scientifique, tourisme maritime et éco-aquatique, commerce équitable des produits du terroir, tourisme des montagnes et du désert...), ce grand événement pourra constituer une plateforme de promotion, de partenariat et de partage d'expériences sur les innovations sociales, économiques et technologiques de l'économie bleue en Méditerranée, permettant de rapprocher scientifiques, décideurs politiques, praticiens, institutionnels et professionnels autour d'un salon d'exposition international, pavillons pays et sectoriels, village de coopération décentralisée, rendez-vous d'affaires, conférences, forums, workshops, etc. La semaine euro-méditerranéenne a pour vocation de devenir le rendez-vous annuel des acteurs de l'économie bleue euro-méditerranéenne : gouvernements, organisations internationales, Bailleurs de fonds, ONGs, think tanks, universités et laboratoires, collectivités locales, secteur privé, fédérations professionnelles, agences de développement et d'investissement...etc. Elle sera également marquée par d'autres moments forts de signatures de protocoles d'ententes, de contrats de projets de partenariats et de conventions de coopération décentralisée entre collectivités territoriales du littoral euro-méditerranéen. Encore faut-il que cette initiative trouve des acteurs publics régionaux capables d'assurer son portage politique et son appui institutionnel et s'approprier sa mise en œuvre, avec l'accompagnement des départements ministériels compétents, en vue de débrider le moteur de la croissance et d'infléchir l'état actuel des indicateurs socio-économiques pour le plus grand bien des populations de ces régions. Par Benahmed Mohammed Benahmed Mohammed est Directeur des grands projets au Fonds d'équipement communal, auteur de plusieurs ouvrages et publications dans les domaines du développement territorial durable, le PPP, la gestion déléguée, l'évaluation des politiques publiques, l'urbanisation, la fiscalité locale, la gouvernance et le financement des services publics, l'économie bleue...