Malgré la volonté des pouvoirs publics à entamer le virage digital, certains obstacles réglementaires, juridiques et socioculturels continuent de freiner ce processus. Tarik Fadli, Fondateur de la Marocaine des e-service et PDG d'Algo Consulting nous éclaire sur l'enjeu de la dématérialisation des procédures administratives. Il milite depuis quelques années pour faire adopter aux niveaux des Communes une solution digitale pour faciliter le quotidien des Marocains. La plateforme Wraqi, qu'il a développée pour digitaliser les services Communaux, est dans la dernière ligne droite. EcoActu.ma : Le Roi a soulevé dans son dernier discours la nécessité d'accélérer la transformation digitale de l'Administration. D'aprés vous où en est le Maroc concrètement dans ce virage digital ? Tarik Fadli : Ce virage digital a commencé depuis quelques années dans plusieurs pays dont certains l'ont pris avec succès, d'autres sont en cours, tandis que d'autres sont encore à la traîne. Le Maroc en fait partie de ceux qui viennent de l'entamer avec le lancement de plusieurs initiatives aussi bien dans le secteur public que privé. Cependant, plusieurs contraintes continuent de persister et de freiner l'accélération du train de la digitalisation. Il faut dire aussi que chaque pays à ses spécificités et par conséquent ne peut calquer les procédures de mise en place de système d'information d'un autre pays. Notre système, par exemple, est un système de confiance qui marche malgré sa lourdeur (beaucoup de bureaucratie). Donc, au lieu de faire un reengineering des process, ce qui risque de prendre beaucoup de temps et requiert un grand budget, il est plus judicieux de digitaliser l'existant tout en gardant les spécificités de notre manière de faire. Car force est de constater que le Maroc n'est pas à la pointe de la production de technologie. En effet, mises à part quelques entreprises qui se distinguent en matière de production digitale, nous sommes plutôt des consommateurs de technologie. Ce qui est la conséquence de mentalités frileuses qui ont saboté notre capacité à aller vers le digital. Qu'en est-il du dispositif réglementaire mis en place pour accompagner cette transformation ? Certes plusieurs avancées ont été enregistrées. Toutefois, il y a encore du chemin à parcourir. Je donne l'exemple d'une contradiction celle d'une circulaire qui interdit la mise des données dans le Cloud, alors que l'ensemble du trafic d'internet des Marocains passe par l'Europe pour revenir au Maroc. Donc une perte de performance, un risque de sniffing (vol de données) et un coût plus élevé de la connectivité Internet. Le cloud est comme les banques, il y a quelques années à l'époque où les gens étaient réticents à l'idée d'y mettre leur argent. Sauf qu'à la différence du système bancaire, celui des IT évolue tellement vite que chaque retard risque de nous faire rater le virage. Autre contradiction, l'Office des changes a interdit l'utilisation du bitcoin alors que le Maroc, à travers une multinationale, s'apprête à devenir un paradis de monnaie pour la crypto-devise en utilisant l'énergie solaire. Outre les freins administratifs et réglementaires, il y en a d'autres notamment d'ordre socioculturel. Malheureusement, le non partage, la peur de l'ouverture et l'attachement à l'auto-préservation sont des composantes de notre culture et de notre société. Et l'une des raisons de cette réticence à la digitalisation est la crainte de l'obsolescence de certains. C'est pourquoi la réussite de l'entrepreneuriat au Maroc dépend largement de sa connotation inclusive et sociale. La digitalisation ne devrait pas contribuer à l'aggravation du taux de chômage mais bien au contraire à la création de nouveaux emplois. C'est d'ailleurs la démarche que nous avons adoptée pour le lancement du projet «Wraqi ». Vous militez depuis quelques années pour accélérer le processus de digitalisation de l'administration publique. Où en êtes-vous aujourd'hui ? Aujourd'hui, le projet baptisé e-Moqataa ou l'e-Kiosk de dématérialisation s'est transformé en une plateforme unique inédite que nous avons nommée WRAQI ou WRAQI.MA. Cette plateforme, promet de réconcilier l'administration avec l'administré en permettant l'accès à distance, à n'importe quel service administratif et ce en toute sécurité. Nous avons signé une convention avec la Commune de Fès pour tester ce concept sous l'observation, l'accompagnement et l'encouragement de plusieurs parties prenantes, notamment la DGCL du ministère de l'Intérieur, celui de la Modernisation, l'ADD et Casa Digitale. Nous espérons passer en production sur Fès et Casablanca d'ici fin 2018 pour lancer la généralisation sur l'ensemble du territoire en 2019. A travers cette solution technologique vous accompagnez l'administration et plus particulièrement les communes dans leur transformation digitale. Pouvez-vous nous en parler davantage de cette solution qui pourrait révolutionner le quotidien des Marocains ? La plateforme Wraqi adopte une approche que nous appelons Bottom-Up au lieu de l'approche classique Top-Down. Autrement dit, nous commençons notre conception par les besoins du citoyen et de l'entreprise en premier lieu, et bâtir à partir de ce niveau un système qui permet de digitaliser les services d'une manière humaniste et inclusive, qui répond à chaque risque à identifier d'une manière pragmatique. Nous avons commencé par les services de la Commune avant de passer à d'autres administrations, car la commune représente les services de proximité les plus sollicités par le citoyen et aussi l'entreprise. Cette première version disponible offre 4 services à distance à savoir : 1. Prise de RDV 2. Légalisation de Signature 3. Certification de Copie Conforme 4. E-Certificat de Résidence Par exemple pour la légalisation de signature ; la plateforme permet à tous les citoyens enregistrés d'effectuer le dépôt de signature, signer leur document les scanner ou les prendre en photo, s'authentifier bio métriquement à distance et transmettre leur document à la Commune de leur ville. L'agent de l'autre côté du système valide le contenu du document, sans se soucier de l'identité de la personne, car l'Intelligence Artificielle prend en charge cette tâche et peut l'effectuer mieux que l'humain. L'agent n'a qu'à signer électroniquement le document que le citoyen pourra imprimer chez lui. Le document en question contient un QR codé qui permet l'authentification instantanée de chaque document émis par Wraqi. Donc en analysant ce procédé vous allez remarquer que nous avons juste démocratisé le dépôt de signature à l'ensemble des citoyens et nous mettons en application la loi n° 53-05 relative à l'échange électronique de données juridiques. Donc pas de changement des procédures en vigueur juste leur digitalisation. Même procédure digitale pour le certificat de résidence. Le citoyen va effectuer une demande en deux cliques. Le Mqadem du quartier, qui dispose également d'un compte sur la plateforme, va visualiser les informations de la demande et la valider. La demande sera par la suite signée électroniquement par le Qaid. Le citoyen pourra soit l'imprimer chez lui en cas de besoin ou juste la partager électroniquement avec une autre entité publique ou privée. Wraqi est disponible gratuitement à toutes les administrations souhaitant digitaliser leurs services sur le champ et les rendre accessibles à distance. Ceci dit, pour la valeur ajoutée de l'élimination des déplacements et l'optimisation du temps et des coûts de déplacement, nous facturons les frais de services électroniques. Des frais qui servent à rentabiliser l'investissement de 5 ans de travail, à soutenir la structure de support et d'opération de la marocaine des e-Services et bien sûr à rémunérer légalement (pourcentage par transaction) les agents qui utilisent le digital pour le traitement des demandes des citoyens. Ce business modèle est optimal et inclusif et permet d'assurer la pérennité de la plateforme qui sera gérée sous format partenariat public-privé. Il s'agit d'un win win pour toutes les parties prenantes. Où en sont les discussions avec les administrations marocaines pour adopter cette solution ? Cette innovation citoyenne a été bien accueillie par les administrations citées ci-dessus. Elles sont mobilisées pour nous assister à optimiser la solution davantage et dépasser les blocages identifiés. Nous sommes très ambitieux et nous souhaitons positionner Wraqi comme la plateforme unique qui facilite l'accès à l'ensemble des services administratifs du Maroc. Le but est d'offrir aux citoyens un accès facile et uniforme au e-Gov sans avoir à se soucier des détails ou des prérequis pour chaque procédure. Nous ambitionnons également d'exporter ce produit digital en Afrique et faire bénéficier nos pays voisins des avantages de cette solution. Ceci dit, malgré le fait que la loi prévoit des clauses de passation de marché de grè à grè en cas d'innovation ou d'exclusivité, nous sommes obligés de passer par un appel d'offre. Qu'en est-il du volet sécurité et protection des données ? Quels sont les garde-fous pour garantir la Souveraineté du Maroc face à d'éventuelles cyberattaques? Nous avons investi énormément dans les technologies les plus récentes d'e-Commerce et e-Gouv soit les plus utilisées dans le monde entier pour protéger les données des utilisateurs. La cyber sécurité est un sujet que nous prenons très au sérieux. Ceci dit, c'est un risque comme tout autre qui ne doit pas bloquer cette transformation digitale de l'administration et par conséquent un tel projet. Il est important de faire la distinction entre le possible et l'envisageable. Hacker une plateforme pareille nécessite un investissement intellectuel, financier et matériel important. Donc si quelqu'un disposerait de telles ressources, ces informations serraient le dernier élément sur leur liste de cible à braquer. Je tiens à préciser que nous sommes au même niveau de sécurité que les sites les plus attaqués au monde, qui à ce jour n'ont jamais été pénétrés. Afin de respecter la souveraineté, les données sont stockées localement dans un data center national. Toutefois, nous souhaitons la mise en place urgente d'un IXP national, qu'il soit géré par le privé afin de vraiment respecter la souveraineté des données des Marocains. Vidéo démonstrative d'une demande d'un certificat de résidence : https://youtu.be/-MvCjbFNztU