Ecrit par Imane Bouhrara | Anciennes et résilientes, les relations bilatérales entre le Maroc et l'Union européenne (UE) subiront un relifting à partir de cette année 2021... la Covid-19 étant passée par là. Les défis de la résilience, du développement durable et de l'inclusion sociale sont présents en force. Echange à bâtons rompus avec Claudia Wiedey, Ambassadrice de l'UE au Maroc. Les relations entre le Maroc et l'Union européenne (UE) connaîtront en 2021 un nouveau tournant dicté par les principaux enseignements retenus de la crise Covid-19, des objectifs communs de relance mais aussi par les défis climatiques. Et autant dire qu'à ce niveau, c'est l'UE qui mène la danse. En effet, le 9 février, la Commission européenne faisait une communication sur le nouvel agenda pour la Méditerranée, qui comprend un plan économique et d'investissement visant à stimuler la reprise socio-économique à long terme dans le voisinage méridional et vise 5 domaines d'intervention. Dans le cadre du nouvel instrument de voisinage, de coopération au développement et de coopération internationale (IVCDCI) de l'UE, jusqu'à 7 milliards d'euros pour la période 2021-2027 seraient alloués à sa mise en œuvre, qui pourrait mobiliser jusqu'à 30 milliards d'euros en investissement privé et public dans la région au cours de la prochaine décennie. Et pas plus tard que le 18 février, c'est une autre communication qui annonçait la nouvelle stratégie commerciale de l'UE après révision à l'issue d'une consultation publique lancée le 16 juin 2020. La conférence de presse tenue ce 24 février dans la résidence de Claudia Wiedey, Ambassadrice de l'UE au Maroc, sur le bilan 2020 et les perspectives 2021 était l'occasion de l'interpeller sur certains sujets en suspend et de mieux comprendre la place du Maroc dans ce paysage européen post-pandémie. D'emblée, l'ambassadrice a souligné que le budget des 7 milliards d'euros n'a pas encore été détaillé par pays dans ce nouvel instrument de voisinage. Pour ce qui est de la nouvelle stratégie commerciale, un élément de taille régit les relations commerciales entre le Maroc et l'UE : l'ALECA dont les négociations ont démarré en mars 2013, est au point mort depuis 2015. Un accord politique a été conclu en 2019 pour reprendre les négociations en vue d'approfondir la zone de libre-échange, d'y inclure de nouveaux secteurs comme les services et l'investissement et de poursuivre le rapprochement réglementaire pour les secteurs prioritaires choisis de commun accord entre les deux parties. Mais, cela n'évolue pas au rythme souhaité. ALECA, l'Appel du pied de l'UE « Nous n'avons plus eu de discussions approfondies sur cet accord depuis quelques temps. Certes nos relations sont passées par une période de froid mais je pense qu'une analyse doit être faite pour trouver et comprendre les raisons du blocage actuel. Il est également primordial de connaître quelles sont aujourd'hui les attentes du Maroc », Explique C. Wiedey. La Commission européenne se dit aujourd'hui prédisposée pour discuter cet accord et l'adapter au contexte actuel. « Nous devrons travailler encore plus pour renforcer le dialogue dans le domaine commercial. Il y a des échanges au niveau des commissions techniques, ainsi que des discussions entre le ministre Moulay Hafid Elalamy avec Bruxelles pour identifier les priorités sur lesquelles avancer », poursuit l'Ambassadrice estimant que c'est le bon moment pour progresser sur cet accord. Accord de réadmission, une épine dans le pied du programme mobilité et migration ? L'Ambassadrice a tenu à souligner que les discussions sur les accords de réadmission se font sur deux niveaux : un niveau bilatéral entre le Maroc et les Etats membres ; et un niveau européen. « Il est plus utile et souhaitable d'avoir un accord de réadmission plus large pour les citoyens marocains qui se trouvent sur l'espace européen sans avoir un titre valable », explique l'Ambassadrice. C'est la question des pays tiers qui pose souci aujourd'hui. La responsable a par ailleurs assuré qu'il n'y a nulle envie aujourd'hui de toucher aux accords de réadmission opérationnels actuellement entre certains Etats membres et le Maroc. Accord de pêche et recours devant la CJUE Les députés européens réunis à Strasbourg en plénière le 12 février 2019 avaient donné leur accord à la conclusion d'un nouveau protocole de pêche avec le Maroc qui inclut explicitement le Sahara dans son champ d'application. Et ce malgré l'arrêt de février 2018 de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE). Mais la pilule ne semble pas être passée puisqu'un nouveau recours en annulation déposé le 27 avril 2019 sera examiné ce 2 mars par la CJUE. Interpellée sur cette question la diplomate n'est pas restée laconique estimant qu'un bon travail a été réalisé en 2019 dans le cadre du nouvel accord de pêche. « Nous avons trouvé ensemble avec nos amis marocains, par un échange de lettres, une formule pour poursuivre aussi bien l'accord de pêche que l'accord agricole. Nous ne sommes pas réellement surpris par ce recours actuellement devant la CJUE. Nos équipes juridiques sont justement en train de répondre à toutes les questions posées concernant cet accord et donc nous attendrons la décision de la CJUE ». Elle rappelle par ailleurs qu'en 2019, les parties marocaine et européenne ont eu des discussions très intensives sur les possibilités juridiques existantes et avec les juristes, une formule a été trouvée. Là, il faudra attendre encore la décision de la CJUE pour voir quelle suite sera donnée. Plan européen économique et d'investissement et le Fonds Mohammed VI d'investissement Ce plan identifie un certain nombre de programmes-phares parmi lesquels figure en bonne place l'appui de l'Union européenne au Fonds Mohammed VI pour l'Investissement. Le Fonds européen pour le développement durable (EFSD +) sera mobilisé, ainsi que les autres Institutions financières européennes, pour contribuer aux opérations du Fonds Mohammed VI. « Pour nous, ce Fonds sera l'une des marques d'orientation des investissements au Maroc. Bien sûr ce plan s'intéressera à des projets prioritaires en parallèle... nous attendons toujours le nouveau modèle de développement pour voir s'il y a encore des objectifs et des projets clés au Maroc que nous devrons prendre en considération », soutient l'Ambassadrice de l'UE au Maroc. Liste grise de l'UE Commentant la sortie du Maroc de la liste des juridictions non coopératives à des fins fiscales, suite à l'avis favorable du Conseil des affaires étrangères de l'Union européenne (UE), réuni ce 22 février 2021, Claudia Wiedey s'en est félicité saluant les efforts fournis par le Maroc. « A l'issue des assises sur la fiscalité organisées en 2019, le ministre des Finances s'est inscrit dans ce processus couronné par ce retrait qui va encourager les investisseurs notamment européens, en posant un cadre et un traitement fiscal stable, clair et transparent », précise-t-elle. Taxe carbone... aux frontières En plus de la taxe carbone, l'UE planche sur la possibilité d'une taxe carbone aux frontières avec le double objectif de protéger la compétitivité de l'industrie européenne soumise à des contraintes environnementales majeures et de réduire l'impact sur le climat conformément aux engagements pris dans le cadre de l'Accord de Paris. L'idée vieille de 10 ans, proposée par le président français Jacques Chirac, est ainsi revenue sur la scène en 2020 pour lutter contre le « dumping climatique ». Sauf que les pays partenaires considèrent que c'est une nouvelle contrainte imposée par l'UE. Claudia Wiedey estime que ce n'est pas pour le Maroc : « La question de décarbonation est une question importante pour l'UE mais pour le Maroc aussi qui a pris des engagements très importantes dans le cadre de l'accord de Paris ». Il faut reconnaître que ce sont des domaines conjoints et prioritaires dans le cadre du « Partenariat vert » car cette décarbonation est devenue obligatoire, notamment pour le Maroc dont plus de 60 % des exportations vont orientés vers le marché européen. « Les discussions aujourd'hui au sein de l'UE porte sur les contraintes environnementales et réglementaires qui pèsent sur la compétitivité des industries européennes. Le risque qui se pose est que ces industries se délocalisent vers des pays à l'appareil productif classique (ex énergies fossiles), ce qui met en péril notre objectif d'agir en faveur du climat en réduisant l'empreinte carbone. Pour éviter cette manipulation négative du marché, les discussions portent sur les moyens de procéder dans le cadre bien évidemment des règles de l'OMC. Nous n'avons pas encore de réponse définitive donc cette taxe carbone aux frontières demeure encore au stade de projet », conclut l'Ambassadrice. Il faut préciser que la nouvelle stratégie commerciale de l'UE qui se veut durable, met l'accent sur la réforme des règles du commerce mondial pour qu'elles soient équitables et durables. Et cela passe, selon l'UE, par diriger les efforts de réforme de l'OMC, notamment grâce à un partenariat étroit avec les Etats-Unis. Pour ce qui est du Maroc, l'UE considère que sa nouvelle stratégie commerciale a beaucoup d'éléments de convergence avec la stratégie industrielle et commerciale du Royaume, ce qui représente une excellente opportunité de réfléchir ensemble sur les moyens de moderniser la relation entre les deux partenaires. Bilan 2014-2020 En 2020, soutenant le Maroc dans sa riposte face à la Covid-19, l'Union européenne a débloqué les 450 millions d'euros de subventions promis, au bénéfice en particulier de secteurs vitaux, tels que la santé, la protection sociale et l'éducation. Aussi, le pays a-t-il reçu l'aide du Fonds d'affectation spéciale d'urgence de l'UE pour l'Afrique dans le cadre d'un programme régional de réaction d'urgence accélérée de 10 millions d'euros pour lutter contre le coronavirus en Afrique du Nord, axé sur les populations les plus vulnérables. Pour ce qui est de l'Instrument de voisinage, 1,4 milliard d'euros ont été destinés au Maroc pour la période 2014-2020. Le Maroc a bénéficié de 30 millions d'euros supplémentaires en 2020 du mécanisme incitatif suite aux progrès réalisés dans les réformes socioéconomiques. Et depuis 2007, le Maroc est bénéficiaire de la Plateforme d'investissement de voisinage qui a mobilisé 11,5 milliards d'euros pour 19 projets, dont des centrales solaires pour une capacité totale de 1,310 MW (dont la centrale solaire de Ouarzazate, la plus grande d'Afrique, alimentant près de deux millions de ménages). Les projets relevant du volet Afrique du Nord du Fonds fiduciaire d'urgence de l'UE pour l'Afrique (EUTF Afrique) au Maroc s'élèvent à 236 millions d'euros.