Interviewé Par Imane Bouhrara | Suite aux directives royales, le secteur public, précisément les EEP, est aujourd'hui à un tournant décisif en matière de pilotage et de gouvernance pour plus d'efficience. Une réforme structurelle tant attendue mais très complexe qui doit démarrer cette année même. Pour avoir plus de visibilité sur ce chantier et sur les actions qu'il implique, Mohamed Benchaâboun, ministre de l'Economie, des Finances et de la Réforme de l'administration apporte des précisions sur cette transformation en cours. EcoActu.ma : Parmi les chantiers de relance tels que dévoilés en août dernier figure la réforme des Etablissements et Entreprises Publics. Où en est actuellement l'étude menée sur la dissolution des EEP ainsi que le projet de loi de réforme des EEP ? Mohamed Benchaâboun : De prime à bord, il importe de rappeler que lors de son Discours du Trône du 29 juillet 2020, Sa Majesté le Roi Mohammed VI, que Dieu L'Assiste, a donné ses Hautes Orientations pour la mise en place d'un plan de relance ambitieux, la généralisation de la couverture sociale et la réforme du secteur public, tout en appelant à la création d'une Agence Nationale chargée de la gestion stratégique des participations de l'état et du suivi des performances des EEP, devant jouer un rôle central dans cette réforme. Dans ce sillage, lors du Discours au Parlement à l'occasion de l'ouverture de la 1ère session de la 5ème année législative de la 10ème législature, Sa Majesté le Roi, que Dieu L'Assiste, a appelé à une redéfinition substantielle et équilibrée du secteur public et à ce que l'Agence Nationale de gestion stratégique des participations de l'Etat joue un rôle-clé dans ce domaine. En effet, ces Directives Royales impulsent une nouvelle dynamique de réforme d'un secteur stratégique pour le pays et constituent un tournant historique pour les Etablissements et Entreprises Publics (EEP) qui verront leur pilotage stratégique, leur gestion et leur gouvernance foncièrement transformés. A propos de l'étude qui porte sur la réforme du dispositif encadrant les opérations de liquidation des EEP, je tiens à préciser qu'elle vise d'une part, à accélérer les liquidations en cours et dont certaines durent depuis plusieurs années et d'autre part, à améliorer l'encadrement des futures opérations de liquidation et de dissolution et ce, dans l'objectif de répondre, au mieux, aux objectifs de la réforme des EEP, objet du projet de loi-cadre auquel vous faites allusion. Aujourd'hui, le processus de sélection d'un cabinet pour la réalisation de cette étude a été clôturé suite à l'appel d'offres lancé par ce Ministère à cet effet. Ce processus a effectivement abouti au choix d'un cabinet de renom sur la base d'un cahier des charges et l'étude sera effectivement lancée incessamment. Cette étude, qui devra être réalisée dans un délai de 8 mois, permettra l'adoption d'un dispositif à même d'accélérer l'assainissement du portefeuille public et d'assurer une large contribution à l'optimisation de sa taille. Pensez-vous que le cadre réglementaire de la liquidation des EEP qui fait actuellement défaut, pourrait-il être validé lors de la prochaine session de cette cinquième année législative, la dernière dans le mandat de l'actuel gouvernement? Permettez-moi tout d'abord de préciser la distinction entre liquidation et dissolution. En effet, les entreprises publiques, sous forme de sociétés anonymes, obéissent à un dispositif juridique et un processus différents de celui auquel sont soumis les Etablissements Publics, personnes morales de droit public. La dissolution de ces derniers, créés par des lois particulières en vertu de la Constitution, exige le passage par le processus d'adoption en vigueur et des modalités spécifiques de mise en œuvre. Revenant à votre question, notre objectif est que le projet de loi-cadre de réforme profonde des EEP, réforme impulsée par les Hautes Orientations Royales contenues dans le Discours du Trône du 29 juillet 2020 et le Discours au Parlement du 9 octobre 2020, soit adopté le plutôt possible et nous œuvrons dans ce sens. Ce projet de loi devra consacrer, sur le plan législatif, les principes et les règles essentielles à une bonne conduite des opérations de liquidation/dissolution. Dans ce sillage, le planning de redimensionnement des EEP à horizon 2025 demeure-t-il réalisable ? Nous avons choisi cet horizon de 2025 parce que nous avons estimé qu'il est réaliste pour déployer des opérations complexes de redimensionnement (regroupements, liquidations, dissolutions, transformations en sociétés anonymes...). Certaines de ces opérations impliquent le traitement de questions importantes inhérentes à ce genre d'opérations comme le portage des missions de service public et de régulation, le transfert des actifs et surtout le redéploiement des ressources humaines que nous devrions mener en sauvegardant les droits acquis. Après plusieurs années d'inactivité de l'OCE, c'est à peine si le projet de loi 06-20 portant liquidation de cet office a été voté par le parlement. Cela ne suppose-t-il pas que les retombées de chantier de réforme des EEP qui ne seront pas immédiates ne profiteront pas à la relance ? L'exemple que vous avez cité illustre parfaitement le fait que, parfois, la complexité du dispositif juridique en vigueur applicable en matière de liquidation/dissolution des EEP se traduit par des délais plus longs lors de la mise en œuvre de ce genre d'opération. En effet, le déroulement des opérations de dissolution/liquidation d'EEP dépend, d'une manière générale, du type de la liquidation appliquée (administrative ou judiciaire), du statut juridique de chaque EEP, des dispositions légales et réglementaires applicables et des montages financiers et de l'implication, plus ou moins forte, des parties concernées. A titre d'exemple, la liquidation des entreprises publiques est régie, lorsqu'il s'agit de liquidation administrative, par les dispositions de la loi n° 17-95 relative aux sociétés anonymes et du dahir formant Code des Obligations et des Contrats. Quant à la liquidation judiciaire, elle est régie principalement par les dispositions de la loi n° 73-17, modifiant et complétant la loi n° 15-95 formant code de commerce, notamment en ce qui concerne les procédures relatives aux difficultés de l'entreprise. C'est pour ces raisons qu'il est devenu nécessaire que ce cadre légal et réglementaire soit révisé, rénové et harmonisé dans la perspective d'assouplir le processus juridique de mise en œuvre des opérations de liquidation et une plus grande responsabilisation des parties prenantes (tutelles, EEP...). C'est l'objet même de l'étude susvisée et du projet de réforme des EEP. Sur la liste des EEP en liquidation publiée dans les documents, il y a des entités dont le délai de liquidation est prorogé à plusieurs reprises dont le cas de la BNDE qui n'a plus d'agrément depuis 2006. Qu'est-ce qui explique le retard de la liquidation dans ce cas spécifique ? Les retards auxquels vous faites allusion sont d'abord liés essentiellement à la complexité de la situation bilancielle de l'entité concernée au moment de l'arrêt de son activité et de la prononciation de sa liquidation. Cette complexité nécessite une forte mobilisation des parties prenantes pour mettre en place le plan de sa liquidation et sa feuille de route, sachant que, tant que toutes les opérations nécessaires à la clôture de sa liquidation ne sont pas achevées, la radiation de l'entité en question du registre des sociétés ne peut être prononcée. En outre, la réussite d'une telle opération de liquidation dépend en grande partie, des négociations avec les créanciers, de la procédure adoptée pour la résolution des litiges avec les parties tierces, de la situation juridique des actifs, ou bien encore, de la non disponibilité, dans l'immédiat, des financements nécessaires pour apurer le passif de l'entité, objet de la liquidation. Ceci, outre le fait que parfois certaines parties prenantes ne sont pas totalement impliquées dans la concrétisation de l'opération. En effet, pour le cas de la BNDE, la majorité des dossiers restants sont des dossiers en contentieux, c'est ce qui explique la prorogation de la durée de sa liquidation. Juste pour plus de précisions, quel sera le rôle de l'Agence dédiée à la Gestion Active des participations marchandes et financières de l'Etat, comparativement à l'Agence Nationale dédiée à la gestion stratégique des participations de l'Etat et à suivre la performance des établissements publics ? Toute d'abord, pour éviter toute équivoque à ce sujet, la seule Agence dont la création est escomptée est l'Agence nationale chargée de la gestion stratégique des participations de l'Etat et du suivi la performance des EEP, étant précisé que cette création vient en application des Hautes Orientations Royales contenues dans le Discours du Trône du 29 juillet 2020 et dans le Discours au Parlement du 9 octobre 2020. La mission principale de cette Agence sera de mettre en place une gestion active des participations marchandes et financières de l'Etat qui constitue son périmètre d'intervention. Comme déjà annoncé, le projet de loi portant création de cette Agence a été préparé. Actuellement, ce projet est en cours de mise au point avec le Secrétariat Général du Gouvernement en vue de son introduction dans le circuit d'approbation très prochainement. Plus globalement, quelles sont les actions phares qui rythmeront 2021 dans le cadre de la réforme du secteur public pour une meilleure gouvernance et plus d'efficience ? Il faut souligner que l'année 2021 sera marquée par le déploiement effectif des grands chantiers initiés par Sa Majesté Le Roi, que Dieu L'Assiste, dans ses Discours du 29 juillet 2020 et du 9 octobre 2020, aussi bien en termes de relance économique dont le Fonds Mohammed VI pour l'Investissement constitue le fer de lance, de début de la généralisation de la couverture sociale et de réforme profonde du secteur public pour laquelle, Sa Majesté le Roi a demandé qu'elle soit menée avec diligence. En ce qui concerne la réforme du secteur public engagée, les objectifs majeurs consistent en : – une amélioration de la gouvernance des EEP à travers, d'une part, une plus grande responsabilisation des organes de gouvernance et des managers des EEP, appelés à mieux rendre compte de leurs performances et d'autre part, un rôle plus actif de l'Etat actionnaire ; – une réduction de la dépendance des EEP envers le Budget Général de l'Etat ; – une meilleure visibilité sur le développement des EEP stratégiques ; – une meilleure réactivité des EEP en matière de valorisation de leurs actifs et portefeuilles dans le cadre de règles clairement affichées par l'Etat actionnaire ; – une pondération plus importante de la performance d'entreprise en tant que driver dans les plans d'action et les politiques de rémunération et de distribution des dividendes dans les EEP. Dans ce contexte, le Ministère a élaboré un projet de loi-cadre visant la redéfinition substantielle et équilibrée de ce secteur à travers. Ce texte fondateur permettra d'encadrer et de planifier les opérations de redimensionnement et de restructuration du secteur des EEP. Donc, en 2021 quelles sont les principales opérations qui seront menées ? Les opérations, qui démarreront dès 2021, concernent principalement les actions suivantes : – la transformation des établissements publics à caractère industriel et commercial en sociétés anonymes ; – le regroupement d'EEP en holdings sectoriels et/ou thématiques homogènes et performants dans le cadre de fusions, de rapprochements ou d'alliances, à même d'assurer sur le long terme un potentiel de croissance et de compétitivité de l'économie nationale, notamment dans le secteur des infrastructures, de l'énergie, de la protection sociale et du financement ; – la liquidation et/ou la dissolution des EEP et des filiales dont les champs d'action ne concordent plus avec les missions des établissements et sociétés mères et devant faire l'objet de dissolution/liquidation, sur la base d'un cadre de référence et conditions préalables, notamment la création d'une Entité Centrale sous la supervision du Ministère chargé des Finances, et la préservation de la continuité du service public ; – le démarrage de l'évaluation des missions et des performances de certains EEP pour instaurer un processus d'amélioration continue. Force est de constater ainsi que ce cadre juridique est de nature à contribuer substantiellement à la mise en œuvre de l'exemplarité l'Etat et du plan de relance de l'économie nationale.