Interviewé par Imane Bouhrara | La 34e session de l'Union Africaine qui se tient à Addis-Abeba ce 6 février annonce un premier face-à-face entre le Maroc et le polisario après la reconnaissance ce 10 décembre de la marocanité du Sahara. Cherkaoui Roudani, expert en études géostratégiques et sécuritaire dresse les enjeux de cette rencontre après une série de succès diplomatico-militaire du Maroc sur les ennemis de notre intégrité territoriale. EcoActu.ma : La 34e session de l'Union Africaine devrait avoir lieu à Addis-Abeba ce 6 février. Quelle implication aura la reconnaissance, le 10 décembre 2020, de la marocanité du Sahara par l'administration américaine sur les travaux de cette session ? Cherkaoui Roudani : Certainement, il y a et aura davantage un impact à plusieurs niveaux. D'abord, les USA sont membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations Unies et le maestro de la symphonie des rapports internationaux. C'est une grande puissance économique, diplomatique et militaire à l'échelle internationale et qui joue un rôle pivot dans les relations multilatérales africaines et dans l'architecture des conceptions globales de l'ordre mondial. Outre son importance dans la politique du continent africain, les pays du continent, sans exception, adaptent et réadaptent leurs perceptions stratégiques en fonction de la conception de Washington. Aujourd'hui et à la lumière des immenses défis que connaît le continent, l'Afrique est plus un problème américain qu'un problème européen ou chinois. Ceci dit, l'ensemble des pays du continent sont conscients des enjeux et que les Etats-Unis constituent la puissance de référence sur laquelle l'Union africaine tend à s'appuyer pour régler de nombreux problèmes. Il faut le dire, les USA ont une responsabilité particulière à l'égard de la communauté internationale et se doivent de défendre la démocratie. Cette perception universaliste chère à Thomas Woodrow Wilson, Truman et Clinton. De fait, en reconnaissant la marocanité du Sahara en déclarant la prééminence du statut avancé proposé par le Royaume comme seule solution de ce conflit artificiel, les USA ont acté une nouvelle politique africaine basée sur le pragmatisme et désherbant, ainsi, un environnement opérationnel avec des enjeux géostratégiques et géopolitiques. Ces dimensions imposent à plusieurs pays africains encore hésitants une sérieuse révision de leur position. L'ordre mondial connaîtra des profondes évolutions et l'Afrique a une histoire importante avec les USA qui ont joué un rôle clé d'apaisement et de règlement de plusieurs conflits, en Angola, en Afrique du Sud et en Namibie. De ce fait, Washington en reconnaissant la marocanité du Sahara envoie le message d'un Come-Back sur les affaires continentales. Conséquemment, plusieurs Etats africains suivront la voie américaine et acteront un engagement en faveur de la marocanité des provinces du sud. En perspective de cette session, le ministre algérien des affaires étrangères avait entamé une tournée dans plusieurs pays africains. A votre avis, quel est le but recherché de cette tournée et quelles en sont les retombées ? A la lumière de ce que je viens de dire, le Royaume du Maroc est un Etat Nation d'influence dans la Méditerranée, le Proche-Orient et l'Afrique. Les Etats-Unis veulent à nouveau compter sur ces trois régions géopolitiquement importantes dans le redressement de certains rapports de force et Rabat occuperait une place pivot dans ce redimensionnement. Vraisemblablement, l'Algérie a cherché et continuera de le faire, à minimiser la portée et l'importance de la reconnaissance américaine de la souveraineté du Royaume sur le Sahara avec toutes les considérations géopolitiques et géostratégiques derrière cette action. Car outre cette reconnaissance, l'Algérie est inquiétée par les nouveaux paramètres du leadership du Maroc dans une zone d'influence stratégique. N'oublions pas que l'initiative de Washington vient juste après l'action militaire triomphante des FAR pour libérer le passage d'El Guergarat. De ce fait, Alger a été, et reste toujours sous le choc, après ce succès diplomatico-militaire du Maroc. Cette opération d'envergure avec l'ouverture de plusieurs consulats généraux des pays arabes, africains et des Caraïbes ainsi que l'annonce des Etats-Unis d'ouvrir un consulat général à Dakhla a fermé un chapitre et a sonné la fin d'un match. Après plusieurs années de progrès remarquable en matière de développement économique, avec un nouvel modèle de développement économique des provinces du Sud, outre la délimitation des frontières maritimes du Royaume, Sa Majesté le Roi Mohammed VI a posé les jalons d'une stratégie globale qui fera gagner le Maroc en termes d'influence et de souveraineté. La période actuelle, marquée par l'irruption de la Covid, a permis à Rabat de se repositionner en tant que modèle avant-gardiste dans la gestion et l'anticipation dans un monde dans lequel la géopolitique du vaccin est devenue un paramètre de souveraineté stratégique. De fait, le Maroc quand il s'exprime sur les questions africaines, sanitaires, de sécurité internationale ou sur le Proche Orient, il est crédible et légitime à dire son mot car il n'est pas la duplique d'autres diplomaties. Donc, rien d'étonnant de voir Alger dans une tentative de contrer en vain le cours de l'histoire, de plus en plus favorable à l'émergence d'une autonomie stratégique marocaine. On évoque la possibilité de dépôt par le Maroc d'une résolution lors de cette session pour suspendre le polisario de l'UA. Quelles sont les chances pour que cette requête aboutisse ? Il est certain, la plupart pour ne pas dire une grande majorité des pays africains refusent que le continent reste piégé et victime de son passé. Cette tendance de plus en plus intelligible a été remarquée avec le refus total de l'organisation africaine des tentatives de séparation du « Front populaire de la libération de Tigrée » en Ethiopie. C'est un secret de Polichinelle, le continent est envenimé par le séparatisme et le terrorisme deux phénomènes qui inquiètent et désamorcent toute bonne initiative de mettre le continent sur les bons rails. En l'occurrence, ils bloquent l'intégration continentale et sèment le doute quant aux chances de voir l'Afrique prospère et unie. A ce niveau, Rabat ne cesse de travailler sur tous les fronts pour soutenir plusieurs Etats dans leur lutte contre l'extrémisme religieux et les services de sécurité marocaine ne ménagent aucun effort afin d'accroître le potentiel des forces de sécurité de plusieurs pays. Sur le plan économique, il est important de souligner le rôle du Maroc dans le développement de la région Ouest africaine et ce déterminisme stratégique n'est un secret pour personne, et il n'est pas étonnant de voir le Royaume un membre à part entière de la CEDEAO. La présence du Polisario au sein de l'UA a été une erreur stratégique et une entrave majeure à l'unité africaine. Maintenant, il est temps de corriger et de rectifier ainsi cette prévarication qui a coûté cher à l'harmonie du continent. Eu regard aux développements géopolitiques récents avec une ouverture d'une représentation diplomatique américaine dans la ville de Dakhla, l'exclusion du polisario de l'UA est une question de temps. Plusieurs Etats africains actent aujourd'hui pour une révision du règlement intérieur de l'organisation et notamment certains articles. En 2016, lors du retour institutionnel du Royaume à l'UA, une première motion déposée par le Gabon avait recueilli une majorité relative de 28 voix. Alors que les statuts imposent que les 2/3 des membres votent en faveur de la requête afin d'exclure cette entité, il ne manque que 9 voix de plus sur les 37 nécessaires pour suspendre la pseudo « RASD » de l'organisation. A la lumière de l'analyse de la situation diplomatique à l'échelle du continent et les enjeux globaux caractérisant l'ordre africain, il est légitime d'avancer que the game is over. Dans cette guerre d'hostilité à l'encontre du Maroc, les adversaires de notre intégrité territoriale ont essuyé un nouveau revers, cette fois-ci non seulement sur le plan diplomatique mais économique, avec la volonté affichée par le Président du Nigéria de mener les projets stratégiques avec le Maroc, notamment le Gazoduc qui traverse 14 pays africains, dans les meilleurs délais. Quel est l'enjeu d'un tel projet sur l'échiquier africain et dans la reconfiguration de la position marocaine en Afrique ? Effectivement, c'est un projet de dimension géostratégique et énergétique globale. Ce projet de 5660 km est d'une importance majeure pour un ensemble de pays du continent. Il est structurellement substantiel pour mettre les premiers jalons d'une intégration régionale et continentale. J'estime que ce projet est révélateur d'un repositionnement stratégique de l'axe Abuja-Rabat dans des équations géostratégiques qui impacteront la géopolitique, la sécurité et l'économie de 14 Etats africains. Avec la ZLECAF, ce projet est pilote et impactera le sud de l'Atlantique et contribuera à amorcer d'autres initiatives stratégiques avec d'autres partenaires qui ne cessent de montrer leur intérêts à l'Afrique. Il faut prévoir qu'un ensemble de puissances, à l'image de la Grande Bretagne, ne vont pas rester insensibles à cette restructuration géopolitique et géo-énergétique qui impose le Royaume en tant que pont entre l'Orient et l'Occident et entre l'Amérique et l'Afrique. De fait, à travers des actions diplomatiques constructives et inclusives, Sa Majesté le Roi Mohammed VI a insufflé la foi dans l'utilité et le pouvoir de l'Afrique à l'échelle internationale. De surcroît, le nouveau Président américain Biden prévoit d'organiser prochainement un sommet Afrique-USA et vraisemblablement les deux programmes Build Act et Prosper Africa sont des initiatives qui vont être des visions pionnières dans l'engagement de Washington sur le continent. Il est important d'exhorter Washington à redimensionner ses deux initiatives pour qu'elles puissent être capables de stimuler un impact stratégique multidimensionnel. Dans ce sens, le Maroc et notamment les provinces du Sud pourront être une plateforme incontournable pour les investissements américains et britanniques. L'Afrique de l'Ouest a une population qui dépasse 700 millions de personnes avec des ressources énergétiques colossales mais ces pays, à l'image de la bande sahélo-saharienne, connaissent des menaces et des défis qui nécessiteront un engagement sérieux et crédible avec une conception globale de développement. Dans ce sens, le Royaume du Maroc a tous les atouts pour être une porte de l'Afrique, comme l'a bien souligné le Président Joe Biden, et un mortier de liaison dans la construction d'une configuration géopolitique, jadis, disloquée et émiettée et dont les influences pourraient avoir des dimensions sur les partenariats transatlantiques et transpacifiques.