Contrairement aux idées reçues, la problématique des délais de paiement est également interentreprises (privé-privé). Les actions déployées que ce soit sur le plan réglementaire ou opérationnel ont permis une amélioration du nombre des EEP bon payeurs. Le mode de calcul des délais de paiement sera affiné dans le cadre de l'Observatoire des Délais de Paiement, pour aboutir à une démarche de calcul des délais de paiement des secteurs public et privé qui soit partagée, cohérente et la plus proche possible de la réalité. Abderrahmanne Semmar, Directeur des Entreprises Publiques et de la Privatisation (DEPP) nous éclaire sur les actions majeures déployées pour réduire les délais de paiement ainsi que sur les enjeux de la plateforme. Ecoactu : Les délais de paiement représentent une réelle menace pour la viabilité du tissu économique du Maroc et au climat des affaires en général. Cette menace touche plusieurs secteurs où l'Etat est « mauvais payeur », comment comptez-vous redresser cette situationalarmante ? Abderrahmane Semmar : Au Ministère de l'Economie et des Finances, nous sommes conscients des enjeux liés à la problématique des délais de paiement et de ses conséquences aussi bien sur le climat des affaires que sur la santé des entreprises, notamment les PME et TPE. C'est pour cela que nous nous sommes penchés sur la mise à niveau du cadre législatif et réglementaire des délais de paiement dans les secteurs public et privé à travers l'entrée en vigueur de la loi sur les délais de paiement et du décret fixant les intérêts moratoires relatifs à la commande publique. Sur le plan opérationnel, le Ministère a mis en œuvre des actions majeures en faveur de l'amélioration de ces délais au niveau des services de l'Etat et des Etablissements et Entreprises Publics (EEP) à travers le remboursement de 10 MMDH au titre du crédit de TVA dont ont bénéficié certains EEP (ONEE, ONCF...) et l'apurement des arriérés des AREF, sans oublier l'accord d'affacturage conclu entre le MEF et le GPBM et qui a permis le remboursement de plus de 8 MMDH, avec un engagement ferme du MEF à rembourser le crédit de TVA né en 2018 au cours de la même année. De même, au niveau des conseils d'administration des EEP dans lesquels siègent les responsables du ministère, nous nous sommes inscrits dans une logique de sensibilisation continue, quant à la nécessité pour ces organismes publics de payer à temps leurs fournisseurs, sachant que nous assurons au niveau de la Direction des Entreprises Publiques et de la Privatisation (DEPP), depuis 2012, un suivi rigoureux des délais de paiement de ces EEP et qui a abouti à plusieurs actions d'accompagnement et d'appui en termes de déblocage rapide des subventions aux EEP concernés, de renforcement de leur trésorerie et d'appui pour l'amélioration de leurs systèmes d'information de gestion. Ce suivi a permis de constater une baisse de 20% des dettes échues entre fin 2017 et mars 2018, et un gain de 6 jours en termes de délai moyen de paiement qui a atteint 72 jours à fin mars 2018. Je veux préciser que ce délai moyen, qui reste certes à baisser davantage, cache en réalité de grandes disparités puisque certains EEP paient au-delà de 100 jours et d'autres payent à moins de 30 jours. L'essentiel à retenir est que les actions entreprises ont permis une amélioration du nombre d'EEP bon payeurs. Selon quels critères, ces chiffres ont-ils été calculés ? Ces chiffres ont été calculés selon une démarche déclarative, semblable à celle adoptée par les pourvoyeurs d'informations en matière de délais de paiement dans d'autres pays. Ce mode de calcul sera affiné dans le cadre de l'Observatoire des Délais de Paiement, pour aboutir à une démarche de calcul des délais de paiement des secteurs public et privé qui soit partagée, cohérente et la plus proche possible de la réalité. J'aimerais attirer l'attention sur le fait que le stock des dettes échues des EEP (19,7 MMDH à fin décembre 2016) est bien en deçà du crédit inter-entreprises du secteur privé qui enregistre des chiffres beaucoup plus alarmants (387 MMDH à fin 2016 à rapprocher du montant des dettes échues des EEP à la même date). En effet, les montants en jeu démontrent clairement que la problématique est globale, d'abord privé-privé (les crédits inter-entreprises étant devenus la principale source de financement) mais aussi public-privé. A cet égard, les secteurs public et privé sont appelés à faire preuve d'exemplarité dans ce sens, les retards de paiement étant une responsabilité de tous. Est-ce que vous pensez que l'Observatoire des Délais des Paiement que le Ministère vient de lancer, en coordination avec la CGEM, pourra apporter les vraies solutions à la problématique des délais de paiement ? La problématique des délais de paiement est une problématique très complexe. L'Observatoire des Délais de Paiement est venu renforcer l'arsenal juridique et institutionnel existant. Il représente un lieu d'échange, de réflexion et de concertation entre toutes les parties prenantes. De par sa composition élargie, il sera une force de proposition de mesures concrètes inscrites dans son rapport annuel ou dans le cadre des travaux qui lui seront confiés par les autorités gouvernementales. Nous sommes d'ailleurs honorés à la DEPP, que le secrétariat de l'Observatoire nous ait été confié et nous affirmons l'engagement de faire réussir ce chantier co-piloté par le MEF et la CGEM dans un cadre de débat ouvert aux autres partenaires (Ministère de l'Industrie, de l'Investissement, du Commerce et de l'Economie Numérique, Bank Al-Maghrib, Groupement Professionnel des Banques du Maroc, Direction Générale des Collectivités Locales ...) L'une des principales actions que nous comptons entamer dès septembre 2018, dans le cadre de la prochaine réunion de l'Observatoire, est la validation d'un plan d'action 2018-2019 portant, notamment sur la mise en place d'un cadre organisationnel de l'ODP et de son secrétariat, la conclusion de partenariats avec les pourvoyeurs de données sur les délais de paiement, la définition d'une démarche idoine pour le calcul et le suivi de ces délais ainsi que la définition d'un plan de communication pour l'Observatoire. Vous venez de mettre en ligne une plateforme des délais de paiement, est ce que vous pensez que les PME/TPE auront réellement recours à cette plateforme sachant les TPE et PME n'oseront pas toujours revendiquer les pénalités de retard à leurs partenaires commerciaux, étant donné l'asymétrie des rapports de force et leur volonté à entretenir de bons rapports commerciaux ? Tout d'abord, je tiens à préciser que les intérêts moratoires sont prévus par la législation et la réglementation en vigueur, sans lien avec cette plateforme, et il est de la responsabilité de l'ordonnateur de se conformer aux dites dispositions en vigueur. Maintenant, l'intérêt de cette plateforme, qui concerne précisément les réclamations des fournisseurs des EEP en matière de délais de paiement, est d'abord de mettre en place un outil au service des entreprises leur permettant de présenter leurs réclamations. Cette plateforme est le fruit d'un travail concerté avec l'ensemble des parties prenantes. C'est un signal fort adressé aux entreprises privés et essentiellement aux PME/TPE devant permettre de renforcer la transparence de la commande publique. Cet outil nous fournira les données et statistiques nécessaires à la définition des mesures et actions adéquates à mettre en place pour réduire les délais de paiement. S'agissant du recours des PME/TPE à cette plateforme, nous allons entamer, en collaboration avec la CGEM, des actions de communication et de sensibilisation au profit de ces entreprises pour les inciter à utiliser cet outil, sachant que nous avons déjà menées des actions similaires au profit des EEP qui sont convaincus de l'intérêt de ce projet. Je pense aussi que l'attractivité et l'utilité de cette plateforme se vérifieront avec le temps et se renforceront en fonction de son impact sur l'amélioration des délais de paiement et du degré de confiance suscité auprès des entreprises.