Face à la détérioration des finances publiques, l'Etat utilise les quelques moyens qu'il peut encore actionner, principalement à court terme notamment le recours massif à l'emprunt. Mais, si la relance n'est pas au rendez-vous ? Le Colloque organisé récemment par la TGR en collaboration avec Fondafip dans un contexte marqué par la crise sanitaire se veut une occasion pour analyser l'impact de ce genre de crises sur les finances publiques. On aurait souhaité que cette crise soit la dernière, mais il faut tout de même être réaliste et ne pas perdre de vue que d'autres plus profondes pourraient se manifester encore. Il est utile de rappeler que la crise sanitaire a mis à genoux l'ensemble des Etats y compris les plus forts. Se traduisant par un arrêt brutal des pans de l'économie et des dépenses en matière de santé exorbitantes, le résultat ne peut être que catastrophique. « En France, elles devraient en 2020 dépasser les prévisions d'environ 9 milliards d'euros et on ne sait pas encore ce qu'il sera l'année prochaine et les années suivantes », annonce Michel Bouvier, professeur universitaire et président de la Fondafip à l'occasion du dernier Colloque sur les finances publiques. Dans son intervention, M. Bouvier attire l'attention sur le fait que cette crise inédite sera suivie de problèmes cruciaux pour les finances publiques. Il rappelle à juste titre d'ailleurs le rôle du modèle financier public au cœur des enjeux actuels et qui est en pleine mutation. Aujourd'hui encore, il est mis à rude épreuve à cause d'une crise sans précédent, une crise qui n'est pas aussi cernable que les autres. Ce qui complique le problème, c'est que le système financier public ne peut être appréhendé qu'à travers ses rapports avec les autres composantes de la société. Autrement dit, c'est avec l'ensemble de ces acteurs qu'il faut agir. Face à une situation aussi chaotique, le professeur se pose les questions suivantes : Comment sommes nous arrivés là ? Que faut-il faire ? Que faut-il ne pas faire également ? On sent parfois un certain désarroi qui est partagé par l'ensemble de la population. Mais qui est aussi partagé par nos décideurs politiques, administratifs. Mais aussi, on s'en est rendu compte, il suffit de suivre l'actualité, par nos experts quels qu'ils soient, de tous les domaines qu'ils soient. Les réponses doivent bien tenir compte de la complexité du contexte. Au-delà de la crise sanitaire ! C'est aussi la crise d'un modèle politique. Chaque fois qu'il y a une crise, l'Etat est vu comme la solution du problème. Cette confiance dans la toute-puissance de l'Etat n'est pas hasardeuse, elle relève d'un imaginaire d'un monde disparu. « C'est-à-dire celui des 30 glorieuses, celui des 30 années qui ont suivi la deuxième guerre mondiale. C'est-à-dire le seul fameux Etat-providence qui a été très efficace plusieurs années après la deuxième guerre mondiale pour relever le pays et pour rétablir les équilibres », rappelle Bouvier. Et d'enchaîner : « L'Etat utilise les quelques moyens qu'il peut encore actionner, principalement à court terme, le recours massif à l'emprunt. Mais, si la relance n'est pas au rendez-vous, si les plans de relance mis en œuvre dans les différents pays en Europe, pour ce qui concerne la France par exemple, ne sont pas suivis des effets escomptés, une telle solution, c'est-à-dire l'emprunt, n'est pas viable sur le long terme ». L'Etat ne peut pas emprunter en permanence. D'où la nécessité de réexaminer notre modèle de société et notamment celui des finances publiques. Bouvier plaide pour la quête de financements alternatifs ou complémentaires notamment du côté du secteur privé. Cela ne veut pas dire pas d'Etat ou pas de marché. Une crise systémique… Face à une crise plurielle, multifactorielle, nous avons besoin d'une approche adaptée. « En effet, malgré le fait que nous ayons conscience qu'il existe des effets systémiques, nous n'avons pas intégré la méthode systémique dans notre logiciel de penser. Nous continuons à voir les problèmes séparément et à proposer des solutions également séparées », déplore M. Bouvier. Il recommande par ailleurs de sortir de cette logique du court terme et de réaliser les investissements nécessaires pour répondre aux risques éventuels sur le moyen et long terme. Il est donc indispensable de concentrer les efforts sur les fonctions essentielles et notamment sur les investissements d'avenir. Toute en étant conscient que le recours à l'impôt ne soit pas envisageable dans un pareil contexte, il sait pertinemment que la question fiscale se posera une fois la crise stabilisée. « Finalement, à travers notre sujet d'aujourd'hui, ce sont les bases de la création d'un nouvel Etat-providence tout à fait différent de celui de l'après seconde guerre mondiale dont nous allons débattre », résume M. Bouvier. Encore faut-il ne pas oublier que nous avons à notre disposition des outils technologiques qui devraient nous permettre de faire face efficacement aux défis qui nous sont posés. Nous ne sommes qu'à l'aube des possibilités que nous offre l'intelligence artificielle, certes pour contenir la pandémie actuelle, mais aussi plus généralement pour accroitre le niveau des services aux citoyens. Et puis si l'on estime exact que le monde de demain ne sera pas le même que celui d'hier, et si l'on pense sincères les voix qui se font entendre ici ou là pour rappeler à l'invention d'une société plus solidaire, alors, explique M. Bouvier, le temps est venu de réunir les représentants des forces politiques, sociales et économiques pour donner un sens contemporain aux finances publiques, voire même à la société en général d'ailleurs. Lire également : SANTE AU MAROC : LE DIAGNOSTIC POIGNANT DU PROFESSEUR YOUSSEF EL FAKIR