* La nouvelle gouvernance des finances publiques passe par une intégration du système de prise de décision. * La réhabilitation du rôle de lEtat ne signifie pas revenir en arrière, mais rebâtir ce rôle en fonction de la réalité actuelle. * La réforme des finances régionales et locales est une question délicate sur laquelle devra plancher le Maroc, dans le cadre de la régionalisation avancée. * Michel Bouvier, Professeur à lUniversité Paris I Panthéon-Sorbonne et Président de Fondafip ( www.fondafip.org ), coorganisateur de ce Colloque, explique les convergences et les divergences entre le système marocain et le système français en la matière. - Finances News Hebdo : Quelles sont les attentes de cette 4ème édition du Colloque international placé sous le thème de la nouvelle gouvernance des finances publiques ? - Michel Bouvier : Dans les trois premières éditions de ces rencontres, nous avions dabord commencé à nous connaître les uns les autres. Entre spécialistes, bien entendu, pour défricher le terrain, voir ce qui se passae chez les uns et chez les autres. Lannée dernière, nous nous étions concentrés sur la crise économique et les solutions immédiates à proposer. Cette année, nous avons voulu aller plus loin pour explorer des perspectives pour la construction dun espace financier public soutenable et durable. Lobjectif est de structurer pour lavenir les finances publiques, quil sagisse de la maîtrise des dépenses ou de celle des recettes. Et pour la maîtrise des recettes, il sagit aussi bien de lemprunt que de la fiscalité. Cest cet équilibre-là sur lequel nous avons voulu réfléchir cette année, ce qui nécessite de se pencher également sur la gouvernance des finances locales. Il est en effet indispensable dappréhender globalement le système financier public. Il ne sagit pas de réformer seulement les finances de lEtat, mais aussi celles des collectivités ainsi que celles de la sécurité sociale. Ce sont ces trois composantes quil sagit de prendre en considération dans le cadre dune approche intégrée. Compte tenu de la situation dautonomie relative dans laquelle se trouve chacun des trois acteurs (Etat, collectivités locales, Sécurité sociale), se pose la question de la cohérence de la prise de décision puisquon a des acteurs qui, chacun, prennent leurs décisions à leur niveau. Il sagit donc, dans un premier temps, de créer une institution qui permette aux différents acteurs concernés de se rencontrer et se concerter afin de rendre la prise de décision en matière de finances publiques la plus cohérente possible. Doù limportance dintégrer le système de prise de décision pour, dans un second temps, envisager une consolidation des budgets et des comptes de ces trois entités. - F. N. H. : Vous avez évoqué, lors de la précédente édition, lidée de dégager des mesures immédiates pour contrer la crise. Mais ce travail de réflexion na-t-il pas également abouti à des mesures plus structurelles ? - M. B. : Cette crise nous a permis de constater quon avait jusque-là une vision un peu idéalisée du marché économique. Vous vous rappelez sans doute quen 1986, le consensus de Washington mettait en avant le marché comme moteur quasi exclusif du développement et de lutte contre la pauvreté. Cette vision, depuis, est relativisée. Une Commission internationale composée dexperts très reconnus, la commission Croissance et développement, a produit ainsi en mai 2008 un rapport selon lequel « la croissance indispensable pour faire reculer la pauvreté et assurer un développement durable, réclame un Etat fort ». Ce cadre de pensée est bien celui dans lequel se trouvent les gouvernants de tous les pays du monde aujourdhui . Mais il ne faut pas se méprendre. Quand on parle de réhabilitation du rôle de lEtat , il ne sagit pas de revenir en arrière, ce qui serait une erreur fondamentale, mais rebâtir ce rôle en fonction de la réalité du moment et sur les bases dun système financier solide qui permette la durabilité. On peut dire aussi quen rebâtissant ce système financier, on est en train de rebâtir lEtat. Il faut en effet insister sur le fait quil y a actuellement un processus de reconstruction des systèmes politiques qui est en gestation. - F. N. H. : Vous qui êtes à cheval entre le Maroc et la France, quels sont les points de convergence et de divergence que vous pouvez citer en matière de gestion de la chose publique ? - M. B. : Je trouve que nous avons surtout des points de convergence. Nous allons dans la même direction et nous sommes daccord sur tous les principes. A une différence près : la démarche de réforme du Maroc est beaucoup plus progressive alors que la France a choisi, quant à elle par une loi organique de 2001, la technique du « bing bang » qui a été mise en uvre en 2006. Par conséquent, nous sommes passés dun système à un autre du jour au lendemain. Au Maroc, on y va plus progressivement. Cest là la seule différence qui existe entre nous. - F. N. H. : Par progressivement, ne faut-il pas comprendre que le Maroc a pris du retard par rapport à dautres pays ? - M. B. : Si vous comparez avec les pays qui ont commencé cette réforme dans les années 80, comme la Nouvelle Zélande, nous sommes tous en retard, notamment la France. Ce que je peux vous dire cest que chacun y va selon sa propre allure, mais que tout le monde marche vers la même direction dans ce que devrait être la gestion future des finances publiques. Evidemment, il y a, comme je lai dit, des pays en avance par rapport à dautres, mais on ne peut pas dire pour autant que le Maroc est en retard. Au contraire, le Maroc est toujours cité en exemple en ce qui concerne la réforme des finances publiques dans les pays émergents et en développement. - F. N. H. : Ce colloque traite de la réforme des finances régionales et locales. Dans quelle mesure ce débat participera-t-il à celui consacré à la régionalisation avancée au Maroc ? - M. B. : Au cours de ce colloque, nous nous sommes efforcés didentifier les questions fondamentales liées à la réforme des finances régionales et locales. Il ne faut pas prendre les choses à lenvers. Il faut dabord prendre en considération la réforme institutionnelle proprement dite. Puis, il faut, dans un second temps, se demander quel système financier il faudra mettre en place. Est-ce que lEtat va donner aux régions des responsabilités en matière de dépense dinvestissement tout en conservant les ressources ? Ou alors va-t-on associer à cette autonomie de gestion une autonomie fiscale ? Est-ce quon va attribuer des impôts propres à ces régions qui, elles, vont ensuite les gérer elles-mêmes ? Cest dailleurs à ce type de questions que jai essayé de répondre dans un ouvrage intitulé Les finances locales qui est paru en mars dernier aux éditions LGDJ-Lextenso. Ce sont autant de questions essentielles auxquelles il faut faire extrêmement attention quant au choix à opérer.