Avec la propagation de la pandémie et l'instauration de l'Etat d'urgence sanitaire, le débat autour du droit de substitution, qui oppose médecins et pharmaciens depuis des années refait surface. Afin de préserver les intérêts des patients et surtout de réglementer les relations entre les industriels pharmaceutiques et les professionnels de la santé, il est impératif de lancer un débat national autour de cette question. En plus de l'impact sanitaire et économique, la pandémie a rouvert des plaies anciennes et profondes. Elle a fait ressurgir des polémiques et des dossiers qui traînent depuis des années. C'est le cas du droit de substitution princeps/générique et générique/générique qui oppose médecins et pharmaciens. Dans ce bras de fer où chaque partie tire les ficelles de son côté, les médecins s'opposent catégoriquement aux revendications des pharmaciens relatives à ce droit. Un droit qui consiste à dispenser au patient un générique à la place du princeps prescrit par son médecin. Un tel acte est considéré par les médecins comme un empiétement sur leur compétence. Avec la propagation de la pandémie et l'instauration de l'Etat d'urgence sanitaire, le débat autour de cette problématique refait surface. Et pour cause, les contraintes de déplacement (problème du renouvellement d'ordonnance), de gestion des stocks et d'indisponibilité récurrente de certains médicaments ont poussé les pharmaciens à remettre sur la table cette revendication qui date depuis la nuit des temps. La présidente du Conseil régional des pharmaciens d'officine du Sud (CRPOS) a ainsi sollicité le ministre de la Santé pour qu'il prévoie des dispositions afin que les pharmaciens puissent, à titre dérogatoire, substituer un médicament par un autre appartenant au même groupe de génériques. Alors que la proposition de la CRPOS est restée sans suite, des députés du parti de l'Istiqlal ont émis une proposition d'amendement de l'article 29 de la Loi 17-04 portant Code du médicament et de la pharmacie. La réaction du Syndicat national des médecins du secteur libéral (SNMSL) ne s'est pas fait attendre. Il a suffi de peu pour refaire brûler le torchon entre les deux professions. Dans un communiqué en date du 20 mai 2020, se référant au projet de modification de l'article 29 de la loi 17/04, le SNMSL réaffirme, sur un ton sévère, la position des médecins sur cette réforme. En d'autres termes, il dit, une fois de plus, niet au droit de substitution appelant les pharmaciens à ne pas empiéter sur les prorogatives des médecins. Mais pourquoi cette question traîne depuis si longtemps ? Que cache la partie immergée de l'iceberg ? Des questions légitimes lorsqu'on se compare à d'autres pays notamment la France où ce droit a été institutionnalisé depuis 1998 ou encore des pays voisins pour ne citer que l'Algérie et la Tunisie. Rappelons que ce droit permet principalement de promouvoir le générique, la réduction de façon significative du déficit de la sécurité sociale ainsi que la préservation du droit à l'accès au médicament qui reste très faible au Maroc. Contactée par nos soins la présidente du Conseil régional de l'ordre des pharmaciens du sud, Souad Moutaouakil (à l'origine de la relance du débat) nous affirme que cette question devait être réglée depuis longtemps comme ailleurs. « A partir du moment où le pharmacien respecte la DCI (dénomination commune internationale), il ne touche guère à la décision médicale. D'autant plus que plusieurs formes sont exonérées de bioéquivalences selon le décret de mars 2019 ce qui devrait rassurer les médecins », a-t-il précisé. En effet, cette réforme devrait favoriser l'accélération de la stratégie de promotion du médicament générique que le Maroc a lancée depuis quelques années. Si la molécule prescrite par le médecin n'est pas modifiée, on se demande pourquoi les médecins s'opposent-ils alors. Aussi, si le générique représente environ 40% en unités et en valeur à fin 2019 de la consommation nationale du médicament ce qui veut dire qu'il est bel et bien prescrit pourquoi mettre en doute l'efficacité du générique ? Cela va même à l'encontre de l'orientation de la stratégie nationale du médicament qui préconise la promotion du générique. Faut-il rappeler également que l'industrie pharmaceutique marocaine basée principalement sur la production du générique couvre aujourd'hui 65% de la production nationale. Quid du cadre réglementaire ? La raison serait, en partie, liée aux intérêts financiers. Chose que réfutent les médecins qui campent sur leur position fondée sur l'aspect thérapeutique de la chose. Toutefois, les relations de copinage entre les laboratoires pharmaceutiques et les médecins sont monnaie courante au niveau mondial. Ce qui a poussé plusieurs pays à réglementer cette pratique pour plus de transparence dans les relations entre les industriels pharmaceutiques et les professionnels de la santé. En France par exemple, ces relations sont régies par la loi anti-cadeaux relative aux avantages offerts par les personnes fabriquant ou commercialisant des produits ou des prestations de santé. Un dispositif réglementaire qui permet d'éviter tout conflit d'intérêts entre professionnels de santé et industriels pharmaceutiques. Mais qu'en est-il du Maroc ? Y a-t-il un cadre réglementaire qui régit ces relations ? La réponse est non et c'est là où le bât blesse. En 2018, le groupe parlementaire du PJD avait pourtant déposé une proposition de loi exigeant de la transparence dans les rapports d'un côté entre les établissements de soins, les laboratoires pharmaceutiques, les fabricants de produits esthétiques et des dispositifs médicaux, et les médecins et de l'autre les associations de malades. Entre autres dispositions, le groupe avait proposé la fixation de la valeur d'un cadeau offert aux médecins, associations, ordres professionnels, enseignants, entreprises de communication à 200 DH l'unité pour un total annuel de 2.000 DH. Sauf que cette proposition de loi n'a jamais vu le jour. « Pour protéger le patient, laboratoires et pharmaciens, pour plus de transparence et d'éthique commerciale, les pratiques de cadeaux doivent être encadrées par la loi comme c'est le cas ailleurs », a précisé la présidente du CRPOS. Et pourtant en parallèle à toute réforme dans ce sens, un cadre réglementaire régissant ces relations est impératif. Cela permettrait d'éviter d'éventuelles relations de copinage entre les laboratoires et les pharmaciens au cas où le droit de substitution est adopté. Aussi, il permettrait de préserver les intérêts du patient et d'éviter de le garder en otage. Car le grand perdant dans cette histoire est bien le citoyen. Pour sortir de ce labyrinthe, il est impératif et urgent de lancer un débat national professionnel et mettre tous les intervenants autour d'une même table. « Il faut un débat constructif entre les prescripteurs, les pharmaciens et les différentes parties prenantes. Le climat actuel où on se jette des pierres n'est malheureusement pas sain », a précisé S. Moutaouakil. L'intérêt du patient devrait toutefois être la pierre angulaire de toute réforme. Cela dit, un débat national est nécessaire avant l'élaboration et l'adoption des textes de loi afin d'éviter les erreurs du passé et adopter des lois qui resteront lettres mortes.