Le torchon brûle entre les importateurs de blé et l'Agence nationale des Ports (ANP) en raison des mesures prises par cette dernière relatives au traitement des navires céréaliers. Le retard causé par lesdites mesures coûte plus de 4.000.000 dollars de surestaries à payer en devises. Jamal M'Hamdi, Président de la Fédération Nationale des Négociants en Céréales et Légumineuses (FNCL) revient sur une situation qui pénalise les importateurs. EcoActu.ma : L'importation massive du blé tendre pour garantir la sécurité alimentaire du pays en cette période de crise a suscité une certaine tension. Concrètement, comment définissez-vous la situation de déchargement des navires au niveau du port de Casablanca ? Jamal M'Hamdi : Effectivement au regard des quantités importées durant la période allant de mars à juin, les infrastructures portuaires existantes telles qu'elles sont gérées par les autorités portuaires dans le cadre des Décisions N°30 & 31/DG/2020, ne peuvent que générer des tensions et des dysfonctionnements programmés qui viennent contrarier davantage l'ensemble de la logistique céréalière d'importation. Le traitement des navires céréaliers, au port de Casablanca, tel qu'il est organisé et imposé par l'ANP, ne peut être ni résilient ni performant. Pour vous donner quelques chiffres, durant le mois de mars, nous avons déchargé 18 navires céréaliers mono-cargaison soit 535.500 tonnes. Sur ces 18 navires, dix ont attendu en rade entre 10 et 29 jours avant de pouvoir accoster, tandis que cinq ont attendu entre 6 à 9 jours. Pour le mois d'avril, nous avons déchargé 28 navires soit environ 704.000 tonnes, huit ont attendu en rade entre 10 et 29 jours, huit autres entre 6 et 9 jours et dix, dont cinq de petites tailles, sont restés en rade entre 1 et 5 jours. Le temps d'escale moyen d'un navire au port de Casablanca est compris entre 13 et 17 jours. Ceci pour vous dire que la politique de traitement des navires céréaliers sur l'ensemble des ports marocains doit-être complètement revue et repensée, en concertation et avec la participation active des différentes parties concernées dont notre fédération. Dans quelle mesure les professionnels se sont-ils mobilisés pour répondre à l'appel des autorités afin d'assurer l'approvisionnement national en blé tendre ? Engagé et porté par l'élan de solidarité nationale, l'ensemble des membres de notre fédération ont répondu présent et se sont engagés dans l'urgence auprès du ministère de l'Agriculture pour garantir une importation massive de blé tendre nécessaire afin d'anticiper tous risques de rupture d'approvisionnement de notre pays dans ce contexte de crise sanitaire. L'objectif majeur, était d'assurer l'importation de près de 2 millions de tonnes de blé tendre sur une période allant de mars à la mi-juin, nécessaire permettant à la constitution d'un stock de 5 mois. Pour y parvenir, notre fédération a bénéficié du soutien actif, alerte et efficient des autorités publiques et plus particulièrement celui du ministère de l'Agriculture, de l'Intérieur, du Commerce et de l'Industrie, de l'Economie et des Finances, ainsi que de l'ONICL, de l'ONSSA, de l'Office des Changes et de l'Administration des Douanes, pour leurs disponibilités, leurs réactivités et leurs approches orientées solutions. Je tiens à les remercier vivement pour leur sens de l'écoute et leur compréhension aiguë des enjeux et des problématiques liées aux importations de céréales. Dans une optique d'éviter des pénuries ou ruptures d'approvisionnement, les autorités marocaines ont encouragé l'importation du blé tendre par le prolongement de la suspension de la taxe sur l'importation. Cette mesure a-t-elle été accompagnée par la simplification des procédures d'importation ? Le prolongement de la suspension des droits de douane sur l'importation du Blé tendre est une décision raisonnée, réfléchie et responsable initiée par le ministère de l'Agriculture pour faire front à la situation de crise et de sécheresse que nous traversons. Il convient tout de même de préciser que la décision de procéder à des importations massives de blé tendre pour éviter les risques de pénuries a été prise à la mi-mars et bien avant la décision de proroger la suspension des droits de douanes actée par le conseil du gouvernement du 7 mai. Cette prorogation de la suspension des droits de douanes au 31 décembre 2020 va nous donner une meilleure visibilité et nous permettre d'être plus actif et alerte sur les marchés internationaux afin de saisir les meilleures opportunités de marché, à l'instar de certains pays comme l'Algérie, l'Egypte et l'Arabie Saoudite. Les décisions N°30 & 31/DG/2020 de l'ANP en date du 20 mars relatives au traitement des navires céréaliers a été très contestée par les Fédérations des professionnels. Dans quelle mesure ces décisions pénalisent-elles les opérateurs ? Les décisions de l'ANP s'inscrivent à contre-courant des enjeux et défis auxquels nous sommes confrontés pour assurer un approvisionnement serein et régulier de notre pays en céréales dans un contexte de crise sanitaire et de sécheresse. De manière concrète, lesdites décisions stipulent qu'en cas d'indisponibilité des silos portuaires pour le déchargement d'un navire, le traitement des navires céréaliers sur quais banalisés est autorisé à titre exceptionnel et uniquement si le délai d'attente desdits navires dépasse 6 jours pour le port de Casablanca, 3 jours pour les ports de Nador, Safi et Agadir. Ou lorsque le nombre de navires en attente sur rade est supérieur ou égal à 5 pour Casablanca et à 3 pour les autres Ports. Concernant le port de Jorf Lasfar, aucune exception n'est autorisée quel que soit le délai d'attente et le nombre de navire en rade. Ces décisions, invraisemblables, sont les vraies raisons du rallongement des délais d'attente en rade de nos navires, du retard dans l'accostage et le traitement des navires céréaliers à quais, des montants de surestaries à payer en devises, de l'augmentation des coûts de revient des céréales importées. A combien s'élèvent à ce jour, les pénalités de surestaries engendrées en raison du rallongement des délais d'attentes et de traitement des navires céréaliers ? Nous les estimons sur ces deux derniers mois à plus de 4.000.000 dollars, que les importateurs seront contraints de payer dans un moment où la pression sur nos réserves de change est à son apogée. Quel impact sur le coût final du blé tendre sur le marché national ? Avec la flambée des cours du blé sur le marché international durant cette période, conjuguée à la hausse des taux de change d'un côté et des montants de surestaries à payer en devises de l'autre, nos coûts de revient n'ont cessé d'augmenter. Nous avons pris la décision de ne pas répercuter ses surcoûts sur les prix de vente afin d'éviter toutes hausses de prix des farines et des semoules. Nous tenons également à clarifier une chose, ce sont les membres de la FNCL qui se sont mobilisés pour sécuriser l'approvisionnement du marché par des importations massives de blé et non pas l'ANP comme çà été véhiculé.