En adressant ce 28 mai un mémorandum portant sur une Loi de Finances rectificative au chef de gouvernement, les groupes parlementaires du Parti de l'Istiqlal acculent le gouvernement à assumer pleinement ses responsabilités. Avec les dispositions de la Loi organique des Finances entrée en vigueur en juin 2015, le Gouvernement peut-il encore se dérober à cette disposition légale ? Ce mémorandum qui intervient dans un contexte de grande tension sociale propose trois séries de mesures qui mettent l'Exécutif dos au mur. Ce lundi 28 mai, les deux groupes parlementaires du Parti de l'Istiqlal de l'unité et de l'égalitarisme ont soumis au chef de gouvernement le mémorandum (MOU) qui contient une série de mesures à caractère social que le Parti de l'Istiqlal (PI) considère « comme nécessaires et urgentes pour pouvoir faire face à la cherté de la vie, améliorer le pouvoir d'achat des citoyens et soutenir l'emploi des jeunes. La réalisation de ces objectifs implique une révision immédiate des dispositions de la loi de finances 2018 ». Le gouvernement est sommé par là à déposer un projet de Loi de finances rectificative (LFR) dans les plus brefs délais. Force est de reconnaître que si les précédents gouvernements se dérobaient à cet exercice de démocratie parlementaire, les deux dernières Lois de Finances rectificatives datant de 1984 en prélude au PAS et en 1990 pour instituer le système d'acompte prévisionnel, la donne a changé depuis juin 2015, notamment avec l'entrée en vigueur de la Loi organique des finances. Une loi que Nizar Baraka, le chef du PI connaît trop bien pour en avoir été l'artisan, alors qu'il était ministre des Finances et de l'Economie. La première motivation de ce MOU est la conjoncture caractérisée par une détérioration du pouvoir d'achat face une hausse notoire des prix des produits et de services de bases, ce qui handicape essentiellement la classe moyenne, sans parler des plus défavorisés. Ce qui participe pour beaucoup dans le climat de tension sociale que connait récemment le Royaume. Détails des mesures proposées Trois catégories de mesures figurent dans ce MOU. La première vise l'amélioration des revenus dans le cadre du dialogue social. Là encore, Nizar Baraka est dans son élément mais cette fois-ci en tant que Président du Conseil économique, social et environnemental qui œuvre depuis plusieurs années sur le renouveau du dialogue social. Concrètement, le PI propose d'instaurer une hausse des salaires en deux étapes avec une augmentation de 200 dirhams mensuels pour les fonctionnaires à partir du 1erjuillet 2018. Le montant et les délais de mise en œuvre au cours de l'année 2019 de la 2èmeaugmentation devront être fixés dans le cadre du dialogue social. Ensuite, mettre en application, à partir du 1er juillet 2018, le mécanisme d'indexation du SMIG à l'inflation dans le secteur privé. La troisième mesure concerne l'augmentation du plafond des revenus annuels exonérés d'impôts de 30.000 à 36.000 dirhams. Enfin, prévoir une déduction fiscale des frais de scolarité plafonnée à 6.000 dirhams par an et par enfant scolarisé dans le secteur privé. La deuxième série de mesures tend à protéger le pouvoir d'achat des citoyens à travers notamment la mise en œuvre d'un système flexible de calcul des taxes intérieures de consommation sur l'importation des hydrocarbures en lien avec le niveau des cours internationaux des produits pétroliers (une forme de TIPP flottante). Ce système aura pour objectif d'alléger l'impact de la hausse des cours internationaux sur le pouvoir d'achat des citoyens. Le PI propose la mise en place de mécanismes d'anticipation pour être en mesure de faire face à l'impact de l'évolution des cours internationaux sur le pouvoir d'achat des citoyens. Accélérer l'activation du Conseil de la concurrence Dans le même ordre d'idées qui versent vers la protection du pouvoir d'achat des citoyens, les deux groupes parlementaires du Parti de l'Istiqlal de l'unité et de l'égalitarisme demandent dans leur MOU adressé au chef de gouvernement l'accélération de l'activation du Conseil de la Concurrence conformément à l'article 178 de la Constitution ainsi que de l'article 5 de la loi relative à la liberté des prix et de la concurrence pour plafonner les prix des hydrocarbures. Le PI va plus loin et s'attaque avec courage à une question qui saigne les ménages à blanc en exigeant du gouvernement de plafonner les marges de bénéfices dans le secteur de l'éducation privée. Le chef de gouvernement est également « prié » d'achever et d'activer les mécanismes institutionnels pour la protection des consommateurs et notamment l'adoption et la mise en œuvre des décrets et la mise en œuvre des incitations nécessaires. Enfin, le MOU exige l'accélération de la réforme des marchés de gros. « Il s'agit particulièrement d'organiser et de maitriser les marges d'intermédiation et de renforcer la lutte contre la spéculation et les situations de monopole ». Des mesures pour booster l'emploi Sans emplois et donc sans revenu, la question de l'emploi et du faible taux d'activité constitue pour notre pays une véritable bombe à retardement. Pour désamorcer la situation et soutenir l'emploi, le PI propose d'élargir à toutes les PME, coopératives et associations, les exonérations d'impôts et de charges sociales pour les nouveaux recrutements dont les salaires sont plafonnés à 10.000 dirhams bruts octroyés à ce jour aux seules entreprises créées entre le 1er janvier 2015 et le 31 décembre 2019. Autre mesure contenue dans ce MOU, est l'allocation des budgets nécessaires à la mise en œuvre de la réforme des Centres Régionaux d'Investissement et à la mise en place des nouvelles agences régionales pour la promotion de l'emploi. L'octroi des budgets nécessaires pour exécuter la nouvelle mesure relative à la rémunération des stages octroyés aux diplômés dans les administrations, les établissements publics et les collectivités territoriales est également mentionné dans ce MOU. Enfin, et il s'agit là d'une mesure qui plombe l'entreprise et par ricochet la création d'emploi, le PI appelle à l'adoption et la mise en œuvre des décrets nécessaires pour l'application de la loi relative aux délais de paiement, qui représentent la principale cause de faillite des entreprises (40%), causant ainsi la perte de plus de 100.000 emplois chaque année. Les deux groupes parlementaires du Parti de l'Istiqlal estiment que le gouvernement est en mesure d'intégrer l'ensemble des mesures proposées dans le projet de LFR tout en préservant les grands équilibres budgétaires. Notamment des prévisions actualisées concernant les récoltes agricoles ; prévisions revues à la hausse de près de 25% par rapport aux hypothèses de la loi de finances, avec tout l'impact positif sur la croissance et la consommation des ménages. Comme son nom l'indique, la LFR, avec l'actualisation des hypothèses qui ont servi de base à l'élaboration de la loi de finances 2018 et notamment des cours du pétrole qui dépassent de plus de 10 dollars US en moyenne les 60 dollars US par baril retenus par le gouvernement dans la loi de finances actuelle garantira des recettes supplémentaires, notamment en ce qui concerne la TVA à l'importation et les droits de douanes relatifs aux hydrocarbures. Le PI appelle le gouvernement à réduire son train de vie Pour les groupes parlementaires il est encore plus possible que ces mesures proposées soient mises en œuvre avec la rationalisation par le gouvernement, à travers des mesures opérationnelles, des dépenses de fonctionnement prévues dans le budget 2018 et notamment celles relatives au «matériel et dépenses diverses». «Cela est d'autant plus nécessaire que les budgets alloués à ces dépenses ont évolué de 16,4% en 2018 alors qu'elles n'ont évolué que de 4,3% en moyenne durant les 5 dernières années (2013-2017)», précise le MOU. Mais le plus difficile est que le gouvernement admette qu'avec le changement des hypothèses retenues pour la LF 2018, une LFR n'est pas un luxe. D'autant plus que depuis très longtemps, les gouvernements qui se succèdent au Maroc ont échappé à l'activation d'une telle disposition alors même que toutes les raisons qui la justifient existent, à commencer par des faits nouveaux non prévus dans le Projet de Loi de Finances initial et qui en modifient sensiblement l'équilibre. En effet, une LFR sert d'abord à corriger les dépenses et les recettes prévues dans la Loi de Finances initiale, compte tenu de l'évolution de la conjoncture économique et financière. Selon la Loi organique des Finances, entrée en vigueur en juin 2015, le projet de LFR voté par le Parlement dans un délai n'excédant pas 15 jours après son dépôt par le gouvernement sur le bureau de la Chambre des représentants. Dans le détail, la Chambre des représentants se prononce sur le projet de Loi de Finances rectificative dans un délai de huit jours suivant la date de dépôt. Dès le vote dudit projet ou à l'expiration du délai prévu, le gouvernement saisit la Chambre des conseillers du texte adopté ou du texte qu'il a initialement présenté, modifié le cas échéant par des amendements votés par la Chambre des représentants, et acceptés par lui.