Sur invitation de la Sous-commission des droits de l'Homme, le Parlement européen a organisé le 15 mai à Bruxelles une audition avec Driss El Yazami, président du Conseil national des droits de l'Homme (CNDH), dans laquelle il a fait un exposé sur l'évolution de la situation des droits de l'Homme au Maroc. Dans son intervention, le Président du CNDH a mis en exergue l'élargissement d'une manière significative des prérogatives du Conseil suite à l'adoption à l'unanimité par le parlement de la loi 76-16 relative à la réorganisation du CNDH, publié au Bulletin officiel le 1er mars 2018. En effet, comme l'a expliqué Driss El Yazami, le CNDH s'apprête à accueillir les prérogatives du mécanisme national de prévention de la torture (MNP), le mécanisme national de recours pour les enfants victimes de violation de leurs droits et le mécanisme national de protection des droits des personnes en situation de handicap. « Nous aurons un système national de protection plus élargi et plus cohérent et en même temps, ça permettra au Royaume de respecter trois engagements internationaux qu'il avait contracté et qu'il se devait de remplir », promet-il. Le responsable marocain a par ailleurs insisté sur le très haut niveau d'interaction entre le parlement marocain et le CNDH, conformément aux Principes de Belgrade (qui régissent la relation entre les Institutions nationales des droits de l'Homme et les Parlements). Rappelons à cet égard que le CNDH a signé en décembre 2014 un mémorandum d'entente avec le parlement avec ses deux Chambres. En vertu de cet accord, l'avis du CNDH a été sollicité 14 fois, 6 par la première Chambre et 8 par la deuxième. Selon un bilan du CNDH, environ 30% des recommandations du CNDH sont traduites dans des lois, ce qui reflète le haut niveau d'interaction avec le parlement marocain. Constitution 2011, un bilan mi-figue, mi-raisin Concernant la mise en œuvre des dispositions de la Constitution de 2011, le président du CNDH a dressé un bilan en demi-teinte, ni totalement positif, ni totalement négatif, dans la mesure où la quasi-totalité des lois en matière des droits de l'Homme ont été votées, en particulier les lois sur le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire, l'indépendance du Parquet général, le droit d'accès à l'information, sur la lutte contre la violence à l'égard des femmes et autres. « Cependant, le CNDH regrette le retard pris dans l'adoption de deux textes très importants, le Code pénal (actuellement en examen au parlement) et le Code de procédure pénal (toujours entre les mains du gouvernement) », déplore D. El Yazami. D'un autre côté, certaines lois ont été votées notamment sur l'Autorité pour la parité et la lutte contre toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (APALD), le Conseil supérieur de l'enfance et de la famille et l'enfance, l'Instance de probité et de lutte contre la corruption, et le Conseil de la concurrence, mais aucune de ces institutions n'a été mise en place jusqu'à maintenant. « Un retard qu'il faut rattraper dans les meilleurs délais », explique-t-il. Quid de la politique migratoire ? Par ailleurs, et en marge de l'organisation en décembre 2018 au Maroc de la Conférence intergouvernementale sur « le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulière», et sur « le Pacte mondial pour les réfugiés », M. EL Yazami a souligné l'importance de l'approfondissement des échanges entre le parlement et la Commission européenne et le gouvernement marocain au vu de la nouvelle politique migratoire marocaine. A cet égard, le président du CNDH a insisté sur trois éléments qu'il considère importants : la deuxième opération exceptionnelle de régularisation qui vient de prendre fin, la feuille de route que Sa Majesté le Roi a présentée à l'Union africaine et cette grande conférence qui se tiendra à Marrakech en décembre 2018. Le Maroc, une véritable « dynamique » sociétale Avant de clore son intervention, Driss El Yazami a souligné trois dynamiques sociales importantes dans la société marocaine qui peuvent, a-t-il dit « nous aider à comprendre ce qui se passe dans ce pays ». La première dynamique est l'intensité du débat sur des questions sociales qui traversent la société marocaine depuis plusieurs années comme l'héritage, l'avortement, la peine de mort, les libertés individuelles, la liberté de conscience et de pensée. Des débats publics ont été lancés sur ces questions très sensibles dans cette région du monde. « Ces débats publics font partie du processus de consolidation démocratique qui est à l'œuvre. Bien évidemment, ces débats peuvent prendre des allures de polémiques, mais ce sont des réactions scènes de la société » a-t-il indiqué. Le deuxième élément concerne l'intensité des mouvements des protestations sociales, à Al-Hoceima bien évidement et plus récemment les événements de Jerrada ou actuellement ce grand mouvement de boycott de certains produits de consommation qui se déroule en ce moment même dans la société marocaine. Le succès de ces mouvements interpelle et révèle deux questions à laquelle le Maroc et l'ensemble des acteurs doivent répondre : quelles sont les modalités de médiation entre la société et l'Etat notamment avec la hausse du niveau de revendications et de prise conscience, puis la question de la réalisation de la justice sociale (l'effectivité des droits économiques et sociaux). La troisième dynamique concerne le rôle actif que la société civile marocaine joue et les débats publics qu'elle initie autour de certaines questions inédites comme la bioéthique, les droits des personnes âgées, le Sida et les droits de l'Homme ... Des domaines sur lesquels l'action des pouvoir publics reste déficiente mais où la société civile prend l'initiative par des actions quotidiennes absolument innovantes. Il est à souligner que les membres de la Sous-commission des droits de l'Homme du Parlement européen ont salué la qualité et le niveau des relations de coopération avec le Conseil national des droits de l'Homme, son indépendance et sa disponibilité à coopérer avec la Sous-commission, ainsi que l'ouverture du Maroc sur ses différents mécanismes, note un communiqué du CNDH.